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Tome 1:
L'année 2014 commence de façon mouvementée chez les éditions Ki-oon, qui ont revu leur logo et ont mis en place dans leur catalogue un système de collection. Pour inaugurer la collection Kids, qui comme son nom l'indique nous proposera des séries visant prioritairement le jeune public, l'éditeur nous amène une série emblématique du genre sur ces dernières années : Animal Kingdom, Doubutsu no Kuni de son nom original, lauréat du prestigieux prix jeunesse de Kôdansha l'année dernière, dont le dernier tome (le 14ème) sortira au Japon en mars, et qui marque le retour en France de Makoto Raiku, l'auteur de Zatchbell.
Avec sa couverture ultra colorée, le premier volume attire forcément l'oeil. On y voit un bébé tenu à bout de bras par une mignonne bestiole bizarre, avec en fond tout un tas d'animaux et un décor qui s'apparente à une jungle... Et pour cause : c'est bel et bien dans une jungle que prend place la série, pour une histoire qui n'est pas sans évoquer Le Livre de la Jungle ou Tarzan (jusqu'au nom du bébé).
C'est dans cette jungle que vit Monoko, une jeune raton-laveur qui a été adoptée par les parents de son ami Dengo, depuis que ses propres concepteurs ont été sauvagement dévorés par des chats sauvages trois mois plus tôt. Tentant courageusement d'oublier ce drame, elle a un jour la surprise de découvrir un bébé humain, abandonné dans un panier dérivant sur la rivière. Elle ne sait pas du tout qu'il s'agit d'un humain, car dans la jungle, il n'y a aucun humain. Mais, touchée par cette petite frimousse, elle décide de l'adopter et de devenir sa nouvelle maman... avec tout ce que ça implique : il lui faudra convaincre les vaches de lui laisser prendre du lait pour nourrir le bambin, prendre soin de lui... et, surtout, le protéger des innombrables dangers de la jungle, comme les chats sauvages, les chacals... et l'imposant Croc-Noir, un chat sauvage encore plus sombre et gigantesque que les autres.
Animal Kingdom démarre assez vite, et à vrai dire ses premières pages pourront paraître bizarres. On y découvre notre héroïne raton-laveur, Monoko, dotée d'une bouille assez spéciale (Tony Chopper semble être passé par là)... tout comme ses autres compagnons ratons-laveurs, et notamment Poivron et ses bouclettes blondes qui sortent d'on ne sait où... En réalité, on a un peu l'impression d'avoir affaire à des humains déguisés en ratons, ce qui donne une impression un peu étrange au départ... avant qu'on ne s'y habitue très vite, car dans cette jungle, Makoto Raiku a une façon bien à lui de croquer les animaux ! Si les méchants de base, comme les chats sauvages et les chacals, témoignent d'une volonté de l'auteur d'être assez proche de la réalité (Raiku avoue s'inspirer de photos pour les dessiner), ils restent dessinés à la sauce Raiku, donc de façon assez personnelle, avec des traits bien marqués et une grosse dose de nekketsu. Par contre, l'auteur se laisse aller un peu plus dès lors qu'il croque ses principaux héros. Bien sûr, il y a les ratons-laveurs comme déjà dit, mais il y a aussi et surtout Croc-Noir, un chat sauvage pas comme les autres, à la réputation très sombre, et à la dégaine impressionnante : gigantesque, au pelage sombre et empli de cicatrices, avec néanmoins un regard très félin, et capable de se redresser sur deux pattes, il en impose sévère et regorge de charisme... Il est aussi l'occasion pour Makoto Raiku de dévoiler toute la verve de son univers visuel, encore plus quand on voit le gros matou combattre et mettre d'énormes coups de patte à ses ennemis... Ajoutez à cela des décors assez présents et assez variés (forêt dense, rivière, endroits éclaircis par la nuit étoilée...), et on obtient un rendu visuel très immersif, attachant, et déjà capable de grosses envolées nekketsu.
C'est donc dans ce cadre que vont évoluer nos personnages. Une jungle assez personnelle, puiqu'avec des créatures aux dégaines plus stylisées que réalistes, et ponctuée d'animaux qui ne vivent normalement pas ou peu dans la jungle... Mais surtout une jungle très dure, où la loi du plus fort règne, à l'image des faibles parents de Monoko qui se sont faits dévorer par les chats sauvages, des dangers tombant sur le bébé ou sur Monoko quand elle part seule chercher du lait, ou tout simplement de ce bambin qui a été purement abandonné... Qu'on ne s'y trompe pas : en filigranes, Makoto Raiku nous offre un univers très dur, où le danger peut surgir de partout... Après tout, on est dans une jungle, et c'est un grand plaisir de voir que l'auteur ne prend pas ses jeunes lecteurs pour des idiots, on n'occultant pas les dangers et les moments plus durs (mais il sait aussi se modérer, rassurez-vous).
Suivre Monoko dans cet univers a quelque chose de très touchant et prenant. Elle qui a perdu ses parents et se reproche d'être faible, la voici elle-même "maman", avec tout ce que ça implique de responsabilités, d'efforts à faire et de risques à prendre pour veiller sur le bébé. Elle est évidemment loin d'être parfaite, le bébé en a lui même conscience, mais elle fait de son mieux, ne lâche rien, et va passer par toutes les émotions possibles et imaginables. A sa manière, elle est nekketsu à fond, le prouvera par exemple en fin de tome face aux chacals... Et de façon plus universelle, elle est un joli hommage aux efforts que peut faire une mère pour son enfant.
Et c'est dans ce cadre excellemment campé que le bébé nous apporte déjà les surprises qui feront sûrement tout le sel de la série par la suite. Car ce petit bout d'humain a une particularité, et pas des moindres : dans une jungle où les différentes espèces sont incapables de se comprendre, le bambin a le pouvoir de comprendre et parler les différents langages de tous les animaux. Il faut se dire que la métaphore de notre monde n'est jamais très loin : après le petit hommage à l'effort maternel et la description d'une jungle dont les dures lois ne sont pas si éloignées que ça de notre réalité, voici le problème du langage et de la compréhension de l'autre, qui peut nuire profondément en amenant la haine et la peur entre différentes espèces qui ne se comprennent pas... Ici, on devine déjà que le bébé, qui sera amené à grandir et peut sans problème comprendre l'autre, va modifier en profondeur la loi de la jungle. Et il nous le prouve déjà dans ce tome 1 : tous les ratons-laveurs ont peur de l'immense Croc-Noir, mais est-il réellement mauvais ? La réponse arrive très vite, pour un focus court mais largement suffisant sur cet animal si imposant.
Dès son premier volume, Animal Kingdom impose un univers ultra prenant. Ses personnages sont capables d'être mignons et amusants pour toucher le jeune public, tout comme ils peuvent en imposer sévère (aaah, Croc-Noir) et se lancer dans des défis déterminés ultra émotifs (Monoko en est la plus belle preuve) nourris au nekketsu, pour une histoire très bien huilée, rythmée, qui ne prend jamais ses jeunes (et moins jeunes) lecteurs pour des idiots, et qui laisse déjà entrevoir toute une réflexion universelle et humaniste sur notre monde. Rien que ça !
C'est donc avec beaucoup d'intérêt que l'on va découvrir la suite des aventures du bébé, de Monoko, de Croc-Noir et des autres, en espérant que se confirment les grandes qualités d'une oeuvre qui a déjà tout en main pour figurer parmi les incontournables de cette année.
L'édition de Ki-oon est excellente, que ce soit côté traduction ou côté impression. En ce qui concerne la couverture, cette fois-ci le nouveau logo de l'éditeur s'intègre très bien, et il faut aussi noter la modification de couverture par rapport à l'édition japonaise. On devine que Ki-oon adaptera la plupart des jaquettes pour notre public, les couvertures japonaises n'étant pas toujours des plus attractives...