Auteur: Takako Shigematsu
Editeur: Taïfu comics
Collection: Shojo
Une série en 8 volumes
Hikaru Takabayashi n'a qu'un seul rêve : mener une vie aussi discrète que possible, sans se faire remarquer. Mais alors qu'elle intègre un internat pour filles, elle se retrouve camarade de chambre de la coqueluche du lycée, Izumi Kido. Dès lors, toutes les fans d'Izumi l'assaillent de questions. Pauvre Hikaru, elle qui voulait passer inaperçue… Mais son malheur ne s'arrête pas là, bientôt elle découvre que l'idole Izumi est en réalité un garçon !
Et pour conserver son secret, Izumi ne va pas hésiter à la menacer, en compagnie de son dangereux manager, Yasukuni. La vie au lycée s'annonce mouvementée…
Avis:
Portrait d'un héroïne atypique et séduisante
Le postulat de “Tout sauf un ange” n'a rien de bien révolutionnaire: l'histoire se passe dans un lycée, et comme tout bon shojo qui se respecte, nous avons droit aux éternels triangles amoureux (nous en reparlerons plus loin). Néanmoins, j'ai trouvé le personnage d'Hikaru Takabayashi particulièrement intéressant et atypique.
Comme beaucoup d'héroïnes de shojo, Hikaru a vécu un évènement traumatisant dans sa jeunesse. Elle a en effet été victime des brimades de ses camarades de classe lorsqu'elle était une jeune écolière. La raison? Avoir posé en tant que mannequin pour une campagne publicitaire. C'est ainsi que la petite Hikaru s'attira la jalousie de ses amies, qui l'exclurent du groupe, faisant d'elle une Ijime, c'est à dire la tête de turc de toute la classe.
Ce douloureux évènement conditionne aujourd'hui la vie et les relations sociales de notre héroïne qui a désormais 15 ans. Ainsi lors de son arrivée au lycée Seika, Hikaru ne recherche que deux choses: discrétion et tranquillité. C'est pourquoi notre amie n'hésite pas à raser les murs, baisser la tête, allant même jusqu'à dégager ce qu'elle appelle une “aura neutre”. Cette attitude, tout en montrant le traumatisme qu'elle a vécu, provoquera souvent des situations incongrues qui feront souvent sourire le lecteur.
Malheureusement pour Hikaru, sa première rencontre avec Kido lui laisse présager que sa scolarité ne sera pas comme elle l'avait prévue... Sans compter que cette dernière, en plus d'être une Idol en vogue, est sa colocatrice! Et pour couronner le tout, Hikaru découvre, par un malencontreux hasard, le secret d'Izumi Kido... qui est en fait un garçon! Ce dernier ne reculera alors devant rien pour protéger son secret et usera alors d'un stratagème machiavélique pour s'assurer du silence d'Hikaru.
Au début difficile et tendue, la relation entre Izumi et Hikaru va se transformer au fil du temps en sincère amitié. C'est ainsi que notre héroïne taciturne va peu à peu tirer un enseignement de la forte personnalité d'Izumi.
A la base, Hikaru était déjà à mille lieues des héroïnes archétypales que l'on retrouve dans les autres shojo. Le traumatisme vécu dans son enfance ne s'exprime pas par des pleurs et autres effets larmoyants tous les 5 pages. Bien au contraire! La personnalité de notre héroïne, bien qu'effacée, n'en reste pas moins forte et déterminée. Sa rencontre avec Izumi Kido influera sa personnalité dans le sens où elle apprendra à devenir plus spontanée et expressive.
Il faut également noter la profondeur et la complexité du personnage. Hikaru porte un regard plutôt naïf dans ses relations amoureuses et se révèle parfois particulièrement émotive. Pourtant elle sait faire preuve de beaucoup de sang froid et d'une certaine présence d'esprit, notamment lorsqu'il s'agit de défendre le secret d'Izumi: à plusieurs reprises, elle sortira son ami de situations très délicates, n'hésitant pas à hausser la voix, ou plus si la circonstance l'exige. On peut toujours s'interroger sur ce caractère un peu paradoxal... mais force est de constater qu'il donne beaucoup de relief au personnage, sans jamais franchir la frontière de l'invraisemblable.
Enfin, on peut noter une fois de plus la grande force de caractère d'Hikaru qui, malgré ses résolutions, n'hésite pas à replonger dans ce monde de strass et des paillettes dans lequel l'entraîne Izumi Kido. Par rapport à son lourd passé qui lui pèse encore, j'ai été un peu étonné de voir avec quelle facilité notre héroïne s'immerge une nouvelle fois dans cet univers où règne l'hypocrisie. Très rapidement, elle deviendra une sorte de manager pour son ami, secondant Yasunuki Ikunai. Elle ira même jusqu'à suppléer ce dernier en certaines occasions.
En définitive, Hikaru est sans conteste la véritable héroïne de “Tout sauf un ange”. Sa personnalité complexe, mêlant détermination et émotivité, finit par la rendre très attachante et donne un véritable relief à ce shojo doté d'un postulat de base plutôt convenu.
Le phénomène Idol
«Tout sauf un ange!!», avec le personnage d'Izumi Kido, permet au lecteur de découvrir le milieu du show business, et plus particulièrement celui des Idol. Faisons un point sur ce phénomène très présent au pays du soleil levant.
Pour appréhender correctement la mode des idol, il est important de parler de l'une des facettes de la société japonaise: la surconsommation. Malgré l'arrivée d'une période de récession économique, le Japon reste un pays où le pouvoir d'achat est très élevé. C'est pourquoi la publicité est un facteur de communication décisif: au Japon, la pub est en effet partout, et tout est bon pour vanter la qualité d'un produit. C'est à partir de là qu'est né le phénomène des idol.
Une idol (qui veut dire talent) est donc à la base une femme, souvent très jolie, qui va promouvoir la qualité d'un produit dans le cadre d'une campagne publicitaire. Pour trouver la personne idéale, certaines sociétés n'hésitent pas à faire des casting sauvages, à passer des annonces, à organiser des télé crochets... permettant ainsi à de parfaites inconnues de se retrouver sur le devant de la scène et de devenir des «starlette».
Mais ce phénomène se décrit selon deux points: succès fulgurant et éphémérité. En effet, beaucoup d'idol retrouvent l'anonymat aussi vite qu'elles connurent le succès... C'est pourquoi il devient vital pour elles d'occuper le plus possible l'espace télévisuel, en apparaissant dans des émissions TV ou en faisant des campagnes publicitaires... Certaines finissent même par se reconvertir dans la chanson, le manequinat ou la comédie.
C'est ce que nous découvrons dans «Tout sauf un ange» avec Izumi Kido.
Pour se maintenir sur le devant de la scène, Izumi court après les castings et semble s'orienter vers le métier d'acteur: il participe à des courts-métrages sous la direction de réalisateurs talentueux. On peut voir que cette voie n'est pas facile pour lui, et bien souvent il se retrouve fatigué physiquement et psychologiquement, sans compter l'énergie constante qu'il doit fournir pour protéger son secret! Le soutien d'Hikaru ou de Yasukuni devient alors essentiel pour supporter tout ça.
La description faite par Takako Shigematsu de ce milieu est très réaliste et montre donc à la perfection la dureté de cet univers impitoyable, mais aussi l'hypocrisie qui y règne.
Triangle(s) amoureux
C'est indéniable: «Tout sauf un ange!!» est avant toute chose une comédie romantique. Le récit se développe donc selon une multitude d'aventures amoureuses, très différentes en fonction des personnages chez qui elles naissent. Le lecteur a droit à une véritable palette de sentiments, ce qui donne beaucoup de richesse au titre.
On notera également la présence d'un nombre important de triangles amoureux, presqu'aucun personnage n'y échappant!!
Tout d'abord, il y a bien évidemment la relation entre Hikaru et Izumi. Unissant les protagonistes du manga, on ne s'étonnera pas que cette aventure prenne un certain temps à aboutir. Issue du désir d'Izumi, les sentiments de ce dernier toucheront petit à petit notre héroïne. Cette relation, qui nait d'une amitié de deux êtres opposés qui néanmoins se complètent, est profonde et très sincère. Elle est en quelque sorte l'incarnation de l'amour parfait qui survient après de nombreuses épreuves.
Ensuite, on notera la relation qu'entretient Hikaru avec le professeur de musique du lycée Seika, Tsukasa Ayase. Cet amour est sincère mais n'en reste pas moins délicat et disproportionné. Unissant une élève à un professeur, il s'apparente en quelque sorte à «l'amour interdit» et revêt ainsi un manteau d'éphémérité. Néanmoins, il permet à notre héroïne de découvrir pour la première fois les sentiments amoureux, et lui fait donc gagner en maturité.
Enfin, de nombreuses autres relations, plus ou moins entamées mais toujours sincères, constituent également la toile très dense du thème de l'amour dans «Tout sauf un ange!!». On retrouvera ainsi l'archétype de la relation obsessionnelle par le biais des sentiments qu'Hayato porte à Izumi, mais aussi l'amour égoïste de Kaoru pour Hikaru (qui n'a pas hésité à frapper notre héroïne lorsqu'elle le contrarie, allant même jusqu'à la kidnapper!), ou encore l'amour à sens unique d'Ayumu pour son cousin Izumi.
Les amateurs de relations ambiguës sauront également apprécier l'étrangeté des liens qui unissent certains personnages. Il ne faut en effet pas oublier qu'un des thèmes principaux de ce shojo est le travestissement, ce qui induit donc un traitement ambivalent dans la représentation des genres.
C'est ainsi que cette manière dont l'auteur traite l'amour; en proposant à son lecteur une multitude de schèmes dans les relations unissant les personnages; a un double impact: donner beaucoup de richesse à la série tout en lui donnant un aspect très fantaisiste.
Graphismes, narration et adaptation
Sans être révolutionnaires, le style graphique de Takako Shigematsu se veut très soigné. Les traits sont fins et léchés et collent parfaitement à l'ambiance du manga.
Les personnages sont donc très bien réalisés et on peut facilement les différencier les uns des autres. Leur style s'inscrit dans la mouvance shojo, leurs visages étant dessinés de manière anguleuse et dotés de grands yeux. On notera la volonté de l'auteur de vouloir différencier son héroïne, qui est la seule à avoir des cheveux de couleur foncée.
L'intérêt de Shigematsu pour la mode semble également certain. En effet elle fait bien souvent porter de très jolies tenues vestimentaires à ses personnages. Le style vestimentaire d'Izumi Kido, qui fait très «fashion victim», lui donne beaucoup de crédibilité dans son rôle d'idol.
Les fonds sont également détaillés, et les amateurs (trices) de shojo trouveront leur compte en découvrant les classiques petites fleurs ou bulles qui ponctuent les moments les plus romantiques du récit.
La narration de «Tout sauf un ange» se veut particulièrement rythmée et se démarque de la plupart des autres shojo par son efficacité. Les aventures de nos personnages s'enchaînent sans réel temps mort et il n'y a pas d'inégalité scénaristique entre les différents chapitres: le travail de Takako Shigematsu reste très bon et constant. Certains lecteurs pourraient être désorientés par les planches qui sont très surchargées, mais ce souci est assez commun aux shojo.
Concernant l'adaptation, on ne peut que saluer le travail irréprochable des éditions Taïfu comics. La traduction est très bonne et rend la lecture agréable. Les onomatopées japonaises sont traduites en français, ou se retrouvent sous-titrées. Dans tous les cas, le lecteur comprendra toujours ce qu'il se passe. Enfin, on notera la qualité du papier et des couvertures. Du bon boulot!