Daisy - Lycéennes à Fukushima

Shojo, josei, yuri, yaoï... En d'autres termes voici la rubrique regroupant les genres de manga destinés à un public féminin!
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Koiwai
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Daisy - Lycéennes à Fukushima

Message non lu par Koiwai » 28 mai 2014, 22:28

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La fiche sur le site


Tome 1 :

Fumi est une lycéenne brillante aux études, si bien que plusieurs portes devraient s'ouvrir à elle quand elle devra faire son choix d'université. Moé, fille d'une famille aisée, est belle et a tout pour réussir. Ayako, dont les parents tiennent une modeste auberge, est une geekette qui s'assume et a plus d'un talent dans ce domaine. Quant à Mayu, dont le père cultive du riz depuis plus de 20 ans, elle rêve d'aller travailler à Tokyo, dans le magasin de ses rêves. Quatre lycéennes assez différentes et quelque part complémentaires, qu'une forte amitié lie, à tel point qu'elles ont monté ensemble un club de musique supervisé par la prof Nacchan, et où elles s'entraînent sous leur nom de groupe, Daisy.
Tout va bien pour elles, elles vivent leur quotidien dans une certaine insouciance... jusqu'au jour où tout bascule, car elles ont eu le malheur de vivre à Fukushima. Le séisme du 11 mars 2011 puis, surtout, la catastrophe de la centrale de Fukushima Daiichi quelques jours plus tard, balaient soudainement leur bonheur insouciant et leurs certitudes envers l'avenir. Alors que nombre de personnes ont disparu dans le tsunami, les 4 amies ont eu la chance de survivre, mais sont loin d'être sorties d'affaire pour autant. Un mois et demi après la catastrophe de la centrale, beaucoup de monde a encore peur de sortir. La radioactivité a contaminé les terres, les parents n'osent pas laisser leurs enfants jouer à l'extérieur, les déménagements loin de la région se multiplient en laissant derrière les souvenirs et des villages alentours déserts, et ceux qui restent portent des masques. Fumi, elle, a toujours peur de sortir dehors, mais à l'aube de sa dernière année lycéenne, elle sera bien obligée de retourner au lycée. Sur place, ses trois amies l'attendent, prêtes à la soutenir et à repartir ensemble sur un élan optimiste. Elles redonnent vie à leur groupe Daisy, veulent croire en l'avenir... à moins que la réalité ne les rattrape.

Cela fait maintenant plus de trois ans que les catastrophes du 11 mars 2011 et de Fukushima ont eu lieu, laissant un souvenir qui risque de s'atténuer au fil des années... à moins que des oeuvres ne viennent témoigner pour nous dire de ne pas oublier, de prendre conscience, et de chercher des solutions à un problème qui, quel que soit notre rapport à lui, nous concerne tous. Du côté du manga, quelques oeuvres ont déjà plus ou moins percé, mais le tabou entretenu par le gouvernement japonais n'est pas toujours facile à éviter. Un auteur comme Boichi a pris le problème en parallèle en tentant, dans H.E, de développer différentes idées pour remplacer le nucléaire, tandis que Tetsu Kariya, osant aborder le problème de front dans son manga Oishinbo, a été poussé à stopper temporairement sa série pas plus tard qu'en ce mois de mai 2014 (voir ce lien : http://fr.canoe.ca/hommes/culture/archi ... 13954.html ), preuve que le tabou est toujours vivace trois ans plus tard. Mais c'est du côté du shôjo que l'on découvre ce qui est à ce jour le plus brillant témoignage manga traduit en français sur le sujet. Evitant la censure, Reiko Momochi brise la loi du silence en abordant le problème Fukushima de l'intérieur avec Daisy, série en deux tomes. Motivée par la lecture du roman "Pierrot" et par sa volonté d'honorer son défunt père originaire de la région de Fukushima, la mangaka, accompagnée de son rédacteur originaire de la ville-même, commença par recueillir à partir de l'été 2012 de nombreux témoignages des habitants, autant enfants que parents et enseignants. Si les personnages de Daisy sont inventés, leurs tourments sont donc on ne peut plus réels.

"Depuis 28 ans que je fais pousser du riz... je ne pensais pas qu'un jour... on me traiterait d'assassin.

Daisy nous plonge donc dans le quotidien de quatre adolescentes qui, à l'aube de leur vie d'adulte, ont vu leurs certitudes et leur insouciance balayées. Mais elles sont ensemble, toutes les quatre, ont le désir de repartir de l'avant... mais une vie normale est-elle encore possible pour elles ? Désormais, elles doivent constamment se confronter à des problèmes les replongeant dans la détresse. Même si le riz cultivé sur les terres de Fukushima passe les contrôles sans problèmes, la défiance est partout. Et en plus des habitants qui partent vivre ailleurs, les visites ne se font plus dans la région, au risque de faire disparaître les petits commerces comme les auberges. Il y a beau y avoir des signes de soutien de l'extérieur, il y a également autant de réactions virulentes et dédaigneuses, comme celle que connaîtra la famille de Mayu, ou la cruelle désillusion amoureuse de Moé. Ils ont beau vouloir simplement reprendre une vie normale, les jeunes filles et autres habitants de Fukushima sont constamment tourmentés, obligés de se demander si le gouvernement ne leur ment pas, si leur terre est réellement encore habitable, si le périmètre de sécurité autour de la centrale est vraiment fiable, si les dirigeants du pays leur viendront réellement en aide autrement que par le biais d'une aide financière quasiment symbolique... Nos héroïnes doivent faire face au regard des autres et aux préjugés sur leur contamination, elles doivent affronter tant bien que mal les épreuves mises sur leur chemin par la catastrophe mais aussi par leurs pairs, parfois hypocrites. Et cela a forcément un impact sur leur entourage, et sur elles-mêmes. Les tourments sont toujours plus profonds, les faillites menacent, les familles se déchirent parfois sans savoir quoi faire, les incertitudes sur les choix d'avenir se font plus fortes... Le désespoir a vite fait de revenir au galop, pouvant pousser aux extrémités les plus tragiques. Mais il faut soutenir ses proches, ses amis, sa famille, tant bien que mal, et ne pas laisser tomber. Plus d'une fois, Fumi, Mayu et les autres montreront à quel point elles peuvent être fortes et touchantes, en prenant parfois des décisions rudes mais justes.
Il reste néanmoins, à plusieurs reprises, l'espoir. L'espoir amené par des aides sincères, par une volonté de reconstruire et d'effacer le drame. Certains personnages comme le petit ami de Nacchan ou le courageux Tamaki sont là pour montrer que tout le monde n'en a pas rien à faire. Certains passages, comme la petite vengeance envers le petit ami de Moé, sont aussi là pour montrer que ces adolescents ont encore toute leur dignité et leur humanité. Et puis il y a cette amitié entre les quatre héroïnes, amitié qui, malgré les épreuves parfois très houleuses, perdure.

Simplement, Reiko Momochi, qui semble avoir parfaitement emmagasiné les nombreux témoignages, a pensé à tout, aborde son sujet sous toutes les coutures, présente autant les tourments que les signes d'espoir avec un talent admirable, tant ses personnages sonnent juste. Cerise sur le gâteau : un récit qui, grâce à cette richesse et à cette profonde plongée dans la psychologie des lycéennes, parvient à émouvoir en profondeur sans tomber dans le pathos.
Emballer le tout sous forme de shôjo n'était en plus pas forcément gagné, mais la mangaka y est joliment parvenue. L'introspection si chère au genre est présente, le style graphique sait capter l'essentiel, et l'on devine même de légers sentiments, notamment ceux, porteurs d'espoir, qui se créent doucement entre Fumi et Tamaki. le tout sans tomber dans les plus gros clichés du genre, ce qui rend la lecture abordable pour tout public.

Servie dans une jolie édition ponctuée d'une belle postface de 7 pages signée Karyn Nishimura-Poupée, Daisy - Lycéennes à Fukushima est une oeuvre choc, absolument essentielle, qui touche juste, prend aux tripes autant qu'elle soulève les consciences.
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Luciole21
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Re: Daisy - Lycéennes à Fukushima

Message non lu par Luciole21 » 05 juin 2014, 11:37

Pas entièrement d'accord avec cette chronique. Pour moi l'intérêt du manga est dans l'aspect tranche de vie historique, puisque encrée dans la réalité post Fukushima. De ce côté là, c'est très réussi (d'un point de vu formel), on comprends bien les difficultés que les habitants doivent surmonter, leurs dilemmes, les réactions du reste du Japon vis à vis des sinistrés etc...
Passé ce côté documentaire, je trouve le manga assez ennuyeux. Les relations entre les personnages me paraissent surfaites, d'une mièvrerie qui nuit au côté réaliste, qui empêche au final de plonger dans une histoire à part entière, une histoire qui au lieu de n'être qu'un documentaire maladroitement mis en scène, ferait la jonction entre la fiction et la réalité, pour un résultat qui là, aurait été parfait.
À lire tout de même.
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Re: Daisy - Lycéennes à Fukushima

Message non lu par Koiwai » 01 août 2014, 10:04

Tome 2 :

Fumi, Moé, Mayu et Ayaka étaient des lycéennes comme les autres, proches amies et passionnées de musique au point de monter un groupe. Mais leur vie a basculé le 11 mars 2011, parce qu'elles vivaient à Fukushima, à seulement 60 km de la centrale nucléaire du même nom. Depuis le jour de la triple catastrophe, tout a changé pour elles. Face aux informations contradictoires et insuffisantes sur la situation réelle, elles ne savent pas comment réagir, comme tout le reste de la population de la ville, et leur vie de groupe a manqué d'éclater.
Après avoir suivi ses parents jusqu'à Tokyo pour y subir les craintes de contamination d'un petit ami qui l'a plaquée, Moé a voulu mettre fin à ses jours et a fini par quitter la ville, restant néanmoins en contact avec ses trois amies.
Ne supportant plus de voir son père, riziculteur amoureux de son travail, bafoué par la baisse de ventes et par les insultes de personnes l'accusant d'être un assassin en vendant du riz peut-être contaminé par la radioactivité, Mayu a pris une décision forte, renonçant à ses rêves tokyoïtes pour reprendre l'affaire familiale et soutenir sa famille. Elle ne s'en rend pas forcément compte, mais ses amies, elles, la trouvent pus radieuse que jamais depuis ce choix, qui a éveillé en elle une forte prise de maturité.
Quant à Ayaka, ses parents aubergistes sont proches de devoir fermer boutique, plus aucun touriste ne venant dans la région. La situation de sa famille s'est sérieusement dégradée, le divorce n'est pas loin, et l'adolescente devra peut-être choisir entre suivre son père ou aller avec sa mère, quitter Fukushima et ses amies ou rester. Mais une troisième solution pourrait s'offrir à elle, elle pourrait bien finir par trouver sa voie, savoir ce qu'elle veut faire de sa vie, en entrant en contact avec un groupe de bénévoles et des enfants réfugiés. A son tour, Ayaka semble reprendre les rênes de sa vie, se retrouver un rêve. A moins que sa situation familiale ne l'en empêche...
Et Fumi, dans tout ça ? Pendant que ses amies avancent toutes à leur manière, elle reste bloquée, ne sachant que faire face à l'avenir qui s'annonce. A son tour, elle devra pourtant trouver le chemin qu'elle souhaite prendre, l'avenir qu'elle souhaite se construire, en observant le courage de son entourage malgré les vies et les rêves qui se brisent, et en constatant, jour après jour, que le drame de la centrale n'a pas fini de conditionner leur vie, malgré ce que dit le gouvernement.

Depuis la catastrophe, les mois continuent de passer, et les adolescentes de Daisy poursuivent leur évolution, tentant de se reconstruire des rêves d'avenir. Au jour le jour, elles observent le quotidien brisé de la vie à Fukushima dont elles font partie. Après les problèmes familiaux, les préjugés, les insultes ou les doutes personnels, Reiko Momochi, se basant sur les témoignages recueillis, continue de portraire les nombreux problèmes enclenchés par la catastrophe. Au lycée, les filles font la connaissance d'Inoué, un élève "satellite", un réfugié qui vivait dans la zone sinistrée proche de la centrale avant d'être redirigé dans ce nouvel établissement scolaire, se retrouvant par la même occasion séparé de ses amis, et de ses parents qui ont trouvé un travail ailleurs. Pas loin de chez elles, elles découvrent l'existence d'un camp de réfugiés de 400 personnes vivant comme elles le peuvent dans les logements de fortune qui leur ont été offerts. Et les jeunes filles ne peuvent qu'observer, en y apportant un peu de lumière comme elles le peuvent, ce quotidien précaire où tous tentent de survivre courageusement et avec l'entraide, sans jamais montrer leur douleur pour ne pas plomber le grand groupe. Certains, comme le vieux Kûma qui a dû se séparer de sa femme à la santé fragile, affichent encore l'espoir de pouvoir un jour retourner chez eux, là où ils ont toujours été, là où est leur place. Mais les rêves les plus forts peuvent parfois cacher le plus terrible des malaises, surtout quand rien n'est fait par les dirigeants pour faire changer les choses et rassurer la population...

Au fil des pages, la mangaka continue donc de dépeindre avec une minutie admirable le ressenti de ses nombreux personnages, touchés de près ou de loin, directement ou indirectement, par la catastrophe. Certains s'affirment, affichent clairement leur envie de reprendre leur vie en main, quitte à sacrifier certains rêves pour s'en forger d'autres. D'autres, malgré leur désir de se montrer courageux, craquent jusqu'à commettre le pire. Avec des dialogues fins et des pensées profondes, qui tapent là où il faut, Reiko Momochi dose avec beaucoup de justesse, sans pathos, les nombreuses émotions qui passent chez les protagonistes : l'espoir apporté par des petits moments de bonheur, par de nouvelles rencontres parfois salutaires et par des amitiés fortes qui persistent et se fortifient encore, l'envie d'y croire avec des objectifs qui se redessinent, la tristesse face aux drames les plus durs, l'incompréhension face à certains rêves qui se brisent et face au silence et à la désinformation d'un gouvernement qui enterre bien vite un problème très loin d'être réglé.
Malgré tous les problèmes, les héroïnes de Daisy, soudées, ont pris conscience de l'amour qu'elles portent à leur terre natale, elles continuent d'avancer avec énergie et nous disent de ne pas oublier qu'aujourd'hui encore, des personnes se battent pour reconstruire leur vie et leur terre. Mais la situation est ce qu'elle est : face au silence du gouvernement, le mieux est peut-être encore d'agir par soi-même, de reprendre en main un destin qui sera de toute façon lié à tout jamais à Fukushima. A travers les choix d'avenir de Fumi lorsqu'elle trouve enfin quelle voie choisir, Reiko Momochi lance un pavé dans la mare, avec brio, sans avoir peur de briser la loi du silence qui semble s'être instaurée. Le message est clair, fort, tape juste et sans insistance, et vient conclure avec conviction une oeuvre admirable de bout en bout, qui a su lever avec finesse le voile sur de nombreuses vérités souvent ignorées, et qui a surtout su croquer avec minutie, sous tous les angles, les vies qu'elle met en scène, en s'intéressant réellement aux simples humains se cachant derrières les grandes lignes que l'on nous rabâche la plupart du temps sur Fukushima.

Une oeuvre d'une justesse rare, humaine et profonde, tout simplement indispensable, et qui a tout pour rester pendant longtemps l'un des plus précieux témoignages qu'on ait pu voir sur Fukushima, car il s'intéresse à ce qu'il faut, loin des clichés. Le mot de la fin de Reiko Momochi, humble et sincère, touche lui aussi là où il faut, de même que la postface engagée de Michel et Bernadette Prieur, qui soulève plusieurs problématiques intéressantes.
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