Les Enfants de la Baleine
Posté : 06 janv. 2016, 16:20
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Tome 1 :
Abi Umeda n'est pas une auteure tout à fait inconnue en France : nous l'avions découverte avec Full Set, série sportive qui n'a pas eu la chance d'arriver à son terme dans notre langue. A présent, nous la retrouvons dans un tout autre registre avec sa dernière série en date.
Présent à la fois dans le top 10 fille et le top 10 garçon de la distinction "Kono manga ga sugoi 2015", Les Enfants de la Baleine est donc un shôjo apte à plaire à différents publics (ce qui explique sans doute sa classification seinen chez Glénat), et qui nous plonge dans un univers de science-fiction où la planète ne semble plus être qu'une immense étendue de sable. Quant à la Baleine, c'est le nom du grand vaisseau flottant sur cette mer de sable, et où vivent quelques centaines de personnes ignorant tout du passé. Vivant depuis toujours sur ce navire de glaise balayé par le sable, ils sont divisés entre "non-marqués" et "marqués", c'est derniers ayant l'étrange et inexpliquée faculté de manipuler le saimia, un pouvoir qui naît de leurs émotions. Dès lors, il leur est interdit de laisser s'exprimer ce qu'ils ressentent. Quant à leur espérance de vie, elle est beaucoup plus courte que celle des "non-marqués", et il est rare qu'ils dépassent la trentaine...
Chakuro, 14 ans, est un "marqué". Ne pouvant s'arrêter d'écrire, il est le scribe de la Baleine de Glaise, et prend soin de tout noter sans laisser ses sentiments transparaître dans ses écrits, et tout en espérant qu'un jour ses chroniques seront utiles aux personnes du futur. Son histoire commence par la mort de de la "marquée" qui leur a tout appris, à lui mais aussi à son amie d'enfance Samy. Comme le veut la tradition, personne ne laisse paraître sa tristesse, et la dépouille est laissée engloutie par cette mer de sable dont ne revient jamais vivant.
Tel est le point de départ d'un premier tome qui, dans sa majeure partie, nous laisse cerner petit à petit le monde où évolue Chakuro.
Un monde où la Baleine de Glaise semble bien seule : personne n'a jamais rencontré qui que ce soit d'étranger au bateau.
Un monde où ce vaisseau est doté de lois assez strictes et ne tenant qu'à un fil. Interdiction de laisser s'exprimer ses sentiments. Interdiction d'aller explorer le monde extérieur que nul ne connaît.
Un monde fébrilement régi : un Capitaine est chargé de servir d'intermédiaire entre le peuple et le Conseil des Anciens, des "Non-marqués" ayant dépassé la soixantaine, menant le vaisseau et semblant connaître certaines choses du passé.
Un monde étrangement construit : nul ne sait pourquoi la Baleine n'est pas engloutie dans le sable, et comment elle a été bâtie. En tout cas, en son sein existe le "corps", un souterrain où le saimia, sans que l'on sache pourquoi, ne fonctionne pas. C'est là que sont enfermées les "Taupes", ceux qui ont commis des crimes, ont enfreint les règles, dont la curiosité les pousse à vouloir partir explorer le monde extérieur.
Un monde on l'auteure nous laisse le temps de faire connaissance avec les quelques visages animant le quotidien de Chakuro : Samy l'attachante jeune fille qui semble éprise de son ami d'enfance, Suoh le grand frère de Samy et futur Capitaine, Ohni le leader des "Taupes" rêvant de découvrir ce vaste univers de sable...
On peut regretter que certains visages intéressants ne soient pas plus mis en avant, comme la Capitaine Taisha, mais dans l'ensemble Abi Umeta pose de façon très immersive un univers qui a tout pour captiver. Il faut dire que la mangaka met en place un monde rendu très contemplatif par une narration assez posée et neutre, du fait que beaucoup de choses sont narrées comme si Chakuro les écrivait, et qu'il est interdit pour les personnages d'exprimer leurs émotions.
Et cette ambiance un peu froide contraste merveilleusement avec la beauté qui se dégage des planches : les personnages ont des designs fins, voire frêles qui, dans leur regard très riche, dégagent une certaine mélancolie, mais l'ensemble est en même temps assez chaleureux. Et cet univers de sable, lui, profite d'un beau sens du détail, que ce soit pour le design de la Baleine qui ressemble à une cité flottante, pour ces vues infinies sur le sable, ou pour quelques passages d'une beauté simple saisissante comme celui du vol des sauterelles.
Visuellement, c'est donc très prometteur : c'est beau, c'est riche, ça se veut très artistique, ça respire un indescriptible parfum contemplatif.
Et c'est donc dans ce cadre que se mettent en place les grandes thématiques qui devraient joncher l'oeuvre. Des thématiques au parfum écologiste avec ce monde dépourvu d'urbanisation où la petite communauté vit seule dans un certain bonheur, sa contemplation de petits plaisirs naturels comme les sauterelles... Mais également des thématiques humanistes autour du concept de saimia, poussant les humains à ne pas exprimer ce qui fait pourtant leur humanité : leurs émotion,s leurs sentiments. On se demande forcément ce que va donner ce concept.
Dans tout ça, bien sûr, des interrogations arrivent déjà. Pourquoi vivent-ils là ? Pourqui la Baleine de Glaise ne sombre pas dans le sable ? Qu'y a-t-il sous la mer de sable et à ses confins ? Les rumeurs faisant écho d'une ancienne civilisation sont-elles vraies ? Y a-t-il d'autres gens sur la planète ?
Une réponse arrive dès la moitié du tome concernant cette dernière interrogation, quand Chakuro est amené à découvrir, sur une île perdue dans les sables, une étrange jeune fille, qui sera le point de départ réel du récit.
"Le monde extérieur que vous rêvez de connaître est régi par des hommes aux maigres émotions, qui utilisent des soldats sans coeur, pour mener des guerres qui paraissent sans fin."
Mais nous n'en dirons pas beaucoup plus, si ce n'est que le récit commence réellement à s'emballer dans un dernier quart qui marque de par sa soudaine violence guerrière...
Dans ce premier tome, il faut d'abord accepter de se laisser bercer par l'ambiance (ce qui ne sera pas forcément chose facile), pour finir par être captivé par un récit très beau, aux accents humanistes et écologistes, qui devrait réellement nous en montrer plus dans le second tome. Et ça tombe bien : Glénat a bien fait les choses, et le deuxième volume devrait sortir dans deux semaines.
Pour cette série, Glénat a adopté son format le plus petit (celui de Parasite, de Gunnm, des shôjo...), ce qui ne rend pas toujours honneur au travail visuel d'Umeda, d'autant qu'on ne peut pas dire que la qualité d'impression soit exceptionnelle. Celle-ci n'est pas non plus mauvaise, mais on note quelques problèmes de moirage, ainsi qu'une encre qui peut baver un peu. Côté traduction, c'est assez plaisant, dépourvu de gros couac et plutôt dans le ton de la série.