Saint Seiya - Tome 1
Saint Seiya est l'une des séries animées les plus connues en France, diffusées dans le cadre du cultissime Club Dorothée qui a révélé d'autres séries telles que Dragon Ball, City Hunter, Ranma 1/2, Sailor Moon ou Hokuto no Ken. Aujourd'hui encore, elle demeure une série mythique à laquelle de nombreux fans continuent de vouer un culte tandis qu'elle évoque la nostalgie auprès des autres. Même près de 30 ans après, le marché des figurines vendues par Bandai perdure, tandis que les récents mangas dérivés abondent et que les jeux vidéo de qualité médiocre continuent à affluer. Bref, Saint Seiya, aujourd'hui encore, c'est tout un marché, une licence commerciale qui a souvent proposé du très médiocre (les séries Next Dimension et Episode G, les jeux vidéo), mais aussi quelques fois du très bon (l'excellente série The Lost Canvas).
Si Saint Seiya reste pour beaucoup associé à la série animée, c'est aujourd'hui au manga que je vais m'intéresser, réalisé par Masami Kurumada de Janvier 1986 à Décembre 1990, soit toute la seconde moitié des années 80. Et autant je garde une certaine nostalgie pour mes souvenirs d'enfance, autant il faut bien admettre que le mythe des Chevaliers du Zodiaque a bien perdu de sa superbe depuis.
Saint Seiya nous raconte donc l'histoire des chevaliers de la déesse Athéna qui, revêtus d'armures placées sous le signe des constellations, se battent pour la paix et la justice sur la Terre. Pour faire plus simple, c'est une histoire de super-sentais placée dans le contexte de la mythologie grecque mais à l'époque moderne et qui se battent à l'aide d'armures conçues sous la forme de maquettes détachables afin de permettre à Bandai de vendre des tas de figurines. Les chevaliers se composent en trois hiérarchies: 48 de bronze, 24 d'argent et 12 d'or, soit un total de 84 figur... chevaliers.
Notre histoire commence au Sanctuaire en Grèce, berceau de la chevalerie, où le jeune Seiya, un japonais, s'entraîne en vue de devenir chevalier pour acquérir une armure. Cela signifie qu'il doit subir quotidiennement l'entraînement spartiate de son mentor Marine et le racisme des autres postulants à l'égard de ses origines asiatiques. Pour obtenir l'armure de bronze de Pégase, il va devoir vaincre l'imposant Cassios, l'élève de Shaina, la rivale de Marine. Un vrai combat de David contre Goliath. Cette première partie est dans l'ensemble assez sympathique. Masami Kurumada pose là les bases d'un univers intéressant, le Sanctuaire est un décor à la fois mystérieux et intriguant, et le rapport à la mythologie associée à des concepts scientifiques laisse augurer d'une oeuvre pleine de promesses. Malgré cela, on trouve toutefois déjà certains défauts qui marqueront l'ensemble du titre par la suite, mais on y reviendra assez vite.
La deuxième partie du tome nous introduit la fondation Graad, dirigé par la jeune Saori Kido, qui a envoyé cents orphelins à travers le monde pour subir l'entraînement de chevaliers en vue d'organiser un tournoi entre les dix survivants à leur retour. Et on découvre donc la jeune fille alors qu'elle révèle son plan machiavélique à une horde de journalistes lors d'une des conférences de presse les plus absurdes et clichées jamais vues. Malheureusement pour elle, il y a un hic car Seiya refuse tout bonnement de se battre et exige qu'on lui remette sa soeur, dont il a été séparé enfant, en échange de l'armure. Et comme il faut malgré tout que l'histoire démarre, Saori parvient à embobiner Seiya en lui promettant de mettre la fondation à la recherche de sa soeur s'il venait à remporter le tournoi, tandis que l'entourage du jeune homme semble s'être donné le mot pour le jeter dans l'arène où il doit risquer sa vie. La dernière partie du tome concerne donc un affrontement entre Seiya et son premier adversaire, Geki de l'Ours. Un affrontement qui s'achève en fin de tome, laissant le lecteur sur une impression très mitigée.
Ce premier tome est franchement très moyen. La première partie se déroulant en Grèce est plutôt sympathique et il y a quelques trucs réussis, mais toute la seconde partie excelle dans la médiocrité sur à peu près tous les niveaux. Mais au final, il y a tellement de défauts que c'est surtout la déception qui prime, et il est triste de penser que ce sont justement ces défauts qui vont s'amplifier et primer sur le reste de la série.
En premier lieu, quelque chose qui frappe avant même d'ouvrir le volume, dès sa couverture: les dessins sont vraiment bofs. Pas franchement hideux mais pas beaux non plus, Kurumada n'est pas un bon dessinateur et on ne retrouve pas un certain charme qui se dégageait des designs de la série animée. En terme de mise en scène, c'est plutôt moyen aussi. L'auteur a quelques idées mais il ne sait pas toujours comment les mettre en valeur, et parfois cela se retourne contre lui. Je pense notamment aux flash-back qui sont insérés à la narration de manière si poussive, tout en étant parfois ridicules en eux-mêmes (la jeune Saori qui joue les tyrans sur les orphelins), que ça crée un effet kitsch qui prête à sourire. Paradoxalement, en relisant ce volume aujourd'hui, on se rend compte que Kurumada savait quand même mieux dessiner ses personnages et mettre en scène son histoire que dans sa suite Saint Seiya - Next Dimension qui est assurément l'une des plus grosses daubes de ces dernières années.
En terme de narration, que dire ? Masami Kurumada a un univers et il a très vaguement une histoire à raconter (pour l'heure) mais il ne sait pas encore par quel bout la prendre de toute évidence. Du coup, si la partie se déroulant au Sanctuaire est assez réussie de ce côté, l'histoire part complètement en couilles dès le retour à la fondation Graad. A partir de là, l'auteur ne sait visiblement plus où aller et il sombre dans une suite de mauvaises idées et de clichés kitschs qui sabordent complètement son histoire. Après avoir assez bien introduit le contexte mythologique des chevaliers, le voilà qui les introduit proprement en... les faisant se battre au cours d'un tournoi pour présenter leurs particularités. On avait connu plus subtil. Le pire, c'est que même la manière dont il dirige l'histoire vers le tournoi est ridicule, entre cette conférence de presse absurde menée par des journalistes qui se livrent à un concours d'exagérations sur les pouvoirs des chevaliers et l'intrigue autour de la soeur de Seiya qui semble initialement avoir été introduite pour développer un peu plus le côté humain du personnage (même s'il est pour le coup plus agaçant qu'autre chose) mais qui n'est en réalité rien d'autre qu'un simple prétexte à deux ronds pour le faire participer au tournoi puisqu'elle sera quasiment oubliée par la suite, de même que l'amie d'enfance de Seiya qui l'encourage à participer au tournoi et qui disparaîtra purement et simplement une fois celui-ci achevé. C'est l'un des gros travers de la narration de Kurumada: il introduit de nombreuses idées (plus ou moins bonnes) mais il ne sait pas comment les traiter et il finit souvent par les oublier complètement. Et mieux vaut s'y habituer parce que tout le manga est comme ça !
Pour ne rien arranger, l'auteur est aussi un très mauvais dialoguiste, ce qui est terrible parce qu'il s'appuie justement beaucoup sur les dialogues. Il est bien connu que Kurumada aime se perdre dans de longues explications sur la mythologie ou la nature des attaques qui servent à rien en terme de narration à part saborder le rythme des combats. Et il ne faudra pas attendre longtemps pour en profiter puisque c'est présent dès ce premier tome et associé à quelques idées bien kitschouilles en prime. On retient souvent de Saint Seiya l'envergure épique de ses affrontements, je suis d'accord en théorie mais je trouve que l'auteur la crée de manière assez superficielle en recourant à pas mal de clichés et de répliques pas vraiment terribles. Je pense par exemple à l'explication de Marine sur le combat entre Seiya et Shaina: "Tu ne portes que 85 coups à la seconde. Shaina, elle, en porte 90. Pour la battre, tu dois dépasser le mur du son pour porter plus de 100 coups." Une explication ô combien déstabilisante (faut dire les choses comme elles sont, c'est assez nul) mais néanmoins essentielle puisque c'est là-dessus que repose la victoire du héros. Seulement, Kurumada n'arrive pas à véhiculer cette différence de puissance en terme de mise en scène et, comme il n'est guère plus à l'aise avec les dialogues, ça donne ce genre de réjouissances (bon, au moins ça prête à sourire). Et ça aussi, le titre en est bourré. On le retrouve même en fin de tome avec les fameux compteurs sur la force des deux combattants avec le public qui passe son temps à commenter la moindre seconde par de multiples exagérations. A peine quatre ou cinq coups qui constituent l'ensemble du combat mais qui s'étirent indéfiniment par les commentaires incessants (merci, on sait lire un compteur quand même), l'enjeu reposant sur la pression exercée par Geki sur le cou de Seiya qui risque de le tuer à tout instant, avec une espèce de vrai-faux rebondissement à la fin... Encore une de ces idées clichées pour arriver à créer plus ou moins superficiellement la dimension épique du combat quand Kurumada n'arrive pas à l'exprimer en terme de mise en scène, et ça donne des dialogues franchement ridicules.
Enfin, et c'est peut-être là ce qui me gêne le plus dans ce tome comme dans la série toute entière: les personnages ne sont pas intéressants et n'ont pas une grande profondeur psychologique. La plupart du temps, Kurumada ne fait que de créer des personnages avec des pouvoirs et des affinités psychologiques propres mais sans travailler dans le détail leur histoire propre ou leur psychologie, ni même pour les personnages principaux. Seiya n'est qu'un stéréotype agaçant du héros de shonen. Saori nous est initialement présentée comme une manipulatrice qui se sert odieusement des sentiments de Seiya pour sa soeur, pour plus tard changer du tout au tout sans plus d'explication. Jabu est introduit comme un personnage de rival mais il ne sera finalement pas exploité par l'auteur et complètement oublié. Et Geki n'est qu'un adversaire à battre, qui disparait ensuite quasiment sans plus d'explications tandis que l'auteur continue de créer de nouveaux personnages avec des affinités mythologiques et des pouvoirs propres dont il se débarrassera ensuite à leur tour une fois leur utilité remplie. Une méthode controversée qui n'a qu'une seule véritable utilité: permettre à Bandai de créer toujours plus de figurines.
Quand on voit que l'objectif initial de Seiya qui est de retrouver sa soeur et qui guide ensuite ses premières actions sera ensuite complètement oublié au profit d'un guerrier totalement dévoué à la moindre volonté d'Athéna, on se rend compte que ce sont finalement moins les personnages qui importent à Kurumada que les combats en eux-mêmes. Malheureusement, les combats sont souvent bien meilleurs lorsqu'il y a deux vrais personnages derrière et pas simplement des robots dont l'unique raison d'être est de se bastonner à longueur de temps. Et malheureusement, Saint Seiya se résume à ça. Au point finalement que les seuls personnages vraiment intéressants du tome sont ceux de Marine et de Shaina, deux personnages secondaires, tandis que les personnages davantage mis en avant pâtissent de leur manque de présence.
Ce premier volume de Saint Seiya n'est donc pas à mes yeux un bon manga. Au contraire, il serait même honnête pour moi de dire que je le trouve assez mauvais: il y a bien du potentiel, un univers et quelques idées, mais rien n'est vraiment maîtrisé (ou tout simplement traité correctement) et ces qualités sont bien moindres au regard de la quantité de défauts que le volume enchaîne par derrière. Dans l'ensemble, je trouve ce tome médiocre et, normalement, je n'aurais aucune hésitation à le taxer de daube. Seulement, en le relisant, je me suis rendu compte de quelque chose. En dépit de ce que je considère être une série de piètre qualité, Saint Seiya reste une licence très appréciée et même certaines personnes, tout en reconnaissant qu'il ne s'agit pas vraiment d'une bonne série, n'en continuent pas moins d'en être fans. Si ce manga véhicule indéniablement une aura nostalgique, il y a quelque chose de plus qui, à mon sens, peut expliquer cette curieuse fascination pour cet univers. Car finalement, si Saint Seiya n'est clairement pas un bon manga et qu'il respire l'amateurisme à bien des niveaux, c'est peut-être justement ce côté maladroit, ce manque de maîtrise, qui confère au volume un certain charme. Il y a une certaine naïveté qui se dégage de tout cela qui renvoie quelque part à notre enfance, à des choses qu'on a aimé à l'époque, mais aussi et surtout à la magie de l'enfance: l'histoire inventée par Masami Kurumada est nulle et ses combats sont certes bourrés de clichés, mais ce n'est pas si différent d'enfants qui inventent leurs propres histoires en s'amusant avec leurs figurines et qui font fonctionner leur imaginaire naïf. Quelque part, Kurumada fait la même chose: rien n'est vraiment maîtrisé dans ce tome mais il a un imaginaire de grand enfant, des idées kitschs mais néanmoins attachantes et si, au final, on trouve là un premier tome bancal, il est indéniable qu'il véhicule aussi quelque chose d'attachant.
C'est peut-être ça la magie de Saint Seiya: bien que l'oeuvre ait vieilli, elle n'en reste pas moins suivie assidument par un noeud de fans fidèles, par nostalgie de la série animée bien sûr, mais peut-être aussi par nostalgie des (grands) enfants que nous n'avons jamais cessé d'être et qui sommeillent quelque part encore en nous. Si, aujourd'hui, cette série ne me parle plus comme avant et que je préfère me tourner vers des oeuvres plus ambitieuses et plus abouties avec des histoires et des personnages plus travaillés, c'est quelque chose que je peux toutefois toujours comprendre, même si je pense que j'ai un peu perdu cette naïveté et cette innocence qui m'avaient fait aimer Saint Seiya autrefois. Heureusement, il y a aujourd'hui une formidable série appelée Lost Canvas et conçue par la talentueuse Shiori Teshirogi qui s'adresse davantage à des lecteurs comme moi, sorte de version plus aboutie, plus mature et plus ambitieuse de Saint Seiya, mais avec une magie quelque peu différente de la série originale.
Verdict: Passable (11/20).