Je reviendrai vous voir

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Koiwai
Rider on the Storm
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Je reviendrai vous voir

Message non lu par Koiwai » 12 juin 2015, 12:33

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Après Daisy - Lycéennes à Fukushima, les éditions Akata continuent de nous apporter des témoignages sur l'après-drame du 11 mars 2011 avec Je reviendrai vous voir, one-shot de 5 chapitres dans lequel George Morikawa, qui pour l'occasion a dessiné autre chose qu'Ippo pour la première fois depuis plus de 20 ans, revient sur un récit véridique qui l'a particulièrement touché : celui de Nobumi, illustrateur jeunesse qui, après le drame, a choisi de regrouper plus de 4000 livres pour les envoyer aux enfants sinistrés. Mais après les réactions véhémentes de nombreux commentaires sur le net, lui reprochant là un geste inutile et prétentieux, l'auteur, marqué, décida d'aller directement sur place en tant que bénévole avec d'autres personnes pour voir de ses propres yeux la réalité et aider à son échelle à la reconstruction de la zone sinistrée, mais aussi dans l'espoir de rencontrer les enfants de la région et de pouvoir répondre à la question qui commence à le tarauder : lui, que peut-il faire d'utile ?

C'est ce bénévolat aux côtés des autres membres du groupe que Morikawa nous invite à suivre pendant 150 pages, et le voyage commence de façon marquante en brisant d'abord les espoirs de Nobumi : il espérait naïvement rencontrer tout de suite des enfants auxquels il aurait pu raconter des histoires, mais ce qu'il trouve n'est qu'une vaste terre désolée, aux bâtiments arrachés, aux voitures réduites en miettes, aux odeurs nauséabondes. Un lieu où le quotidien heureux des habitants a été dévasté en quelques minutes, où les hommes sont traumatisés et craintifs, où les animaux perdus errent... Un lieu où tout est à refaire. Et c'est avec un profond sentiment de tristesse et d'amertume, mais aussi avec courage que les bénévoles, dont Nobumi n'est qu'un rouage, entreprennent de faire leur maximum pour aider. Nettoyer des bâtiments inondés de déjections, distribuer des repas, regrouper les objets trouvés qui sont autant de souvenirs de la vie d'avant, construire une digue fragile avec des sacs de sable, tenter d'apporter un peu de réconfort aux habitants... Autant de missions essentielles mais ô combien difficiles et parfois ingrates, car ce qui en résulte souvent, c'est un profond sentiment d'impuissance et d'inutilité tant il y a de choses à faire, et tant tout pourrait se dégrader à nouveau. Les bâtiments semblent impossibles à nettoyer, les grands bateaux encastrés dans les bâtiments sont impossibles à évacuer avec seulement quelques bras, les digues reconstruites pourraient à nouveau se briser en un rien de temps, et, pire encore, certains habitants profondément traumatisés, meurtris, préfèrent fuir les bénévoles... Dans ces conditions, les questionnements de Nobumi se font forcément plus fort. Que peut-il faire ? Qu'est-il venu faire ? Tout ce qu'il fait est-il seulement utile ?

Heureusement, il y a, malgré tout, des signes d'espoir, des exemples que tout n'est pas perdu et que l'infirme travail de fourmi de Nobumi et des autres, petit à petit, peut changer des choses et aider, ne serait-ce qu'un peu, à revoir la lumière. Il y a des moments heureux, portés par des remerciements qui arrivent aussi de la part d'habitant, et d'autres rencontres positives, comme celle de cette dame âgée ayant eu le bonheur de voir ses petits-enfants retrouver sa maison après 4 jours d'errance. Il y a aussi la solidarité entre le bénévoles, qui sont tous dans le même panier et connaissent tous les mêmes errances. Leur courage renaît à chaque fois que la force des habitants est observée, et leur volonté persiste à travers l'espoir qu'après eux, d'autres bénévoles viendront à leur tour apporter leur petit pierre à l'édifice de la reconstruction.

Le grand mérite de ce manga est d'offrir une aventure humaine réaliste et n'idéalisant rien. A chaque chapitre, les moments de découragement et de faiblesse alternent avec les signes d'espoir et de solidarité, et Nobumi lui-même a parfaitement conscience de ses limites et de ses égarements en tant une bénévole. Lui qui partait en zone sinistrée sans s'être préparé et avec comme principal espoir de voir les enfants, quittera finalement la zone avec des richesses qui sont bien plus importantes encore, et qui pousseront forcément tout lecteur à s'interroger lui-même. Le meilleur exemple de tout ça est peut-être la double-page 138-139 de Tôkyô, faisant directement écho à la vue chaotique des pages 28-29 et ne laissant clairement pas indifférent.

La narration de Morikawa est aussi simple que vraie, ses planches aux traits épais dégagent énormément de force mais aussi beaucoup de sensibilité à travers les visages expressifs des personnages.

Expérience humaine au fil de ses pages, Je reviendrai vous voir est également le fruit d'une belle aventure éditoriale solidaire, qui a vu plusieurs auteurs du Shônen Magazine de Kôdansha apporter leur petite aide à Morikawa, en lui offrant quelques personnages et quelques planches. Ken Akamatsu, Makoto Raiku, Hiro Mashima, Kôji Seo, Mitsurô Kubo, Miki Yoshikawa... sont autant de noms ayant collaboré, le temps de quelques cases symboliques. On appréciera également beaucoup la longue postface de Morikawa, les quelques mots des collaborateurs, ainsi que l'interview croisée de Morikawa et Nobumi qui, le temps de trois pages, reviennent sur cette expérience. L'édition d'Akata, elle, est on ne peut plus satisfaisante.

Daisy - Lycéennes à Fukushima chez Akata, Santetsu chez Glénat, Les cerisiers fleurissent malgré tout chez Kana, Japon - un an après chez Kazé Manga... Petit à petit, des oeuvres centrées sur le drame du 11 mars continuent d'arriver, et cela devrait continuer ! Je reviendrai vous voir apporte à son tour un témoignage inédit et enrichissant, fruit d'une expérience humaine juste, sincère et très troublante, à se procurer les yeux fermés.
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