
Pour rappel, Digimon est à l'origine une série animée japonaise de la Toei dérivée de la série de jouets électroniques de Bandai. La série a plus tard été acquise par Saban qui l'a remaniée pour le marché américain. La série a plus tard été distribuée en Europe, dans sa version originale pour l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie notamment, et dans sa version remaniée pour la France et le Royaume-Uni.
Concernant le film, la question ne se pose pas puisque tous les pays ont eu droit à la même merde remaniée par Saban et distribuée par la 20th Century Fox. Ca devait d'ailleurs être la première fois qu'ils entendaient des répliques avec des gags bidons et les thèmes de la version américaine. Je me demande s'ils l'ont pris pour une parodie de la série à l'époque.

Enfin bref, Digimon le Film réunit en un seul long-métrage les trois premiers films de la série, à savoir Digimon Adventure, Digimon Adventure: Our War Game et le film en deux parties Digimon Adventure 02: Digimon Hurricane Touchdown / Supreme Evolution ! The Golden Digimentals (ne me demandez pas pourquoi le film a été découpé en deux parties, j'en sais rien

Le film commence... bah en fait, j'ai envie de dire que ça commence par le plus horrible quoi.

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Mine de rien, c'est devenu culte chez les détracteurs.

Plus sérieusement, pour un film de 1h25 censé compiler trois films d'une durée totale de 2h05, ça fait déjà 5 minutes et on n'a toujours pas vu une seule seconde d'aucun des trois films.


Bon, passons aux choses sérieuses avec le premier des trois films, appelé tout simplement "Digimon Adventure".
Digimon Adventure

Version originale
Le premier film Digimon, appelé tout simplement Digimon Adventure, est sorti sur les écrans en Mars 1999, la veille de la diffusion de la série animée éponyme. Le film dure 20 minutes et a été réalisé par Mamoru Hosoda, un jeune réalisateur de la Toei à l'époque et qui est aujourd'hui connu pour ses oeuvres d'auteur comme La Traversée du Temps et Summer Wars.
Le film est censé servir de prologue à la série animée, se déroulant plusieurs années auparavant et racontant comment les jeunes Taichi et Hikari Yagami ont rencontré pour la première fois les Digimon dans leur jeunesse. Et ce qui est vraiment marquant quand on connait la série et qu'on regarde le film à côté, c'est qu'on se demande vraiment si on parle du même univers. Mais j'y reviendrais.
L'histoire du film est simple: une nuit comme les autres, une mystérieuse créature arrive dans notre monde. Elle est recueillie par deux enfants, un frère et une soeur, qui vont la cacher et développer avec elle un lien d'amitié. Mais, domestiquée dans un premier temps, la créature finit rapidement par grandir et l'instinct sauvage finit par reprendre le dessus, mettant les enfants en danger. Sous les traits d'un grand dinosaure jaune, elle sème la pagaille dans la ville tandis que Taichi et Hikari tentent de l'arrêter avant que la police n'intervienne et ne la menace. Une autre créature apparait alors et une bataille entre les deux monstres débute. Se battant d'abord par instinct sauvage, Taichi trouve le moyen de rappeler à Greymon leur lien d'amitié et il se bat alors pour les protéger avant de disparaître. Lorsque le soleil fait son apparition, les deux enfants sont de nouveau seuls.

Les dix premières minutes du films se centrent sur l'amitié des deux enfants et de leur ami sortant de l'ordinaire, les dix suivantes sont celles consacrées à la partie "action".
Il s'agit donc d'une histoire assez classique mais qui fonctionne bien sur un format de court-métrage (le film ne dure que 20 mns). Seulement, on se retrouve ici avec une oeuvre qui se trouve coincée quelque part entre l'oeuvre de commande à vocation commerciale et une certaine dimension plus auteurisée qui s'exprime malgré tout dans le film.
Déjà, il y a une chose qui saute tout de suite aux yeux: on n'a absolument pas l'impression que le film est dérivé de la série Digimon Adventure. Les personnages sont les mêmes et on retrouve le thème d'opening "Butterfly" lors du générique de fin, mais l'univers graphique porte clairement la patte des films de Mamoru Hosoda qui est très différente de celle de la série, et l'ambiance même n'a absolument rien à voir. Je pense qu'Hosoda a dû avoir une sorte de cahier des charges sur certains éléments du style "ça doit être un préquel à la série animée, tu y fous Taichi, Hikari et Agumon, tu dois aussi montrer toutes les évolutions d'Agumon depuis l'oeuf jusqu'à Greymon afin d'introduire le concept de la digivolution, mais pas au-delà de Greymon parce qu'on réserve ça pour bien plus tard dans la série, ça serait bien aussi que tu montres un peu les autres enfants de la série, et pour le reste tu es à peu près libre de faire ce que tu as envie."
La série n'a pas vraiment aidée non plus vu que, dès le premier épisode, les héros semblent rencontrer les digimons pour la première fois et qu'ils n'ont aucun souvenir du style "Tiens, c'est pas le gros dinosaure orange qui a démoli le quartier quand on était gosse ?". Il n'y a que trois explications possibles à ce mystère: 1) le film n'est pas canonique, 2) les héros sont devenus amnésiques par le grâce du Saint-Esprit, 3) ils n'ont pas attendu la version de Saban pour se faire tous greffer le cerveau de Mimi.
Ceux qui ont vu la série le savent, la bonne réponse est la réponse 2. Durant l'arc Vamdemon, ces événements qui avaient été ignorés dès le début de la série sont soudain réintégrés au canon. Mais après tout, ils étaient jeunes, et c'est pas comme si on avait une bonne mémoire à cet âge. Ils ont seulement vu un gros dinosaure orange se faire défoncer par un gros poulet et détruire le quartier résidentiel. Ils ont dû se dire qu'ils avaient dû trop regarder Gaméra et Godzilla à la télé.

Maintenant, passons au plus intéressant puisque c'est là qu'on va pouvoir comparer les deux versions: la réalisation.
Tout d'abord, un point que j'ai soulevé plus haut mais qui frappe directement, c'est combien la patte de Mamoru Hosoda est présente dans ce film et qu'elle l'écarte assez radicalement de la série. L'univers graphique n'est pas du tout le même, ça je l'ai déjà dit, mais même le rythme n'a rien à voir. Aussi surprenant que ça paraisse, le rythme du film est assez lent. D'une lenteur qu'on trouve généralement surtout dans le cinéma d'auteur, les blockbusters préférant souvent les montages rythmés. Et là, je vais soulever un point important du film: les musiques.

Les musiques dans ce film ont un usage très particulier. D'abord, elles ne sont que deux et "Butterfly" est jouée uniquement durant le générique de fin. Ce qui veut dire qu'il n'y a qu'une seule musique tout du long de ces 20 minutes de film hors-générique. Mais qu'elle est donc cette mystérieuse musique ?
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"Boléro", du compositeur français Maurice Ravel, composée en 1928. Un grand classique du répertoire de musique classique. Oui, c'est ça qui est joué dans la version originale lorsque la version Saban nous sort "Digimon, petit monstre, tu es le champion..."

C'est l'unique musique qu'on entend pendant près de 20 minutes. Elle est jouée à longueur de temps et le montage du film est rythmé en fonction. Oui, le rythme est lent et la musique n'est à priori pas vraiment adaptée aux combats (

Et ça, bien sûr, on trouve pas trop ça dans la série qui n'est pas trop du genre à nous sortir "Boléro".

Pour le reste, ce film est dans l'ensemble bien sympathique, un court-métrage plutôt réussi dans l'ensemble, mais bloqué entre certaines initiatives qui relèvent clairement du domaine du cinéma d'auteur et les intentions commerciales affichées qui en pâtissent. Je ne sais vraiment pas ce que les gens de la Toei ont pu penser lorsqu'ils ont vu à quoi allait ressembler le film "préquel" censé lancer leur nouvelle série. C'est comme si on avait sorti 2001, l'Odyssée de l'Espace pour promouvoir La Guerre des Etoiles.

Version "Digimon Le Film"
Bon, donc, parlons maintenant du premier segment de "Digimon le Film". J'ai parlé d'Angela Anaconda, j'ai parlé du Digirap, maintenant le film commence. Et la première image, c'est...
Zero-Two ?

Eh oui, lorsque le film commence enfin, la première chose qu'on voit, ce sont des images tirées du film de Digimon Adventure 02 (le troisième segment). Puisqu'en fait, le premier film est un flash-back et que la narration se situe à l'époque du troisième film. Le tout étant accompagné par la voix-off de Kari qui sert de narratrice. Bon, jusque là ça va encore, après tout il y avait la voix-off de Taichi au début et à la fin de la version japonaise du premier film, les digiblagues en moins.
Le problème, c'est que le premier segment à proprement parler commence et la voix-off n'arrête pas de parler. Elle est totalement omniprésente, elle commente systématiquement tout ce qui se passe dans le film, et elle a en plus le mauvais goût d'ajouter des digiblagues en permanence, c'est l'horreur !
"Bonjour, mon nom à moi c'est Kari et j'ai de... non, trois ans. Et c'est moi qui serait votre guide pendant tout le film. N'hésitez pas à me poser des questions ! Quoi ? Pourquoi je passe mon temps à siffler pour communiquer ? C'est mon frère Tai qui me l'a donné ! Il est gentil: il m'a dit qu'une Kari qui radote, ça suffit déjà largement, mais je sais pô encore ce que ça veut dire."

Je ne me fais pas d'illusion sur l'intention de la Toei derrière ce choix: la version d'origine marchait parfaitement sans la moindre parole, l'utilité de la voix-off ici est de servir à combler les nombreux silences et d'ajouter de l'humour avec des digiblagues destinées à faire rire les enfants de moins de 10 ans. Mais ça casse complètement le rythme particulier du film et la saveur qui s'en dégageait. Enfin, si c'était le seul problème de cette adaptation...
Les scènes du film suivent fidèlement le découpage de la version japonaise: toutes les scènes sont présentes et dans le même ordre. Par contre, le montage a bel et bien été charcuté: de nombreux plans ont été supprimés du film ou raccourcis afin d'accélérer le rythme du film original, certainement jugé trop lent par les gens de Saban. Quant aux passages impliquant les parents de Tai et Kari, ils ont quasiment tous été supprimés (pas de père qui rentre bourré du travail donc).
En parlant du rythme justement, j'avais parlé du fait qu'il y avait de nombreux silences et que la voix-off tentait de les combler dans la version américaine. Et bah, elle n'est pas la seule. De nombreux dialogues avec des digiblagues ont été rajoutés afin de combler les silences. En fait, c'est même pire que ça: tous les dialogues du premier film ont été modifiés, sans exception, afin de rajouter leurs blagues à deux balles. C'est partout dans le film ! Je suis sûr que les types qui se sont chargés de l'adaptation, ils se sont dits "Ca y est, c'est enfin le film, on va leur sortir ce qu'on sait faire de mieux: le best-off de nos blagues les plus pourries !"

Kari en voix-off: "Quand Koromon s'est digivolvé, on aurait dit l'oncle Fred après un dîner bien arrosé !"
Tai (aussitôt): "Gentil dinosaure... On ne bouge pas..."

Plus sérieusement, même les répliques sur "le signe d'amitié" qui donnent son sens à l'acte de Taichi à la fin du film ont disparues de la version française. Si bien qu'on se demande ce qui prend à Tai de souffler comme ça dans le sifflet. C'est vrai quoi ! Il y a un gars tout seul avec sa soeur en pleine rue dans la nuit, juste à côté d'un gros dinosaure orange mis KO par un gros poulet mal emplumé, et il souffle dans un sifflet. Et tous les gosses qui le regardent comme si c'était parfaitement normal de souffler dans un sifflet dans des circonstances pareilles. Et d'ailleurs, ils font quoi les parents pendant ce temps là, comme ça en plein milieu de la nuit, pendant qu'ils laissent leurs gosses regarder dehors par la fenêtre ? Hein, ils font quoi ?



Ce qui rattrape un peu le coup heureusement, au niveau du doublage, on retrouve là encore les comédiens français de la série, Donald Reignoux et Marie-Eugénie Maréchal en tête. Rien à dire de ce côté là, leurs prestations sont toujours aussi bonnes que d'habitude et leur bonne humeur est communicative.
Parlons maintenant du point le plus notable de l'adaptation américaine: les musiques. Je n'ai jamais compris pourquoi Saban avait modifié les très bonnes musiques de la série originale pour les remplacer par ces thèmes vides et répétitifs à morts. Quand au thème principal de la version américaine, il ne laisse planer aucun doute sur le fait qu'il ait été conçu pour être "catchy" aux oreilles des jeunes enfants lors des génériques et lors des séquences de digivolutions. Le résultat était vraiment ce que l'on peut appeler un massacre, une horreur pour les oreilles, avec ces musiques qui finissaient vite par gonfler.
Cela étant dit, imaginer les mêmes gars en charge de l'adaptation américaine découvrir le film de Mamoru Hosoda et découvrir avec stupeur qu'il n'y a qu'une seule musique de tout le film et que c'est "Boléro" du célèbre compositeur Ravel. Et on leur dit qu'il faut transformer ce film en un pur produit commercial destiné aux enfants. Qu'est-ce qu'ils vont faire ? 1) garder Ravel parce que l'oeuvre a été conçue avec cette musique à l'esprit, 2) remplacer par les musiques de la série pour rester dans la continuité, 3) The Rockafeller Shank et autres thèmes de la culture pop américaine ?
Réponse 3 ! Un peu de la réponse 2 aussi, mais surtout la réponse 3 ! The Rockafeller Shank !

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Quant au fameux combat final, évidemment "Boléro", c'est pas assez épique ou emblématique pour le climax du film. Non, allez, on ressort les bonnes vieilles recettes !

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Et oui, encore et toujours !

Voilà, donc je me suis beaucoup attardé sur les différents points mais, pour faire simple, qu'est-ce qu'il reste de l'oeuvre originale de Mamoru Hosoda au bout du compte ?
-Montage: Découpage du film (l'enchaînement des scènes plutôt) respecté mais de nombreux plans retirés ou coupés. Le rythme lent qui faisait la saveur de l'original s'est complètement effacée derrière un montage rapide mettant l'accent sur l'action. Du coup, on passe d'un court-métrage de 20 minutes à seulement 12.
-Narration: Rajout d'une voix-off avec promo spéciale sur les digiblagues ! C'est à volonté, profitez-en (ou pas) !

-Dialogues: Aucun respect pour les dialogues originaux, ils ont tous été modifiés ! Même ceux qui donnaient sa signification au film (ça, c'était pas bien malin quand même !

-Musiques: Ils ont remplacé Maurice Ravel par Fatboy Slim ! Qu'est-ce que je peux dire de plus franchement ?




Alors au final, que reste t-il de l'oeuvre originale de Mamoru Hosoda ? Bah, rien !


Si l'intention de Saban était de dénaturer l'oeuvre originale pour en faire un pur produit commercial sans âme, c'est réussi ! Toutes les intentions auteuristes que Hosoda avait réussi à insuffler au film original ont été comme piétinées du pied. Il en ressort toutefois que Saban a réussi à remodeler le film de telle manière qu'il entre bien dans la continuité de "sa" version de Digimon Adventure - mais pas pour les bonnes raisons - là où le film de Hosoda était vraiment très différent de la série.
Conclusion
Pour conclure sur ce premier film, je dirais que je l'ai bien apprécié dans sa version originale dans l'ensemble, c'est un bon film pour un format de 20 mns, mais je suis tout de même un peu déçu car ce n'est pas vraiment ce qu'on pourrait attendre d'un film sur la série Digimon Adventure. Mais le film possède son identité propre et beaucoup de qualités esthétiques (pas toujours maîtrisées, mais on sent bien les intentions du réalisateur derrière), et c'est ce qui en fait toute la saveur. Sur ce film, on sent que Mamoru Hosoda a déjà des tendances auteuristes et il a d'une certaine manière réussi ce qu'on pourrait appeler un "détournement de la commande", que cela ait été conscient ou non.
Quant à la version remaniée par Saban, on peut véritablement présenter cet homme comme le sauveur de la Toei, celui qui a su invalider tout ce que Mamoru Hosoda avait réussi à apporter à son film pour en faire le pur produit commercial qu'il aurait certainement dû être d'après eux (Saban). Un massacre dopé aux blagues pas drôles, à la musique pop, et à à peu près tous les travers que les adaptations américaines mal foutues peuvent comporter. Et le pire, c'est que ça reste le segment le plus digeste du film.

Voilà, je vais m'arrêter là pour cette première partie de "Digimon le Film". Désolé si je me suis un peu lâché, mais ça soulage !

"-Dis, on s'est pas déjà croisé quelque part, Taichi ?
-Je crois pas, non ! Je pense que je m'en souviendrais !"
