(Ce commentaire est absolument dépourvu de spoils. Néanmoins, je ne saurais trop vous conseiller de regarder ce film, effleurant le génie, sans lire cet article, qui commente en grande partie sa symbolique)
Lady Vengeance constitue le troisième et dernier film d'un triptyque portant sur la thématique de la vengeance. Les trois films sont indépendants les uns des autres, et doivent donc être regardés comme des segments enrichissant la problématique récurrente de la vengeance.Lady Vengeance fait suite à Old Boy et à Sympathy for Mister Vengeance.
Lady Vengeance peut rappeler parfois les deux précédents opus, mais a son identité propre, notamment parce que Park Chan-Wook a évolué dans ses désirs, son jeu de caméras...
La façon dont Park Chan-Wook filme Lady Vengeance initie déjà, d'après moi, son film plus controversé I'm a cyborg but I'm ok sorti en 2007, par son aspect lent et attentiste. Lady Vengeance est un aboutissement, incontestablement réussi. Park Chan-Wook, en trois films, explore l'ensemble des éléments touchant à la vengeance, sans rien omettre.
Synopsis
Injustement accusée du kidnapping et du meurtre d'un enfant, la jeune Lee Geum-ja se retrouve incarcérée dans une prison pour femmes. Elle y prépare sa vengeance, envers le vrai coupable. Au sortir de l'enfer, son plan est arrivé à maturité... Geum-Ja retrouve la liberté et se lance dans une quête vengeresse.
Ode à la violence stylisée
Lady Vengeance dispose du scénario le plus classique et le moins riche du triptyque entamé par Park Chan-Wook. Ceci est encore plus flagrant puisqu'il fait suite à Old Boy, manipulateur et longtemps impénétrable (jusqu'à une fin en apothéose). Pour autant, Lady Vengeance ne souffre aucunement de cette simplicité en parvenant à créer son propre style... par le style justement ! Je m'explique. Après Sympathy for Mr Vengeance et Old Boy extrêmement violents, Lady Vengeance paraît bien fade, en apparence tout du moins, car la spécificité de Lady Vengeance est de styliser la violence, qu'elle soit psychologique ou physique, chose que l'on retrouvait dans les deux précédents opus, mais pas à un degré tel...
Ainsi, la violence psychologique se retrouve dans une longue scène de « thérapie de groupe » où Geum-Ja est parvenue à réunir l'ensemble des familles qui ont perdu leur enfant à cause du coupable. Une scène difficilement supportable, qui rappelle le crématorium de Sympathy for Mr Vengeance.
La violence physique est de même abondamment stylisée. Pourquoi donc ? Et bien tout simplement pour correspondre à l'ambiance générale du film : Geum-Ja est une femme, et une femme n'a tout simplement pas la même manière d'exprimer sa souffrance. Pas d'armes blanches ou d'outils, juste une arme à feu gravée. Du maquillage pour paraître inquiétante. Un piège plutôt qu'un coup de poing. Une volonté de faire partager sa vengeance (la réunion des parents) et non une vengeance égoïste et solitaire d'homme à homme (voir les deux précédents opus). Surtout, Park Chan-Wook introduit la fille de Geum-Ja, lui conférant même un rôle important dans l'ensemble du film, donnant lieu à des scènes sublimes : car lorsque la sensibilité succède à la violence, le talent du cinéaste sud-coréen n'est plus à prouver.
Lady Vengeance est une complainte à la violence stylisée car la féminité du personnage n'appelle plus un déchaînement de violence reposant sur la force pure. Et c'est bien parce que ce type de violence est nouveau que Lady Vengeance se départage de ses prédécesseurs et acquiert son propre charme.
Du coup, une question : cette violence est-elle aussi efficace que celles de Sympathy et de Old Boy ? Oui, clairement oui, puisque toutes les scènes de violence du film collent parfaitement à ce que l'on imagine être la pensée de cette beauté meurtrie.
Cependant, cette violence stylisée s'appuie nécessairement sur une condition, et pas la moindre : le personnage de Lee Geum-Ja, et donc forcément l'actrice, se doit d'être irréprochable... Et comme on a affaire à du très grand cinéma, Park Chan-Wook persévère dans le sans-faute.
Jeu d'acteurs et narration
Disons-le haut et fort, la superbe Lee Young-Ae porte le film à elle toute seule. A tel point que le tueur d'enfants, Monsieur Baek, interprété par Choi Min-Sik (le Old Boy !), est mis en retrait... Park Chan-Wook ne s'intéresse pas plus que cela à ce personnage, ne cherche pas à savoir pourquoi il tue des enfants... Le cinéaste rajoute une touche malsaine qui fait l'intérêt de son cinéma : le tueur d'enfants est enseignant... Si bien qu'en nous montrant la prestation de ce tueur en tant que professeur pour jeunes enfants, on regrette que Park Chan-Wook ne cherche pas à nous expliquer si la volonté d'assassiner les enfants de Mr Baek est née d'un contact prolongé avec eux (Mr Baek aurait donc été une simple personne instable) ou existait déjà, étant alimentée en permanence (Mr Baek aurait donc été un pervers).
Choi Min-Sik demeure excellent... mais le rôle de son personnage ne lui donne pas assez de possibilités de nous montrer cette excellence. Dommage. Mais Park Chan-Wook se rattrape sur TOUT le reste.
Le cinéma de Park Chan-Wook plaît car ce cinéaste sait ce qu'il veut : dans Sympathy et dans Old Boy, la violence était sans concession ! Et bien on retrouve cet aspect dans Lady Vengeance. En effet, pas une seule fois Mr Baek ne supplie Geum-Ja de l'épargner. Et pas une seule fois Geum-Ja n'hésite. Il est loin le cinéma hollywoodien et ses personnages hésitants et « nobles », pardonnant aux criminels, ou même les mettant simplement en prison. Pour Park Chan-Wook, pas question de quelconques aléas : après certaines expériences traumatisantes, il estime que la souffrance ne peut être apaisée que par la vengeance sans concession, l'annihilation de celui qui a provoqué la souffrance. Ainsi, le schéma déjà existant dans Sympathy et Old Boy est respecté : bien que femme, parce qu'elle a souffert, que jamais elle ne méritait ça, Geum-Ja tue. On retrouve ce sentiment viscéralement humain de vengeance pure.
Une fois de plus, Chan-Wook nous donne une leçon de narration. Mr Vengeance suivait une narration logique, somme toute normale, pouvant être décomposée en deux parties. Les flash-backs occupaient une place considérable dans Old Boy. Et bien Chan-Wook change encore de méthode, en introduisant dans Lady Vengeance quelques séquences montrant les fantasmes, les rêves et les hallucinations de Geum-Ja quant à la manière de mener sa vengeance. On avait pu déjà percevoir une scène du genre dans Sympathy et quelques autres dans Old Boy, mais celle de Lady Vengeance est vraiment très originale. On a donc ici quelques scènes bizarroïdes mais très esthétisantes : la violence est une fois de plus stylisée !
Image et son
Puisque Lady Vengeance fait la part belle à une violence stylisée, l'image a vraiment été privilégiée. Park Chan-Wook a osé certaines choses (utilisation d'images de synthèse, caméras placées dans des recoins). Mais il revient souvent à des plans classiques mais terriblement efficaces (travelling pendant un gun-fight, caméra en mode « yeux du professeur » lors de la thérapie de groupe dans une salle de classe)... Qui plus est, comment ne pas évoquer l'image sans parler de la belle Lee Yeong-Ae. Son habillage, ses postures, son maquillage (exagéré exprès)... Magnifique.
Niveau son, on a encore droit à ce qui fait le lien avec les deux autres films : une musique classique (regardez les bandes-annonces : 3 B-A, trois musiques classiques différentes correspondant aux films : fabuleux).
Défauts ?
Toujours pas.
Lady Vengeance repose, comme les deux opus précédents, sur un ensemble de partis-pris, auxquels on peut adhérer ou non... J'adhère complètement et voici pourquoi.
Le pari de faire tenir le film sur l'actrice Lee Yeong-Ae est logique, osé et incroyablement réussi (puisque cette actrice est excellente). Cela excuse en partie de négliger le rôle tenu par Choi Min-Sik. De plus, les anciennes camarades de prison de Geum-ja interviennent, et il est agréable de voir leur réaction sur le comportement de celle-ci : elles connaissent la Geum-ja vengeresse contrairement aux personnes qui ne la reconnaissent plus après ce séjour derrière les barreaux.
Park Chan-Wook fait souvent le lien entre Geum-ja et ces prisonnières, à travers de courts flash-backs. Ceux-ci, et cela se voit, n'ont aucunement la prétention d'avoir la même intensité ni le même intérêt que ceux de Old Boy, ils s'avèrent juste sympathiques, rompant la linéarité. Il est louable de voir que Park Chan-Wook sait encore une fois (décidément) parler de violence : le séjour de Geum-ja en prison n'est pas agréable (mesquinerie entre détenues etc... avec même une petite scène macabre amusante « à la Agamemnon » ^^) mais le cinéaste ne fait pas vivre à son personnage une expérience traumatisante (genre un viol ou autre chose). Il confère une symbolique à cet établissement : Geum-ja ne devient pas plus violente et ne s'endurcit pas à cause de la difficulté des situations dans laquelle elle se retrouve en prison. Elle devient violente uniquement à cause de cette mise en prison injustifiée et dans le but de préparer sa vengeance. La prison revêt l'aspect d'un aquarium où elle va pouvoir développer sa vengeance dans des conditions idéales, qui vont la maintenir consciente des réalités. Bref, l'évolution du personnage de Geum-ja s'axe uniquement sur la vengeance, pas sur son expérience en prison.
Conclusion
Lady Vengeance conclut un triptyque de façon originale, en se basant sur la féminité et sur une violence adaptée à cette dernière. La complicité entre Park Chan-Wook et Lee Yeong-Ae est palpable tellement celle-ci joue bien, a compris ce que voulait le cinéaste. On en ressort avec une telle émotion que le seul regret apparent tenant à un parti-pris du cinéaste ne nous effleure même pas de prime abord.
Rarement une trilogie n'a été aussi parfaite, dans toutes ses composantes : scénario, narration, casting, jeu, image, son...
Quant à savoir si ce triptyque remplit son objectif primaire, à savoir des films illustrant la vengeance menée par des individus malmenés par la société ou par leurs congénères (et aussi par le destin, on se met à y croire !)... Et bien la réponse est sans concession, tel le réalisme déployé par ces films : jamais des films n'avaient aussi bien portés un thème.
La vengeance comme vous ne l'avez jamais vue, par Park Chan-Wook : « faire à l'autre ce qu'il t'a fait ». Se passer, se priver de cette trilogie cinématographique de Park Chan-Wook, revient d'après moi à accuser un manque évident de culture cinématographique. Ces trois films sont indispensables au cinéma, vous vous devez de les regarder.
Lee Yeong-Ae, divine
BA : http://www.allocine.fr/video/player_gen ... 61182.htmlComme Old Boy, Lady Vengeance devrait faire l'objet d'un remake américain. La surestimée Charlize Theron (qui n'a été bonne que dans le Celebrity de Woody Allen et Monster) devrait tenir le rôle de Lady. Jamais le remake ne pourra égaler l'original (comme pour Old Boy je pense), puisque Lee Yeong-Ae est intouchable dans ce rôle.
Lee Yeong-Ae n'a été visible que dans JSA, premier succès de Park Chan-Wook. Au regard de l'excellence de cette actrice dans les deux films dans lesquels elle a joué, prions pour qu'un autre cinéaste lui laisse une chance...