Les Enfants de la Baleine

Shojo, josei, yuri, yaoï... En d'autres termes voici la rubrique regroupant les genres de manga destinés à un public féminin!
Avatar du membre
Koiwai
Rider on the Storm
Messages : 10748
Enregistré le : 18 avr. 2008, 11:52
Localisation : Lille

Les Enfants de la Baleine

Message non lu par Koiwai » 06 janv. 2016, 16:20

Image

La fiche sur le site


Tome 1 :

Abi Umeda n'est pas une auteure tout à fait inconnue en France : nous l'avions découverte avec Full Set, série sportive qui n'a pas eu la chance d'arriver à son terme dans notre langue. A présent, nous la retrouvons dans un tout autre registre avec sa dernière série en date.

Présent à la fois dans le top 10 fille et le top 10 garçon de la distinction "Kono manga ga sugoi 2015", Les Enfants de la Baleine est donc un shôjo apte à plaire à différents publics (ce qui explique sans doute sa classification seinen chez Glénat), et qui nous plonge dans un univers de science-fiction où la planète ne semble plus être qu'une immense étendue de sable. Quant à la Baleine, c'est le nom du grand vaisseau flottant sur cette mer de sable, et où vivent quelques centaines de personnes ignorant tout du passé. Vivant depuis toujours sur ce navire de glaise balayé par le sable, ils sont divisés entre "non-marqués" et "marqués", c'est derniers ayant l'étrange et inexpliquée faculté de manipuler le saimia, un pouvoir qui naît de leurs émotions. Dès lors, il leur est interdit de laisser s'exprimer ce qu'ils ressentent. Quant à leur espérance de vie, elle est beaucoup plus courte que celle des "non-marqués", et il est rare qu'ils dépassent la trentaine...

Chakuro, 14 ans, est un "marqué". Ne pouvant s'arrêter d'écrire, il est le scribe de la Baleine de Glaise, et prend soin de tout noter sans laisser ses sentiments transparaître dans ses écrits, et tout en espérant qu'un jour ses chroniques seront utiles aux personnes du futur. Son histoire commence par la mort de de la "marquée" qui leur a tout appris, à lui mais aussi à son amie d'enfance Samy. Comme le veut la tradition, personne ne laisse paraître sa tristesse, et la dépouille est laissée engloutie par cette mer de sable dont ne revient jamais vivant.
Tel est le point de départ d'un premier tome qui, dans sa majeure partie, nous laisse cerner petit à petit le monde où évolue Chakuro.
Un monde où la Baleine de Glaise semble bien seule : personne n'a jamais rencontré qui que ce soit d'étranger au bateau.
Un monde où ce vaisseau est doté de lois assez strictes et ne tenant qu'à un fil. Interdiction de laisser s'exprimer ses sentiments. Interdiction d'aller explorer le monde extérieur que nul ne connaît.
Un monde fébrilement régi : un Capitaine est chargé de servir d'intermédiaire entre le peuple et le Conseil des Anciens, des "Non-marqués" ayant dépassé la soixantaine, menant le vaisseau et semblant connaître certaines choses du passé.
Un monde étrangement construit : nul ne sait pourquoi la Baleine n'est pas engloutie dans le sable, et comment elle a été bâtie. En tout cas, en son sein existe le "corps", un souterrain où le saimia, sans que l'on sache pourquoi, ne fonctionne pas. C'est là que sont enfermées les "Taupes", ceux qui ont commis des crimes, ont enfreint les règles, dont la curiosité les pousse à vouloir partir explorer le monde extérieur.
Un monde on l'auteure nous laisse le temps de faire connaissance avec les quelques visages animant le quotidien de Chakuro : Samy l'attachante jeune fille qui semble éprise de son ami d'enfance, Suoh le grand frère de Samy et futur Capitaine, Ohni le leader des "Taupes" rêvant de découvrir ce vaste univers de sable...

On peut regretter que certains visages intéressants ne soient pas plus mis en avant, comme la Capitaine Taisha, mais dans l'ensemble Abi Umeta pose de façon très immersive un univers qui a tout pour captiver. Il faut dire que la mangaka met en place un monde rendu très contemplatif par une narration assez posée et neutre, du fait que beaucoup de choses sont narrées comme si Chakuro les écrivait, et qu'il est interdit pour les personnages d'exprimer leurs émotions.
Et cette ambiance un peu froide contraste merveilleusement avec la beauté qui se dégage des planches : les personnages ont des designs fins, voire frêles qui, dans leur regard très riche, dégagent une certaine mélancolie, mais l'ensemble est en même temps assez chaleureux. Et cet univers de sable, lui, profite d'un beau sens du détail, que ce soit pour le design de la Baleine qui ressemble à une cité flottante, pour ces vues infinies sur le sable, ou pour quelques passages d'une beauté simple saisissante comme celui du vol des sauterelles.
Visuellement, c'est donc très prometteur : c'est beau, c'est riche, ça se veut très artistique, ça respire un indescriptible parfum contemplatif.

Et c'est donc dans ce cadre que se mettent en place les grandes thématiques qui devraient joncher l'oeuvre. Des thématiques au parfum écologiste avec ce monde dépourvu d'urbanisation où la petite communauté vit seule dans un certain bonheur, sa contemplation de petits plaisirs naturels comme les sauterelles... Mais également des thématiques humanistes autour du concept de saimia, poussant les humains à ne pas exprimer ce qui fait pourtant leur humanité : leurs émotion,s leurs sentiments. On se demande forcément ce que va donner ce concept.

Dans tout ça, bien sûr, des interrogations arrivent déjà. Pourquoi vivent-ils là ? Pourqui la Baleine de Glaise ne sombre pas dans le sable ? Qu'y a-t-il sous la mer de sable et à ses confins ? Les rumeurs faisant écho d'une ancienne civilisation sont-elles vraies ? Y a-t-il d'autres gens sur la planète ?
Une réponse arrive dès la moitié du tome concernant cette dernière interrogation, quand Chakuro est amené à découvrir, sur une île perdue dans les sables, une étrange jeune fille, qui sera le point de départ réel du récit.

"Le monde extérieur que vous rêvez de connaître est régi par des hommes aux maigres émotions, qui utilisent des soldats sans coeur, pour mener des guerres qui paraissent sans fin."

Mais nous n'en dirons pas beaucoup plus, si ce n'est que le récit commence réellement à s'emballer dans un dernier quart qui marque de par sa soudaine violence guerrière...

Dans ce premier tome, il faut d'abord accepter de se laisser bercer par l'ambiance (ce qui ne sera pas forcément chose facile), pour finir par être captivé par un récit très beau, aux accents humanistes et écologistes, qui devrait réellement nous en montrer plus dans le second tome. Et ça tombe bien : Glénat a bien fait les choses, et le deuxième volume devrait sortir dans deux semaines.

Pour cette série, Glénat a adopté son format le plus petit (celui de Parasite, de Gunnm, des shôjo...), ce qui ne rend pas toujours honneur au travail visuel d'Umeda, d'autant qu'on ne peut pas dire que la qualité d'impression soit exceptionnelle. Celle-ci n'est pas non plus mauvaise, mais on note quelques problèmes de moirage, ainsi qu'une encre qui peut baver un peu. Côté traduction, c'est assez plaisant, dépourvu de gros couac et plutôt dans le ton de la série.
Image

Avatar du membre
Koiwai
Rider on the Storm
Messages : 10748
Enregistré le : 18 avr. 2008, 11:52
Localisation : Lille

Re: Les Enfants de la Baleine

Message non lu par Koiwai » 20 janv. 2016, 19:01

Tome 2 :

Au contact de Chakuro et de son peuple, la mystérieuse Lycos retrouve peu à peu des sentiments... mais elle a à peine le temps de les mettre à profit. Alors qu'elle tente de prévenir les Anciens d'une terrible menace qui approche, il est déjà trop tard : des soldats masqués débarquent sur leur petit territoire de glaise, et ouvrent le feu sur tout le monde. En un instant, la vie paisible des habitant de la Baleine de glaise s'effondre, les morts s'accumulent, et Chakuro voit Samy mourir sous ses yeux...

La fin du premier volume nous laissait sur de fortes attentes, tant le rythme de voyait bousculé par l'arrivée soudaine de la violence. La suite de ce bouleversement insondable se poursuit et s'achève avec force. Abi Umeda délivre des images de violence assez dures, sans pour autant que son dessin y perde de sa richesse. Et à l'instar de la plupart des habitants de la Baleine, le lecteur ne comprend pas. Pourquoi tant de violence, soudainement ? Face au drame qui est en train de se jouer, certains "maqués" ne peuvent que laisser exploser leurs sentiments, leurs émotions... et leur saimia.

Si la mangaka, au gré de ses planches toujours aussi belles, nous plonge dans le choc et l'incompréhension, c'est toutefois la toute fin de cette bataille et ses conséquences qui intriguent le plus. Car l'heure est déjà venue de comprendre un peu plus qui sont les agresseurs d'Apathoia, qui est Lycos, et pourquoi les habitants de Phaleina se retrouvent agressés de la sorte. La réponse à cette dernière question puise sa source dans un lointain passé... mais est-ce seulement une raison valable pour abattre tout le monde ?
Et dans ce parfum de mort, certains têtes émergent un peu plus, comme Ginshu de la milice, Masso ou Kuchiba du côté de la Baleine, et, dans le camp adverse, le commandant Orca et surtout le dénommé Leodari. Ce dernier irrite un peu dans sa façon d'être un sadique bien cliché, mais il pourrait s'avérer très intéressant par la suite.

Les conséquences de la bataille, elles, se ressentent surtout à travers les personnages principaux. Tandis que Chakuro reste sous le choc de la perte de Samy et dans l'incompréhension, le choix de Lycos est riche de sens dans la mesure où elle a pu cerner que tout ce que son peuple pensait de Phaleina est faux... mais la haine pourra-t-elle s'arrêter pour autant ? Ohni, qui rêvait tant de voir le monde extérieur, en ressort radicalement changé... Cet amas de violence, est-ce là tout ce que l'extérieur a à lui offrir ? Enfin, le rôle de Suoh et celui de Neri prennent une orientation intéressante, dès lors que les Anciens prennent une décision dramatique concernant la Baleine...

"Sais-tu ce qui fait la beauté du monde ? C'est que les âmes de tous ceux qui y ont vécu se fondent en lui".

Certaines scènes marquent par leur beauté. Tout le passage des visions de Chakuro au contact de Néri, avec ces sortes de tâches autour des cases qui accentuent le parfum de vision, possède une sorte d'onirisme et de mélancolie saisissante. Les doubles-pages, notamment celles mettant en avant l'architecture de la Baleine perdue dans l'immensité de sable, sont sublimes. Et la scène des obsèques des "enfants" morts, brève mais presque contemplative, est superbe elle aussi.
Et tout ce travail sert très bien l'évolution des principaux personnages, ces enfants qui ne sont sans doute pas décidés à se laisser dicter leur vie, leur mort, et leurs émotions. Umeda en profite pour confirmer une vision du monde et des hommes qui risque d'être très intéressante.

Ce deuxième tome, marquant, confirme donc toutes les belles promesses laissées par le premier volume.
Image

Répondre