Princesse Saphir
Caratèristiques: Série de 3 mangas + 1 one-shot (les enfants de saphir) paru chez Soleil
Auteur: Ozamu Tezuka
Genre: Androgyne, Shojo Tezukien, conte de fées de capes et d'épèes.
Il était une fois:
A la suite des facéties de l'angelot Tink, en paradis, un bébé fille va naître avec un cœur surnuméraire, un cœur de garçon. Pour réparer sa gaffe, l'ange est envoyé sur Terre sous forme mortelle, avec pour mission de récupérer le cœur en trop.
Mais l'affaire ne va pas être si simple. Car la ravissante Saphir est née princesse de Silverland, et la loi exige que le trône ne puisse revenir qu'à un héritier mâle. Pour déjouer les manigances du sinistre duc Duralumin, et de son comparse, Lord Nylon, Saphir devra donc être élevée en garçon
Duralmin et Nylon: les usurpateurs
On est ici dans un conte de fée rocambolesque:
Le "prince" Saphir "déguisée" en fille rencontre son prince prince charmant, héritier du trône de Goldland (nommé Franz Charming ) au bal costumé. Le père de Saphir meurt, elle est démasquée, jetée en prison, s'évade, joue les justiciers masqués, se fait recapturer et rencontre Dame Héri qui convoite son cœur féminin, Saphir est sauvée par Tink, s'évade encore et... on a a peine depassé le premier demi-volume et bien des combats, potions magiques et autres mariages forcés nous attendent. C'est dire que Tezuka ne perds pas de temps dans sa mise en place des personnages (faut dire que le postulat est simple: les bons sont vertueux et les méchants trés vils). L'histoire est naive par son coté conte de fées mais l'interet est la contrainte que s'est donnée Tezuka.
La mise en page reste enlevée, même si on découvre l'embryon de la mise en page shôjo manga typique: gros plans sur la tête des protagonistes, petites fleurs et étoiles romantiques — ici, soyons justes, souvent liées à la magie — images de l'héroïne en pied, pour qu'on puisse admirer ses costumes. (c'est pas le fort de Tezuka). Bref, Tezuka cherche une approche plus romantique, en rapport avec son scénario, sans oublier qu'il s'adresse en priorité à des jeunes filles — même si le succès de l'histoire a considérablement élargi son audience.
Dame Heri: sorcière et mère
Cette astuce va detourner le genre au moment même ou Tezuka le créé dans ce que l'on pourrait appellé le premier shojo manga moderne.
De là, il est facile de repèrer les influences scenaristiques et visuelles:
Le bateau céleste qui fait la navette entre le Paradis et la Terre avec les âmes des nouveaux-nés — le Paradis lui-même semble tiré de L'oiseau Bleu (The blue bird) avec Shirley Temple.
La bonhommie des personnages du studio d'animation Fleischer (betty boop, popeye et superman).
Les ronces et le dragon qu'invoque la sorcière nous rappellent que La Belle au Bois Dormant de Disney est sortie en 1960, soit trois ans avant la refonte du recit (mais je vais y revenir).
On trouve aussi de nombreuses réminiscences de contes de fées occidentaux classiques: Saphir "déguisée" en fille pour aller au bal, Cendrillon en est évidemment la référence. Les contes de Grimm, pour les transformations. Le cœur convoité par Dame Héri rappelle les péripéties de La Petite Sirène d'Andersen.
Ceci dit, de telles influences ne sont pas très surprenantes, puisque Tezuka veut faire du Prince Saphir un vrai conte de fées (mâtiné de cape et d'épée.)
Mais du propre aveu de Tezuka, le declic vient de l'opera du Takarazuka (sa region natale où les operettes sont uniquement interperetées par des femmes. c'est selon ses dires un mélange de comedies musicales "broadway" et de "folies-bergères" *sigh ^^) L’influence du Takarazuka explique en partie ce thème du travestissement de l'héroïne, si présent dans Saphir.
Plusieurs versions:
Ribon no kishi (litt.: le chevalier au ruban) paraît dans Shôjo Club entre 1953 et 1956, avant que Tezuka ne fasse une révision complète de l'histoire entre 1963 et 1966. C'est cette dernère version de princesse Saphir qui est publiée par Soleil. Les mises en pages y sont retravaillées, la sûreté de trait de Tezuka est désormais apparente, et quelques personnages — et l'histoire originelle — ont été modifiés.
La série originale fut dotée d'une courte suite dans Nayakoshi en 1958 (publiée en recueil sous le titre Futago no kishi (il s'agit des "enfants de Saphir")
Une nouvelle version fut ébauchée en 1967, par le studio Mushi de Tezuka (pendant la diffusion de la serie animée) mais ne fut jamais achevée.
Bref, comme souvent pour ses premières grandes œuvres (Tetsuwan Atomu, Jungle Taitei), Tezuka a retravaillé son histoire, dans le but de l'améliorer.
Comme vous l'aurez remarqué "les enfants de S" est anterieur à la version française de "Saphir" ce qui explique le style plus enfantin de ce one-shot ou on developpe les aventures des enfants jumeaux (un gars une fille) de Saphir et son Franz Charming
Le travestissement, théme maintes fois repris:
Succès oblige, ce thème du travestissement va se retrouver dans les futurs shôjo manga (comme je l’indique dans le topic sur Lady Oscar : ). Là aussi, c'est sans doute au premier chef une façon transparente pour les lectrices de pouvoir assumer un rôle actif. L'action, au Japon est alors clairement réservée aux hommes! Leur féminité obligait les héroïnes japonaises à se cantonner aux fonctions qui leur étaient clairement réservées: sportives, artistes, bref, des tâches "féminines".
Les moeurs évoluent avec des série comme ranma 1/2 ou même en fille ranma lutte pour ne pas assumer ce genre de "fonctions" (parfois bien en vain, il est vrai ^^)
Quelque part, c'est simplement cette démarche du travestissement poussée à son terme logique.
On pourrait penser que Le Prince Saphir est une bande dessinée sexiste, puisque la dualité entre les cœurs de Saphir est assez caricaturale: Saphir garçon est un vaillant chevalier, Saphir fille est douce et craintive, visiblement préoccupée de belles robes. C'est à la fois vrai et faux. Tezuka met l'accent, non sur cette définition figée des rôles sexuels, mais sur la lutte intérieure qui naît de la coexistence conflictuelle de ces deux pôles, et qui donne à cette œuvre le caractère unique et la profondeur qu'on associe aux mangas de Tezuka.
En conclusion (ouf, on y est):
Il faut dire que tous les atouts du Maître sont en place. Action, rebondissements multiples, humour, personnages très typés. De plus, sans le moindre complexe, Tezuka se fait plaisir en mélangeant un peu tout: romance (pour Lovehina ) , action (pour Erky ^^), conte de fées (disons pour Oyoooo ), comédie musicale (on va dire pour Shinob ), histoires de pirates (ça c'est pour Floo ), costumes et royaumes d'opérette (pour qui veut, tien Blacksheep, si il vient ), et j'en passe...
Le côté sentimental de l'histoire n'est pas prépondérant (ça rassurera certains ). Saphir traverse les épreuves quasi-initiatiques que doit subir tout héros de contes de fées — mort, transmutation, travaux pénibles, emprisonnement, obligation de garder un secret même de l'homme qu'elle aime, etc. mais ça en fait une histoire attachante et indemodable que l'on racontera encore a nos petits n'enfants ^^
En esperant que ce manga vous aura plu, bonne lecture ^^
PS: Tezuka supervisa aussi en 1967 l'adaptation en dessin animé de la série par son studio Mushi, en collaboration avec Masaki Tsuji. Là aussi, le succès fut général et mondial. Le Prince Saphir — en couleurs — fit partie, avec Maya l'Abeille, des premiers dessins animés japonais diffusés à la télévision française, dans les années soixante-dix. Le générique original fut préservé, avec l'appel de flûte de Tink, mais aucune mention d'auteur n'apparaissait, ce qui me fit supposer à l'époque, pour quelque obscure raison, qu'il s'agissait d'un DA italien. Chaudement recommendé également.
(sources: mangazone 5 et postface princesse saphir 3)