Les deux Van Gogh

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Koiwai
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Les deux Van Gogh

Message non lu par Koiwai » 20 mars 2015, 17:27

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Paru au Japon en 2013 dans les pages du magazine Gekkan Flowers puis sous la forme de deux volumes, le titre Sayonara Sorcier a su marquer les esprits dans son pays, au point de remporter le populaire prix "Kono manga ga sugoi" 2014, un prix décerné par un jury de plus de 400 professionnels de l'édition et de la librairie au Japon.
C'est sous la forme d'un seul et unique volume de 384 pages et sous le nom Les deux Van Gogh que l'on découvre chez Glénat cette oeuvre atypique qui revisite sous un ange original une facette du peintre Vincent Van Gogh, et qui a sans doute marqué une étape importante dans la carrière de son auteure, Hozumi, dont c'est la première parution en France.

Pour être plus précis, et comme son nom français l'indique, l'ouvrage ne se centre pas uniquement sur le célèbre peintre Vincent, et se consacre en grande partie à celui qui fut sa plus grande aide : Théodore, son propre frère cadet, largement moins connu mais ayant lui aussi réellement existé. Marchand d'art dans la plus célèbre boutique d'art de Paris Goupil & Cie, il entretient pourtant un rêve allant à l'encontre de son travail et de la très conservatrice Académie des Beaux-Arts qui faisant la pluie le le beau temps dans les domaine artistique à l'époque : arrêter de faire de l'Art un loisir réservé aux plus riches, et rendre celui-ci accessible au peuple.
Théo se met alors à rechercher de nouveaux talents aux techniques révolutionnaires. Loin des sujets nobles des peintres conservateurs, il montre de l'intérêt pour un tableau de pain conçu par un simple boulanger, se rend au Cabaret du Chat Noir de Rodolphe Salis où foisonnent de jeunes artistes aux techniques nouvelles comme un certain Toulouse-Lautrec, cherche à organiser des expositions indépendantes de l'Académie qui, évidemment, ne le supporte pas et va tout faire pour l'empêcher de concrétiser ses projets...

Hozumi accentue clairement l'opposition entre Théo et l'Académie, entre avant-gardes populaires et Art conservateur pour les nobles, afin d'apporter des notes de rythme et de suspense (et cette accentuation apparaît vraiment exagérée par moments, notamment lors de la scène dans l'église) et d'appuyer un peu brutalement l'émotion (des scènes comme la vente du tableau du pain ou les photocopies lancées dans la rue en sont des exemples. Cependant, toutes ces scènes prennent la forme d'un grand cri d'amour envers la liberté artistique, et de manière générale les bases de son histoire séduisent dans leur faculté à rester fidèles aux grandes lignes du contexte de l'époque. Le Chat Noir et Rodolphe Salis existaient réellement et permettaient aux nouveaux talents de s'exprimer librement, de même que Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh étaient à l'époque des artistes d'un genre nouveau. De même, Jean-Léon Gérôme, à la tête de l'Académie, était effectivement réputé pour sa violente opposition aux artistes avant-gardistes, et Théodore était réellement intéressé par les artistes d'avant-garde. Ce contexte a le mérite d'être posé certes avec quelques raccourcis, mais surtout avec une grande clarté rendant le livre totalement accessibles à ceux n'y connaissant rien en peinture (et j'en fais partie). Ainsi, on comprend bien, par exemple, l'impact, le renouveau que pouvaient représenter à l'époque un courant comme l'impressionnisme, et les émotions nouvelels qui en découlent lorsqu'on observe ces tableaux d'un style inédit.

Mais c'est encore plus quand l'Histoire se mêle à la fiction que le récit devient intéressant. Sur les bases réelles qui ont été évoquées, Hozumi construit une vision fictive des frères Van Gogh tellement fine qu'elle pourrait presque paraître crédible. Pourquoi Théo souhaite-il tant briser de l'intérieur le système ? Quel grand projet entretient-il pour Vincent ? Nous découvrons tout cela petit à petit, au fil d'un récit où se dévoilent une vision fictive de l'enfance des deux frères et des liens forts qu'ils entretiennent. Entre admiration, jalousie et rage, Hozumi délivre un portrait poignant, où elle distille encore et toujours des réinterprétations d'événements connus (comme l'oreille coupée de Vincent). Quant à la fin, elle boucle la boucle, ce mélange réalité/fiction, avec beaucoup de malice et d'intelligence.

Les dessins élégants de l'auteure participent également beaucoup au charme du livre. SI Hozumi affine et embellit évidemment les traits des personnages ayant réellement existé pour servir son histoire (Gérôme apparaît très hautain, Théo arrogant, Vincent candide...), on constate qu'elle reste fidèle à leurs principaux traits, notamment pour Gérôme et Toulouse-Lautrec (ce dernier était réellement petit et boiteux, du fait d'une infirmité). Les décors (intérieurs et extérieurs avec les vues des rues parisiennes et de la campagne) d'époque sont fins, détaillés, superbement retranscrits et contribuent beaucoup à l'immersion, de même que la mise en scène assez enlevée, tantôt très posée et élégante, tantôt plus aérée quand on suit les souvenirs d'enfance des deux Van Gogh.

Mêlant avec brio réalité historique et fiction, Hozumi délivre une oeuvre belle et prenante mettant très joliment en valeur (certes de façon parfois exagérée) la liberté artistique et l'impact universel de l'Art, thèmes auxquels elle mêle une vision très personnelle et aboutie des frères Van Gogh.
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