Le Conte de la Princesse Kaguya

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Koiwai
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Le Conte de la Princesse Kaguya

Message non lu par Koiwai » 28 juin 2014, 21:55

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Dans la campagne profonde du Japon de l'époque Heian (fin du 8ème siècle - fin du 12ème siècle), un vieux coupeur de bambou, alors qu'il s'adonne à son travail habituel, découvre dans un bambou une toute petite fille. Sa femme et lui décident tous d'eux d'élever ce mystérieux bébé, en le soignant comme un signe de providence. Le bébé grandit étrangement vite, jusqu'à devenir une très belle jeune fille, tellement belle que sa réputation s'étend jusqu'à la capitale, et que, bientôt, cinq nobles parmi les plus hautes lignées viennent la courtiser, mais elle les renvoie en leur demandant d'accomplir l'impossible. En cherchant à accomplir les choses impossibles qu'elle leur a demandées, certains des princes tentent misérablement de la duper, d'autres abandonnent face à la dureté de leur mission, certains meurent même... L'Empereur lui-même finit par s'intéresser à elle, mais elle rejette tout prétendant en bloc tout en s'enfonçant de plus en plus dans une mélancolie qui finit par révéler ses mystérieuses origines...

Sans trop en dire pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas, ainsi se présente le Conte du Coupeur de Bambou, ou Taketori-no-Okina. Considéré comme le plus ancien conte écrit du Japon, il est également le plus populaire de son pays, à tel point que le nombre d'oeuvres ayant puisé des inspirations poussées ou mineures dedans sont légion, allant du thriller fantastique Princesse Kaguya de Reiko Shimizu à l'album jeunesse Kaguya, princesse au clair de lune paru aux éditions nobi nobi!, en passant par le shôjo écolo Please Save my Earth, le titre d'action The Moon Sword... pour ne citer que quelques mangas parus chez nous. L'animation n'est pas en reste avec les seconds films d'Inu Yasha ou de Sailor Moon, un épisode de la comédie Lamu, ou plus récemment la série animée Nobunaga The Fool qui s'offre un "mix" historique avec le personnage de Jeanne Kaguya d'Arc. Les références à ce conte s'étendent également au jeu vidéo avec un passage du jeu Okami ou le jeu Lunar - Eternal Blue, ou même au ballet et au théâtre. Ultime exemple de sa popularité : il aurait apporté son nom au Mont Fuji.

Autant dire que c'est à un monument littéraire qu'a choisi de s'attaquer, à son tour, Isao Takahata, l'autre grande figure du studio Ghibli au côté de Hayao Miyazaki, et à qui l'on doit notamment le Tombeau des Lucioles, Pompoko et Mes voisins les Yamada.
Un nouveau film de 2h15, pour lequel Takahata s'est entouré de personnes expérimentées dont Shinji Hashimoto pour l'animation de certaines scènes spécifiques et Kazuo Oga pour la direction artistique incluant surtout le travail sur les décors, et où le réalisateur a pris quelques libertés, en occultant le final du conte d'origine, et en approfondissant la jeunesse de Kaguya.

Le film commence fort logiquement sur une première partie croquant cette jeunesse au fin fond de la campagne japonaise de l'époque, autant dire que c'est du pain béni pour Takahata, qui a tout le loisir de croquer toute la poésie champêtre dont il est si friand. Surnommée "pousse de bambou" par les autres enfants à cause de sa faculté à grandir très vite, la fillette passe du statut de bébé qui apprend à marcher et imite les grenouilles sous l'oeil très bienveillant de ses parents, à celui d'enfant joyeuse vagabondant dans la nature avec ses amis dont un qui est très proche d'elle et la protège, puis à celui de très belle jeune fille, à même de conquérir les coeurs. Avec un gros travail sur les décors naturels, les bois, les fleurs et les animaux, ou les petites aventures des enfants qui affrontent des sangliers, chapardent des melons, chassent un faisan ou chantent ensemble en marchant, sautent de façon dansante joyeusement comme dans Heidi (n'oublions pas que Takahata a aussi réalisé cette série), Takahata croque une vie campagnarde joyeuse, insouciante, et également dotée de cet aspect communautaire qu'il avait tant approfondi dans Pompoko... Mais déjà, on devine que le mystère plane autour de la jeune fille, qui, en plus de grandir très vite, a quelques instants d'absence, des moments de mélancolie qu'elle ne comprend pas elle-même, à l'image de celui du chant. Et tandis que sa fille grandit dans la joie, le coupeur de bambou, lui, continue de découvrir dans sa plantation des choses merveilleuses comme envoyées par une puissance inconnue : de l'or, des étoffes de luxe... tout ce qu'il faut pour offrir à sa fille une vie plus idéale, une vie plus digne de sa beauté, une vie de princesse à la capitale. Mais cette nouvelle vie la rendra-t-elle heureuse ?

Commence alors la deuxième et plus longue partie du film : celle de la vie de Kaguya à la capitale. Et plus encore que dans la partie à la campagne qui était pourtant déjà excellente sur ce point, on se prend une véritable claque sur la peinture d'époque. Les décors, avec ces bâtiments détaillés et ces vues légèrement floues ou dominées par le blanc, évoquent un peu des peintures anciennes ou des estampes, pour un résultat captivant. A vrai dire, le film mériterait d'être revu rien que pour admirer ces décors, qui doivent beaucoup au travail de Kazuo Oga. A cela s'ajoutent les nombreux détails sur la vie de l'époque, sur les vêtements avec de superbes étoffes, sur les activités de haut rang comme le koto, sur les moeurs comme l'épilation des sourcils, les dents noircies, la calligraphie ou le banquet... Kaguya devra découvrir tout ça, bien malgré elle, la jeune fille conservant d'abord la joie qu'elle affichait à la campagne en en faisant voir de toutes les couleurs à sa préceptrice, puis comprenant qu'elle devra réellement s'appliquer à cette bonne éducation... au risque de commencer à perdre sa joie et son insouciance. Kaguya intrigue à nouveau, épaissit le mystère autour d'elle, notamment quand elle montre d'incroyables prédispositions naturelles au koto dès qu'elle s'y met sérieusement. Mais pendant qu'elle perfectionne son statut de princesse et attire vers elle les plus nobles hommes du pays, c'est la mélancolie qui grandit en elle. Partagée entre une mère qui reste un soutien bienveillant mais faible, et un père qui ne se rend pas compte des malheurs qu'il crée à force de vouloir faire d'elle une fille digne, Kaguya se renferme, devient plus froide, surtout envers ses prétendants qu'elle repousse parfois presque méchamment.
On a pu lire certaines critiques reprochant au film la trop grande froideur de Kaguya vis-à-vis de ses parents et de ses prétendants, or celle-ci n'est pas totale (Kaguya reste proche de sa mère par exemple), et cette froideur apparente s'explique parfaitement dans le fait qu'elle ne trouve absolument pas sa place dans le monde noble de la capitale, ses pensées étant sans cesse tournées vers les souvenirs nostalgiques de son enfance insouciante à la campagne, entourée de ses amis qui ne sont plus qu'un souvenir. Aussi, quand elle se rend compte des malheurs parfois très graves que cause sa froideur confiant parfois à des caprices, la jeune fille devra connaîtr eune forme de rédemption logique. Loin d'enjoliver les choses, Isao Takahata conserve son ton réaliste malgré les éléments fantastiques, un ton réaliste qui a toujours été présent dans ses oeuvres, là où son compère Hayao Miyazaki fait volontiers un peu plus dans le fantaisiste et le grand public. Cet aspect réaliste résonne jusque dans la dernière ligne droite du film, où se dévoile enfin la véritable nature de Kaguya, avant un final profondément mélancolique. Mais évitons d'en dire trop sur le final, si ce n'est qu'il pourra apparaître un peu longuet aux yeux des connaisseurs du conte.

Bref, le film suit son cours avec une logique certaine, travaille très joliment Kaguya, et distille suffisamment bien les éléments importants de son histoire, malgré certaines lacunes assez flagrantes : les indices sur le mystère de Kaguya parfois trop passe-partout, une rupture trop nette juste avant le final, un final captivant côté ambiance sonore mais sans doute un peu trop théâtral, des personnages secondaires peu voire pas du tout mis en avant malgré certains qui sont excellents (en tête, la petite servante de Kaguya et ses bouilles inimitables), des personnages de premier plan finalement très limités (surtout l'Empereur et ses façons d'agir peu finaudes, ou même le père de Kaguya qui est surtout cantonné à un rôle de comique peu clairvoyant)... mais après tout, n'oublions pas que l'histoire est un conte, et que, bien souvent dans ce genre d'oeuvre, les personnages sont des figures peu travaillées, presque iconiques.

Et quoi qu'il en soit, en plus du travail admirable sur les décors, le film peut compter sur une animation somptueuse à de nombreuses reprises. Petite ironie, il a fallu passer par la modernité du numérique pour rendre si joliment l'ancienneté de l'époque, et de ce côté-là le travail effectué est superbe. Les images fixes sont extrêmement rares, il y a toujours de jolis effets de caméra, des décors qui défilent, des petits éléments qui bougent avec beaucoup de réalisme (par exemple, le faisan, les herbes quand Kaguya rampe, le gros sac que la petite servante porte sur sa tête, le papillon...), alors inutile de signaler l'extrême beauté des mouvements de Kaguya elle-même, que ce soit quand elle fait ses premiers pas, quand elle se déplace ou quand une simple mèche de cheveux retombe de sa coiffure.
L'aspect "croquis" du design des personnages, travaillé avec le dessinateur Osamu Tanabe, révèle par ailleurs de grandes qualités assez inédites dans l'univers de l'animation, offrant constamment aux personnages un côté "pris sur le vif, dans l'instant" très saisissant. L'un des meilleurs exemples est sans doute le passage où le visage de Kaguya se décompose peu à peu quand elle entend les médisances au banquet.
Certaines scènes en particulier bluffent par leur animation approfondie, par leur esthétisme poussé et par l'intensité qui s'en dégage, et ce sont généralement celles signées Shinji Hashimoto. En tête, la fuite de Kaguya lors du banquet, que l'on a pu voir dans la bande-annonce.

Enfin, n'oublions pas l'impact sonore. Les musiques de Joe hisaishi, comme toujours, trouvent le ton juste et touchent là où il faut, en jonglant généralement sur la mélancolie et sur les sonorités traditionnelles. Le doublage japonais est excellent, y compris dans les courtes scènes chantées, et il ne faut pas oublier le très beau travail effectuer sur les bruitages : bruissement des feuilles, souffle du vent, bruit de pas, parquet qui craque, notes de koto... tout le travail sonore bénéficie d'un grand soin, pour un résultat très immersif.

Un mot également sur le doublage français. S'il ne vaut évidemment pas le doublage original, il reste très bon, notamment en ce qui concerne la voix française de Kaguya, qui dégage toute la douceur et la beauté dont avait besoin le personnage. Les autres personnages, à commencer par les parents adoptifs de Kaguya, bénéficient eux aussi de voix prenantes, très correctes. On note toutefois quelques lacune : une tendance à souvent légèrement surjouer, à trop appuyer certains dialogues... le plus problématique restant les quelques passages chantés, qui ont été traduits en français et où le résultat n'est pas à la hauteur. On devine ces quelques choix un peu plus dommageables par une volonté d'adapter le film aux plus jeunes...
Se pose alors la question du public visé par le film : les enfants français sauront-ils s'adapter au film ? Le Conte de la Princesse Kaguya étant purement japonais et pas excessivement connu en Europe, la question peut se poser, Isao Takahata ne faisant pas grand chose pour le rendre accessible au grand public non japonais et ne connaissant pas le conte. Avant de voir le film, il pourrait alors être sympathique d'offrir à votre enfant une "première initiation" s'il ne connaît pas le conte, par exemple en jetant un oeil à l'album jeunesse "Kaguya, princesse au clair de lune" paru aux éditions nobi nobi!, bien qu'il offre une version plus gentille et optimiste. Mais même avec ça, il faut dire que le film d'Isao Takahata, de par son ancrage dans le réalisme malgré les éléments fantastiques, par son ton très mélancolique et par son évocation même brève de thèmes durs, s'avère très différent de la plupart des films d'animations pour enfants dont on nous abreuve en Occident.

Mais dans tous les cas, Le Conte de la Princesse Kaguya est un film abouti, esthétiquement et visuellement irréprochable, scénaristiquement doté de quelques légères lacunes qui n'occultent pas le joli travail sur le ressenti de Kaguya, qui porte réellement à elle seule le film.

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