Etant en plein dans mes visionnages de la série Code Geass en ce moment (je suis en train de revoir l'excellente VO, après m'être tapé une VF que je n'apprécie pas particulièrement sans pour autant être désastreuse), j'ai eu envie de revoir un peu la version manga en parallèle.
J'en profite pour diriger ceux qui s'intéressent à ce titre vers les chroniques du site rédigées par Takato (les chroniques des huit tomes sont présentes, ce qui vous permettra de vous faire une idée sur l'ensemble):
http://www.manga-news.com/index.php/man ... vol-1#tabs
Code Geass - Lelouch of the Rebellion Tome 1
Code Geass - Lelouch of the Rebellion est à l'origine une série animée, par ailleurs excellente, produite par le studio Sunrise, célèbre pour ses séries de méchas comme la franchise Mobile Suit Gundam, pour le classique Cowboy Bebop, ou encore pour la série City Hunter connue chez nous sous le nom de Nicky Larson (oui, c'est eux aussi). Succès oblige, Code Geass a engendré toute une série de produits dérivés, allant des OAV aux figurines et en passant par les incontournables adaptations mangas et autres spin-off de plus en plus dispensable. Chez nous, l'éditeur Tonkam a profité du succès de la licence pour nous sortir la quasi-intégralité des mangas parus, dont plus récemment le spin-off Shikkoku no Renya.
Le manga qui nous intéresse ici est l'adaptation directe de la série animée, donc autant dire que c'est sur celle-ci que la plupart des fans vont se diriger. Déjà, première déception, le manga n'est pas signé des Clamp comme on aurait pu l'espérer (on leur doit les character-designs de la version animée) mais par un auteur obscur du nom de Majiko!. Un choix qui intrigue car, rien qu'à la couverture, on voit tout de suite que son style n'a rien à voir avec celui des Clamp qui rendait instantanément Lelouch mystérieux et effrayant. Le design du personnage dans le manga n'a rien d'imposant et donne au personnage des traits plutôt juvéniles. Avant même la première page, on part donc sur un à-priori qui ne va cesser de se confirmer par la suite.
L'auteur nous avertit en post-face: ce manga a beau être l'adaptation de la série originale, elle se réserve de nombreuses libertés. Sans trop spoiler les surprises qu'il offre aux fans de l'animé (je dirais juste que les fans de méchas peuvent passer leur chemin vu qu'il n'y en a pas l'ombre d'un seul), il me parait juste de dire que la narration n'est plus du tout la même et que de nombreux éléments sont amenés et traités bien différemment. Si je ne peux reprocher à l'auteur d'avoir voulu prendre ses distances pour proposer quelque chose de différent, encore aurait-il fallu que ce soit maîtrisé pour que ça ressemble à quelque chose. Or ici, on sent tout de suite un manque d'inspiration évident. Dès les premières pages, l'introduction des éléments principaux de la série est expédiée comme jamais, sans le moindre traitement pour les installer correctement et leur donner de la consistance. De ce fait, les nouveaux lecteurs se retrouveront face à une somme d'informations colossale dont ils auront bien du mal à faire sens, seuls les fans de l'animé pouvant retrouver rapidement leurs marques. Sauf que ces derniers ne manqueront certainement pas d'être attérés par une succession d'événements rendue confuse, alors que paradoxalement l'auteur simplifie énormément l'histoire. C'est dire l'ampleur du désastre !
L'histoire de base est techniquement la même que l'animé: on est au Japon en 2017. L'empire de Britannia a annexé le Japon sept ans plus tôt, le pays devenant une colonie de l'empire connue sous le nom de Zone 11, tandis que ses habitants sont désignés par le surnom péjoratif d'elevens. Lelouch Lamperouge, en apparence simple étudiant britannien, est en réalité le fils disparu de l'empereur, dégoûté des manipulations politiques de l'empire. Maudissant son sort et celui de sa soeur Nunnally, victime d'un complot qui l'a laissé paralysée, il s'est juré de se venger en détruisant l'empire. Son heure arrive lorsqu'il rencontre une jeune femme, C.C., qui passe un pacte avec lui et lui remet un pouvoir: le Geass, la capacité d'imposer sa volonté à autrui. Avec ce pouvoir, Lelouch met son plan en action et endosse l'identité du terroriste masqué Zero pour diriger une armée de rebelles contre l'empire.
Ce qui donnait sa force au début de l'animé, c'est que Lelouch se trouvait projeté de force dans la lutte entre les terroristes et l'armée de Britannia, forcé d'aider (ou de manipuler) les terroristes pour sauver sa peau. C'est dans le contexte d'une grande bataille épique qu'il s'éveille à la personnalité machiavélique qu'on lui connait. Dans la version manga, les choses ne se déroulent pas du tout de la même manière et les éléments sont amenés sans contexte particulier, si bien qu'ils n'ont pas d'impact particulier et que l'histoire parait bien fade. Lelouch lui-même parait plus humanisé, utilisant son pouvoir pour porter secours à un autre étudiant, quelque chose que le Lelouch de l'animé n'aurait jamais entrepris. Le personnage s'est banalisé, il ressemble davantage à un héros de shonen, alors que la force de l'animé était justement d'en prendre le contrepied avec, dans le rôle principal, un stéréotype de personnage traditionnellement employé dans un rôle d'antagoniste (on sent d'ailleurs que Lelouch est très inspiré de Char Aznable de la franchise Gundam), alors que le stéréotype du héros typique de shonen se retrouvait dans un rôle d'antagoniste.
De manière générale, la plupart des éléments concernant le background de Lelouch sont introduits d'entrée de jeu, sans l'effet de surprise et, parfois, sans traitement. Tout semble tomber comme un cheveu dans la soupe, telle son amitié avec Suzaku qui est citée mais jamais réellement développée en profondeur, si bien qu'on n'y croit pas vraiment. Et c'est symptomatique du reste des personnages, on voit des fonctions plus que des personnages à part entière. Tout ne tourne qu'autour de Lelouch, le reste se contentant de remplir son rôle pour permettre à l'histoire de progresser.
L'évolution de Lelouch est les événements qui l'amènent à devenir Zero sont par ailleurs grotesques quant on connait le manga. La lutte contre le terrorisme, destructrice et meurtrière, telle qu'elle est présentée dans l'animé, devient ici un conflit de cours de récré et le seul exploit de notre héros est de... balancer une échelle. On se demande alors en quoi le fait de balancer une échelle témoigne du génie intellectuel de Lelouch, de sa capacité à défier les probabilités pour réaliser l'impossible. Mais il faut croire que ça suffit pour convaincre une petite lycéenne terroriste qu'il est capable de la faire passer des tags sur les murs à la vraie guerilla. Et là, on se demandera toujours comme notre héros a pu imaginer un seul instant qu'elle lui deviendrait utile vu la merde dans laquelle elle s'est foutue pour pas grand chose. N'importe qui de censé y aurait vu un boulet ! Mais surtout, surtout, l'introduction de Zero est complètement raté ! C'est difficile de rendre un personnage en costume d'opérette imposant. L'animé y arrivait par un vrai travail sur la mise en scène et sur la narration. Dans le manga, c'est juste l'un des moments les plus ridicules que j'ai pu lire. Si on ne peut pas prendre Zero au sérieux d'entrée de jeu, c'est vraiment très mal parti pour notre histoire.
Au niveau de l'univers, on passe l'essentiel du tome au sein de l'académie Ashford. C'est là une des différences majeure avec l'animé: là où les séquences entre l'académie et le terrorisme s'alternaient, notre héros vivant sa petite vie d'étudiant dandy dans une école complètement folle lorsqu'il n'était pas en train de projeter la destruction d'édifices et la mort de milliers de soldats, dans le manga le conflit entre britanniens et elevens s'étend principalement au sein de l'académie qui devient la représentation de la société. Ainsi, plutôt que de nous montrer la société en elle-même avec ses préjudices et ses inégalités, on voit des "fils de..." se faire la guerre au sein de l'école en se prenant pour des durs. L'auteur a ici pris une grosse liberté pour simplifier son univers, mais cela nuit ultimement à l'histoire, le rôle de Suzaku étant en conséquence fortement atténué. Censé être le vilain petit canard de l'académie sur lequel tous les préjudices retombent, il devient ici un eleven parmi tant d'autres, même si les préjudices sont toujours présents et qu'il n'arrive toujours pas à trouver sa place du fait qu'il ne prend partie pour aucune des deux factions.
Pour parler maintenant de l'aspect plus technique, je ne partage pas vraiment le reproche fait en général à ce manga comme quoi les dessins seraient moches. Honnêtement, je les trouve tout à fait corrects, mais par contre il est évident que le style de l'auteur n'est pas du tout adapté. Si beaucoup regrettent le style de Clamp qui collait à merveille à cet univers et à ces personnages, c'est aussi en bonne partie parce que le style de l'auteur n'arrive pas à retranscrire les personnages tel qu'il l'aurait fallu. Ici, les lycéens ont tous des visages juvéniles et un peu rond, à l'inverse des traits très droits qu'on leur connait et qui leur donnait un aspect plus mur. Surtout, les expressions de visage sont assez pauvres en terme de détails ce qui, dans le cas de Lelouch, échoue à rendre au personnage la prestance et la terreur qu'il inspire habituellement.
Mais ce qui m'a le plus choqué personnellement, c'est surtout le travail sur la narration et sur la mise en scène qui est maladroit au possible. Les effets voulus ne fonctionnent jamais et l'inspiration de l'auteur est en panne sèche permanente. Des situations qui sont incroyables dans l'animé deviennent incroyablement banales dans le manga, on perd toute la saveur qui rendait cette histoire si unique. Et c'est sûr que d'installer l'univers et les personnages de manière si expéditive n'a pas aidé, nuisant considérablement à l'immersion progressive dans l'univers. C'est là qu'on réalise plus que jamais à quel point la narration des premiers épisodes était travaillée de manière à installer progressivement le spectateur dans son contexte, de lui présenter les personnages au fur et à mesure et d'introduire les révélations importantes au compte-goutte. C'est autre chose que d'introduire des scènes de quelques cases ou des monologues pour nous faire digérer ces informations en un temps record. Il est vrai que le manga est plus limité en terme de pages que l'animé en terme de durée, mais ce premier tome recouvrant les trois/quatre premiers épisodes, il y avait toutefois matière à faire quelque chose de plus abouti et de beaucoup moins confus.
Que dire au final, si ce n'est que ce tome 1 est très clairement un échec, une adaptation brouillonne au possible qui, en tentant de prendre ses distances avec l'animé pour partir sur une direction un peu originale, s'égare de son sujet dû à un manque de talent et d'inspiration évident. Les fans trouveront là une adaptation du pauvre de leur animé culte, tandis que les autres n'y comprendront probablement pas grand chose à une histoire aussi fouillie. Bref, c'est une catastrophe qui ne rend aucune justice à l'oeuvre géniale dont ce manga est originairement adapté.
"Lelouch vi Britannia vous ordonne: oubliez ce que vous venez de voir !"
Verdict: Médiocre (09/20).