Saint Seiya - Film 3: Les Guerriers d'Abel
Studio: Toei Animation.
Editeur: AB.
Réalisateur: Shigeyasu Yamauchi.
Année: 1988.
Durée: 1h12.
Casting: Toru Furuya (Seiya), Keiko Han (Saori Kido), Hirotaka Suzuoki (Shiryu), Koichi Hashimoto (Hyoga), Ryo Horikawa (Shun), Hideyuki Hori (Ikki), Taichiro Hirokawa (Phoebus Abel), Akira Kamiya (Atlas),
Toshio Furukawa (Berenice), Katsuji Mori (Jao), Koji Yada (Dohko), Kazuyuki Sogabe (Saga), Ryoichi Tanaka (Deathmask), Keichi Nanaba (Aphrodite), Rokuro Naya (Camus), Koji Totani (Shura).
Critique
Après le succès commercial des deux premiers films présentés sous un format d'épisodes doubles, Saint Seiya tente à présent l'épreuve du long-métrage à travers ce troisième opus intitulé "Les Guerriers d'Abel" et sorti dans les salles japonaises en 1988. Dans ce nouveau film, Athéna retrouve son frère Abel, un dieu oublié de la mythologie, qui lui annonce son intention de purger la Terre des humains (et un dieu fanatique de plus, un !). Il lui demande de se tenir à ses côtés alors qu'il détruira le monde, ce à quoi Saori obtempère sans broncher, se soumettant à la protection de son frère et virant ses chevaliers à l'instant même. Sans déesse à protéger, les chevaliers d'Athéna ont perdu leur raison d'être mais Seiya refuse d'accepter et de croire que Saori ait pu les abandonner de la sorte et qu'elle ait pu trahir l'humanité, l'abandonnant à la folie d'un dieu mégalomane comme Abel. Et pour cause, Saori n'a jamais eu l'intention de laisser son frère détruire le monde mais elle ne croyait pas ses chevaliers capables de vaincre un dieu, préférant assumer elle-même cette responsabilité qui l'amène bien sûr à se faire avoir encore une fois. Désormais entre la vie et la mort, le sort de Saori repose entre les mains des chevaliers de bronze, les seuls qui soient revenus au sanctuaire pour la retrouver, mais ses actions ont brisé leur lien et ces derniers sont désormais plongés dans le doute sur la confiance qu'ils ont en elle, sur la confiance qu'ils ont en eux-mêmes, et en celle qu'ils portent à leur mission.
Ce troisième film de Saint Seiya est assurément l'un des plus intéressants et l'un des plus aboutis cinématographiquement, mais surtout celui qui se rapproche le plus de la transposition fidèle de la série animée sur grand écran que les fans attendaient, pour le meilleur comme pour le pire. La formule ne change pas: on a toujours affaire à un énième ersatz de la traversée du Sanctuaire, une histoire que l'univers Saint Seiya n'a jamais cessé de remaker à tort et à travers à longueur de temps. Athéna se retrouve donc à nouveau à la merci d'un dieu malveillant comme la princesse Peach qui se fourre toujours dans le pétrin et une fois encore ses cinq chevaliers de bronze vont devoir venir la sauver dans une histoire qui consiste à nouveau dans les grandes lignes à battre les méchants un par un pour progresser jusqu'à arriver devant le gros méchant du film. En soi, rien de bien original dans le concept, c'est ultra-classique et... c'est ce que l'auteur original Masami Kurumada fait à longueur de temps de toute façon (je n'ai jamais dit que je considérais Kurumada comme un auteur de talent). Seulement, à côté, le réalisateur Shigeyasu Yamauchi a développé toute une histoire pour interroger et approfondir les liens qui unissent Saori et ses chevaliers, quelque chose d'encore inédit qui n'avait jamais été abordé par Kurumada et qui permet d'enrichir un peu des personnages désormais familiers mais encore bien trop stéréotypés et unidimensionnels. Athéna, la déesse qui passe son temps à se sacrifier pour le bien de l'humanité tout en comptant sur ses chevaliers pour venir la sauver, commet cette fois la faute de douter d'eux, tout comme eux finissent par douter d'elle alors qu'il semble qu'elle les ait abandonné et qu'elle ait choisi de trahir l'humanité. Nos héros commencent donc cette aventure séparés et divisés et ils devront apprendre à se redécouvrir afin de réparer un lien de confiance qui a été brisé des deux côtés, introduisant ainsi une petite dimension introspective qui amène des enjeux humains encore inédits dans cette saga et qui vont pas mal contribuer à dynamiser l'enjeu des affrontements. Yamauchi réussit là un exploit, apportant une profondeur nouvelle à une série et à des personnages désespérément vides de tout développement intéressant dans le manga d'origine, dépassant ainsi la vision originelle de l'auteur Masami Kurumada. Il a aussi amené l'idée intéressante d'une divinité ennemie plus ambigu, Abel tenant sincèrement à sa soeur Athéna bien que leurs idéaux les opposent, changeant ainsi des divinités caricaturales qui n'ont aucune qualité rédemptoire. Bref, pas mal de très bonnes idées qui augurent d'un très fort potentiel, reste encore à voir comment tout ça a été développé.
Et c'est là que le mât commence à blesser: le film n'est pas toujours à la hauteur de ses ambitions. Déjà, le spectateur ne croit pas un seul instant que Saori puisse subitement rejoindre Abel parce qu'il le lui demande et de trahir ainsi ses chevaliers et l'humanité toute entière. Cela va à l'encontre de sa caractérisation même, une déesse qui se sacrifie sans cesse pour protéger l'humanité et qui compte sur ses chevaliers pour venir la sauver. Cela a tout simplement été mal amené au début du film, ce changement sortant subitement de nulle part, sans chercher à développer la raison d'un changement aussi brutal pour tenter de nous le faire croire. Il aurait été tellement plus intéressant de développer les raisons qui auraient pu pousser Saori à douter de l'humanité, de retourner sa veste et d'amener ainsi ses chevaliers à douter légitimement d'elle (ici, on ne comprend même pas qu'ils puissent y croire, ce qui amène effectivement à se demander si leur lien jusque là était aussi fort qu'on le pensait, et je ne parle pas que des bronzes mais de tout le sanctuaire qui a déserté sans revenir après avoir été "virés"). Il aurait été intéressant aussi de développer davantage sa relation avec Abel, ce qui aurait rendu aussi davantage crédible la possibilité d'un retournement de veste. On les sent très proches au début mais, dès l'instant où Abel fait part de ses intentions, on n'y croit plus un seul instant non plus, devinant facilement les intentions d'Athéna. Bref, le début du film ne prend jamais le temps de tenter de nous faire croire à son histoire et il est ainsi très difficile de partager les émotions et les doutes des chevaliers de bronze.
Ce qui n'aide pas non plus le film, c'est finalement sa grande fidélité à l'esprit de la série. C'est simple, on a l'impression de voir cette dernière transposée directement sur grand écran et cela vaut aussi bien pour les qualités que pour les défauts. Le changement positif le plus appréciable est certainement qu'on nous propose enfin de voir des combats qui ne se bâclent pas en cinq minutes contre des adversaires qui ont un minimum d'intérêt, même si ces derniers ne sont pas nécessairement très travaillés (mais bon, c'était aussi le cas de la plupart des ennemis dans la série). On retrouve enfin l'aura épique de la série, les efforts surhumains des personnages, la foi qui les habitent... Bref, les éléments qui font l'essence même des batailles de Saint Seiya ! Mais on retrouve aussi à côté ces insupportables dialogues pompeux et, surtout, cette tendance fâcheuse qu'avaient Kurumada et la série à toujours surcharger l'action de dialogues inutiles pour surexpliciter la moindre attaque, perdant un temps infini en blabla qu'on aurait volontiers sacrifié pour développer à la place les personnages. Ca a toujours été un énorme défaut du manga et de la série, cette incapacité à s'attarder sur des éléments qui n'ont finalement pas grande importance et à négliger à côté le développement de l'histoire et la profondeur des personnages, c'est la marque de fabrique de l'oeuvre de Kurumada et elle s'oppose ici directement à celle de Yamauchi qui tente à l'inverse de développer une véritable profondeur à l'univers et aux personnages.
Car à côté de ça, les combats ne sont pas gratuits, ce qui est assurément une première dans l'univers Saint Seiya pour l'époque. Yamauchi profite de chaque combat pour pousser les personnages dans leurs limites les plus intimes, des choses qui vont bien plus loin que de croire en l'amitié, en l'amour, en la paix et en la justice et tout ce baratin qu'on retrouve à longueur de temps dans les nekketsu les moins inspirés... et dans Saint Seiya justement. C'est là notamment l'une des raisons du retour des chevaliers d'or tombés lors de la bataille du sanctuaire. S'il est évident que la raison principale de ce retour attendu est avant tout le fan-service avec les revanches des matchs Seiya/Saga, Shiryu/Deathmask et Shun/Aphrodite, c'est aussi l'occasion pour eux de se confronter à des fantômes de leur passé qu'ils avaient vaincu alors qu'ils étaient animés par une foi qui leur fait défaut aujourd'hui, et cela se traduit tout particulièrement au cours du combat entre Seiya et Saga. Il est cependant regrettable que le film continue de recourir à certains rebondissements déjà suremployés par le passé tel que Shiryu qui passe son temps à se sacrifier soi-disant mortellement pour se relever un quart d'heure après ou encore Ikki qui vole à nouveau au secours de Shun qui se fait encore latter par son adversaire. Seulement, dans le cas présent, c'est plutôt grave car Shun se fait massacrer par un adversaire qu'il a vaincu par le passé et qu'il est désormais incapable de battre. Contrairement à Seiya et à Shiryu, Shun serait-il devenu plus nul avec le temps ? Est-il le seul à être incapable de retrouver la foi qui l'habitait à l'époque ? Le film abandonnera son personnage sur cette contradiction regrettable, donnant plus que jamais l'impression que Shun ne mérite plus sa place au sein du groupe. On notera cependant des efforts dans le traditionnel deus ex-machina final de l'apparition de l'armure d'or qui, pour une fois, n'incarne plus la toute puissance et la victoire facile car, malgré ce boost nécessaire pour lutter contre une divinité, c'est cette fois bien la détermination de Seiya et sa foi qui font toute la différence, quelque chose qu'on n'a jamais ressenti jusque là dans les films précédents. Mais au bout du compte, malgré des efforts et des ambitions beaucoup plus importantes que dans les films précédents et dans la série même, "Les Guerriers d'Abel" reste sur le constat d'une demie réussite, abordant pour la première fois des thématiques très intéressantes mais qui ne sont pas toujours aussi bien développées qu'il l'aurait fallu. On est passé à côté d'un film qui aurait potentiellement pu s'affirmer comme une oeuvre phare sur Saint Seiya. Au lieu de ça, on se retrouve avec un énième film, certes plus ambitieux, mais finalement à peine plus abouti que ceux qui l'ont précédé.
Du côté de la réalisation, on sent que les gros moyens ont été mis pour ce long-métrage, clairement beaucoup plus beau que les moyen-métrages qui l'ont précédé, avec une animation souvent belle (même si on ne retrouve pas la poésie visuelle de certaines séquences du film sur Asgard). Les affrontements sont spectaculaires et assez dynamiques (malgré cette tendance toujours soulante à interrompre l'action pour blablater pendant un moment avant de lancer la prochaine attaque deux minutes plus tard) et les musiques sont beaucoup plus variées et proches de celles de la série animée que dans les films précédents. Notons aussi un doublage japonais particulièrement réussi avec des invités de marques tels que Akira Kamiya et Toshio Furukawa pour doubler les nouveaux personnages. En comparaison, la version française s'avère plus foirée qu'elle ne l'a jamais été, la palme revenant à un travail de traduction et d'adaptation catastrophique. De toute évidence, le traducteur n'était pas celui de la série vu les termes employés et probablement même qu'il ne connaissait rien à Saint Seiya. Je ne saurais que trop conseiller une nouvelle fois d'éviter cette horrible version française et de privilégier l'excellente version japonaise afin de profiter pleinement de ce long-métrage.
Au final, "Les Guerriers d'Abel" est certainement le film que les fans de Saint Seiya attendaient, la transposition la plus fidèle et la plus réussie de la série animée sur grand écran (à défaut d'être la meilleure adaptation cinématographique), mais ce n'en est pas pour autant un film vraiment abouti. Malgré les très hautes ambitions affichées au départ, le film ne s'est jamais vraiment donné les moyens d'aller jusqu'au bout et de raconter l'histoire qu'il souhaitait nous raconter, se contentant d'un résultat plutôt basique et décevant étant donné le potentiel. Ce n'est finalement qu'un film de Saint Seiya de plus, certes d'un meilleur niveau que ceux qui ont précédé, mais toujours aussi imparfait et ne dépassant pas le stade du simple divertissement. Une vraie occasion manquée et peut-être est-ce cela qui a motivé plus tard Yamauchi à réaliser le film "Chapitre des Dieux" qui reviendra à nouveau sur ces thématiques avec un résultat beaucoup plus développé et approfondi avec un résultat autrement plus abouti et artistiquement plus mûr.
Verdict: Passable (11/20).