Les Soupirs de Haruhi Suzumiya (The Sigh of Haruhi Suzumiya)
Suite au succès de
La Mélancolie de Haruhi Suzumiya, très bon roman emprunt d'un récit original et d'une dimension métaphysique intelligente, la série des Haruhi Suzumiya était lancée et c'est le plus naturellement du monde que sortit le deuxième roman de la série,
Les Soupirs de Haruhi Suzumiya.
Après un prologue reprenant quelques instants après la fin du premier roman, cette suite fait un saut dans le temps et cette nouvelle aventure se déroule donc six mois après les événements de La Mélancolie. Notre belle bande d'individus mystérieux sont de retour et, au cours des six derniers mois, ils ont vécu plusieurs aventures sortant de l'ordinaire. Mieux vaut s'y habituer, la publication en romans défragmente complètement la chronologie des bouquins et certains événements cités dans ce roman ne seront racontés que dans les tomes suivants. Au lecteur de choisir de jouer le jeu de ce labyrinthe temporel volontaire ou de suivre les histoires dans leur véritable ordre chronologique.
On pouvait se demander comment l'histoire allait reprendre. En effet, à la fin de La Mélancolie, Kyon (le narrateur) s'apprêtait à révéler à Haruhi l'existence des extraterrestres, espers et voyageurs temporels. C'était un peu la fin de l'histoire, la Brigade SOS avait rempli son office et n'avait plus de raison d'être, tandis que Haruhi pouvait s'amuser avec ses nouveaux amis. Le prologue des Soupirs reprend justement exactement à cette scène où Haruhi... croit que Kyon se paye sa tête (mais non voyons...
). Retour à la case départ, rien ne va plus ! Ce n'est pas la seule chose que l'auteur défait pour pouvoir continuer son récit. Ceux qui ont lu le premier roman se rappellent peut-être de l'application de Kyon envoyée au conseil des étudiants pour officialiser la création de la Brigade SOS. Rejetée ! Mais personne n'est cependant assez fou pour risquer de mettre la dingue du lycée en rogne, aussi le corps étudiant et professoral ferment-ils les yeux sur les agissements de la brigade.
Ce qui nous mène enfin à notre récit, six mois plus tard. Le festival culturel du lycée approche, l'école est en effervescence et Haruhi, désireuse que la Brigade SOS obtienne enfin la reconnaissance qu'elle mérite, décide de l'acitivité de son club: le tournage et la projection d'un film. Et quand Haruhi a une idée derrière la tête, personne ne peut la faire changer d'avis.
Au cours des six derniers mois, la Brigade SOS a vécu beaucoup d'événements sortant de l'ordinaire. Kyon, le seul humain normal du groupe, est donc plus expérimenté en la matière mais cette suite d'aventures a fini par le lasser et c'est un personnage fatigué de ces phénomènes paranormaux et toujours traumatisé par son expérience de l'espace clos que nous retrouvons. Mais un film, au-delà de la charge de travail que cela demande, c'est assez inoffensif, n'est-ce pas ? Malheureusement, il y a cette allumée à la réalisation, ce qui va pas mal pimenter le tournage.
Le roman commence ainsi, avec la Brigade SOS qui suit les différentes étapes de pré-production et de tournage dans une suite de petites aventures comiques faisant office de sketchs qui se suivent les uns après les autres. Il n'y a pas vraiment d'histoire (encore moins en ce qui concerne le film réalisé de manière chaotique par Haruhi) et le roman ne cesse de répéter les situations, occasionnant ainsi des longueurs interminables. Ceux qui ont lu le premier roman se rappellent sûrement de ce mélange original et maîtrisé entre la dimension scolaire sympathique et la dimension fantastique pensée avec originalité et intelligence. Ici, le paquet est mis sur la dimension scolaire et, si on retrouve cette belle bande de dingues et leurs délires avec plaisir, le roman ne cesse de ressortir les mêmes vieilles ficelles déjà utilisées dans La Mélancolie et totalement surexploitées ici. Pire encore, les harcèlements sexuels de Haruhi contre Asahina sont beaucoup plus présents et insistants que dans le premier roman ou dans la série animée, si bien que ça finit presque par devenir malsain au bout d'un moment (ce n'est même pas drôle).
Techniquement, toute la première partie du livre traîne en longueur (le premier chapitre en particulier est ennuyant) et n'est pas particulièrement passionnante. Je ne voyais pas où l'auteur voulait en venir et j'ai été surpris par ce choix d'intrigue, très éloigné de l'image qu'on peut se faire d'une suite à La Mélancolie, excellente oeuvre teintée d'originalité et d'une dimension fantastique et métaphysique utilisée intelligemment.
Cette dimension intervient finalement dans la seconde partie du film où on commence à retrouver un peu l'ambiance de La Mélancolie. Pour résumer simplement, alors que le film de Haruhi est une fiction entrant dans le domaine du fantastique, des éléments qui sont censés n'exister que dans le film se mettent subitement à prendre forme dans la réalité. Les autres membres de la Brigade SOS comprennent assez vite que Haruhi en est la cause, la réalité et la fiction commençant à se confondre dans son esprit et le film servant de catalyseur au monde rêvé par Haruhi. D'une manière similaire au premier film, le monde est en train de changer et c'est à la Brigade SOS de régler le problème pour le ramener dans le statut quo. Car un monde où les existences des aliens, espers, voyageurs temporels, chats qui parlent et même de géants bleus qui dévastent tout sur leur passage seraient reconnues serait un monde de chaos, n'est-ce pas ? C'est beaucoup plus amusant quand leur existence est tenue secrète par une minorité d'élus, non ? ... Passons !
Si cette partie est déjà un peu plus intéressante, elle est néanmoins loin d'atteindre le niveau excellent de La Mélancolie. On ne retrouve pas cette originalité qui avait fait le succès du premier roman. Ce ne sont que des incidents qui surviennent au cours de ces sketchs sur le tournage et qui ne créent pas de véritable continuité logique.
Toutefois, cette deuxième partie est néanmoins loin d'être inintéressante car elle développe davantage la mythologie de cet univers. Dans La Mélancolie, on découvrait l'existence de trois organisations différentes (aliens, espers et voyageurs temporels) qui observaient Haruhi chacun de leur côté, chacun avec leur mythologie propre et voyant Haruhi différemment. Un membre de chacune de ces organisations s'était retrouvé embrigadé de force dans la brigade. Ainsi, dans le contexte des activités de la brigade, Nagato, Asahina et Koizumi avaient-ils établis des liens de camaraderie. Mais qu'en est-il à l'extérieur ?
Sans nous l'illustrer directement, l'auteur nous indique que les relations entre ces trois organisations sont plus tendues qu'on ne l'imagine dans l'ombre. Les membres de la Brigade SOS ont liés des liens d'amitié, mais les intérêts de leurs organisations passent avant tout et, si le contexte venait à changer plus tard, ils pourraient très bien devenir ennemis avec une cible commune: Haruhi Suzumiya, quoiqu'elle puisse représenter aux yeux de leurs mythologies respectives. D'une certaine manière, la création accidentelle de la Brigade SOS par Kyon et Haruhi, au-delà de tous les problèmes qu'elle a engendré, pourrait également avoir un impact positif sur ces relations. A voir ce qu'il en est par la suite.
Toujours est-il que, dans le contexte actuel, Kyon découvre que l'apparente camaraderie de Asahina et de Koizumi à son égard pourraient n'être que des actes visant à gagner sa confiance afin de manipuler Suzumiya à leur avantage. Et si Asahina n'était pas cette jeune voyageuse du temps timide et adorable mais une manipulatrice redoutable qui manipule les sentiments de Kyon afin de préserver le futur auquel elle appartient, empêchant ainsi d'autres futurs potentiels ? Et si Koizumi tentait de rallier Kyon à sa vision "divine" de Haruhi (il a plutôt bien réussi jusque là) afin que cette dernière finisse par le devenir véritablement ? Et que ce soit là la véritable raison de tous ces discours métaphysiques qui donnent des migraines à Kyon (et au lecteur aussi accessoirement, le fait que c'est en anglais n'aidant pas) ?
Que Kyon doit-il croire ? La réalité qu'on lui montre et qu'il est naturellement tenté de croire, ou une réalité cachée où certains cachent bien leur jeu ? Nagato semble la seule digne de confiance, mais peut-on aussi s'y fier ? Alors que Koizumi et Asahina tentent de monter la paranoïa de Kyon à l'égard des autres membres de la Brigade SOS et de leurs organisations respectives, celui-ci continue de profiter de la vie lycéenne telle qu'elle lui est présentée, sans chercher à trop se prendre la tête, mais il a désormais pris conscience de cette menace et des infinies possibilités entourant les pouvoirs de Haruhi.
Après, je vais m'attarder un peu sur la dimension métaphysique de ce second roman. Je ne surprendrais personne si je dis qu'à ce stade, je ne trouve pas que Les Soupirs soit une suite à la hauteur de l'originale. Toutefois, je dois reconnaître que l'auteur avait eu une idée de départ originale et que son histoire colle bien à l'ambiance de la série, mais d'une manière détournée. En effet, si la dimension fantastique de La Mélancolie était présentée au premier degré (si on peut dire...), dans Les Soupirs, elle entre dans le cadre d'une mise en abîme. Dans le premier roman, l'univers fantastique était le monde en place tandis que le monde réel n'était qu'une illusion qui était progressivement brisée dans l'esprit de Kyon. Dans cette suite, l'univers fantastique rêvé par Haruhi entre dans le cadre de son film, ce n'est qu'une fiction, tandis que l'univers (relativement) réaliste est celui du tournage.
L'immersion des éléments d'un monde dans un autre, causant le déréglement de l'ordre naturel, rappelle la plongée progressive dans le fantastique du premier roman. Et, alors que le narrateur Kyon vivait cette plongée dans La Mélancolie, avec une perception du monde qui évoluait entre le début et la fin du roman, ici les nombreux discours métaphysiques de Koizumi ont pour but de lui maintenir les pieds sur terre et de ne pas confondre ce qui est réel et ce qui ne l'est pas, tout en mettant en garde que ces éléments surnaturels pourraient devenir la norme si Haruhi venait à reconnaître leur existence, ce qui reviendrait à la naissance d'un nouveau monde.
Bien entendu, Asahina a une compréhension bien différente de ces phénomènes (et Nagato n'exprime pas vraiment d'avis pour sa part), mais la vision de Koizumi est fortement mise en avant dans ce roman et c'est elle qui détient les clés de cette affaire, ce qui fait qu'il n'y a pas vraiment de balance entre les trois groupes dans le cas présent. C'est peut-être l'une des faiblesses de ce roman, mais ça permet néanmoins d'éviter de perdre le lecteur en le maintenant dans une compréhension bien définie des événements.
Et j'arrête là, parce que je sens que j'ai déjà perdu ceux qui me lisaient.
Au final, si vous avez tenu jusque là, mon avis sur ce second roman,
Les Soupirs de Haruhi Suzumiya, est celui d'un échec relatif. Echec car l'histoire en elle-même (le tournage et tout ce qui tourne autour) n'est pas très intéressante, bourrée de longueurs, et que je pense qu'elle aurait mieux tenu sur une (longue) nouvelle (une petite centaine de pages) que sur un format de roman (200 pages dans le cas présent). Echec aussi parce qu'il ne se rapproche jamais du très bon niveau du premier opus alors que c'est tout ce qu'on espérait de cette suite (l'ambiance elle-même est assez différente). Même l'humour, présent, a clairement perdu de sa superbe depuis l'ouvrage précédent, divertissant tout au plus mais jamais jubilatoire comme avant. Toutefois, cette suite a le mérite de continuer développer efficacement la mythologie du titre à partir des éléments précédemment installés, révélant ainsi un univers riche au potentiel énorme.
D'une certaine manière, avec la métaphore du tournage d'un film, l'auteur avait trouvé une métaphore pertinente pour illustrer les thématiques de sa série, tout en établissant un certain parallèle avec La Mélancolie. Malheureusement, c'était une fausse bonne idée et je regrette qu'il n'ait pas réussi à composer une histoire suffisamment solide derrière pour appuyer cette métaphore. L'histoire est aussi chaotique que celle du film réalisé par Haruhi, ça part dans tous les sens sans aucune cohérence, l'auteur suit de multiples directions sans aller nulle part. Pour résumer simplement, l'auteur ne réussit pas à nous raconter l'histoire du tournage de ce film, à nous y faire croire. Il n'a pas réussi à composer une véritable histoire qui soit à la fois intéressante et cohérente, si bien que j'ai souvent eu l'impression que c'était toujours les mêmes scènes (de combats ou de romances) qui ressortaient sans cesse, tournant en rond sans cesse et sans pouvoir sentir la fin de ce tournage s'approcher. Les seuls moments où je ne me suis pas un peu ennuyé sont ceux où le fantastique se manifestait.
Un livre donc qu'il fallait que je lise pour son intérêt mythologique sur l'univers de la série, mais que je n'ai pas trouvé particulièrement intéressant en lui-même. Ca ne serait pas un livre de la série des Haruhi Suzumiya, l'intérêt serait quasi-inexistant. Là, au moins, je peux me dire que ces éléments font référence à quelque chose de déjà connu (et qui a fait ses preuves) et qu'ils pourront être exploités de manière plus convaincante dans les histoires suivantes.
En bonus, on trouve une dizaine d'illustrations en noir et blanc durant le roman et quelques unes en couleurs à la fin de l'ouvrage, comme d'habitude.
Sur ce, je tourne la page de ce second roman décevant (qui m'a en plus rappelé l'étrange et déroutant épisode 0 de l'animé, pas vraiment le meilleur moyen de découvrir cette série) et je vais continuer ma lecture des livres de la série en espérant que le troisième volume,
L'Ennui de Haruhi Suzumiya (The Boredom of Haruhi Suzumiya), soit moins décevant. Il s'agit cette fois d'un recueil de quatre nouvelles prenant place chronologiquement quelque part dans l'intervalle de six mois séparant les événements de La Mélancolie et ceux des Soupirs.
PS:
ce manga réserve de bons moments sans se prendre la tête. On est malgré tout loin d’un chef d’œuvre.
J'aurais dû lire les mangas finalement !