Tome 1:
Après la parution de Silent Love chez Asuka, la mangaka Hinako Takanaga nous revient en France avec sa toute première oeuvre: Rien n'est impossible.
Un soir, alors qu'il sort d'une soirée arrosée avec son collègue de travail Isogai, Mitsugu Kurokawa, un jeune homme comme les autres, croise la route de Tomoé, un jeune étudiant aussi naïf que nonchalant. Ce dernier s'étant perdu dans Tokyo alors qu'il est venu de Nagoya pour passer le concours d'entrée de l'université Waseda, Kurokawa lui propose de passer la nuit chez lui. Mais rapidement, l'employé va se rendre compte qu'il est tombé sous le charme de l'étudiant... Hélas, cet amour n'est pas réciproque ! En effet, touché par la naïveté de Tomoé face aux pulsions qui l'assaillent, Kurokawa ne parvient pas à avouer franchement son amour. Et la situation se compliquera encore lorsque Tomoé, admis à Waseda, viendra habiter en colocation avec Kurokawa...
Voici donc le point de départ de ce nouveau yaoi des éditions Taifu... Yaoi, vraiment ? Pour le moment, les relations entre les personnages restant platoniques, on parlera plutôt de shônen-ai. Reste à voir si ce sera toujours le cas par la suite.
En attendant, ce premier volume de Rien n'est impossible ne propose pas, à première vue, un scénario particulièrement novateur. Néanmoins, la lecture n'en est pas moins agréable, bien au contraire !
La première raison de la réussite de ce premier volume tient dans ses personnages. Ainsi, les lectrices et lecteurs devraient s'attacher facilement à Tomoé, qui, bien qu'extrêmement naïf et efféminé, n'en est pas pour autant tête à claques, notamment grâce à la nonchalance qu'il affiche souvent, y compris lorsqu'il se retrouve dans des situations un peu plus tendues. Kurokawa n'est pas en reste, touchant et amusant de par sa maladresse et la volonté qu'il affiche de ne pas vouloir brusquer Tomoé. Quant à Isogai, sa position plus en retrait et sans véritable parti pris par rapport à l'amour homosexuel et à sens unique de Kurokawa le rendent lui aussi plutôt sympathique. A ce trio viendront par la suite s'ajouter Sô-Itchi, le grand frère de Tomoé, extrêmement protecteur envers son petit frère, un brin colérique, ne supportant pas les homosexuels et ne voyant pas du tout d'un bon oeil la colocation de son frangin avec Kurokawa, ainsi que Rick, un étudiant américain ouvertement gay à 100%, assumant pleinement son homosexualité, recherchant avant tout les plaisirs libertaires... et ayant bien entendu des vues sur Tomoé.
Entre un jeune héros naïf et efféminé qui est le fruit de bien des convoitises mais qui reste encore difficile à cerner quant à ses orientations, un héros maladroit avec ses sentiments et ayant encore du mal à assumer totalement l'homosexualité qu'il vient de se découvrir, un autre homosexuel plus libertin et qui s'assume pleinement, un grand frère protecteur considérant les gays comme des sous-hommes, et un hétéro "basique" perdu au beau milieu de tout ceci, on peut dire que Hinako Takanaga dresse des portraits masculins tous bien différents les uns des autres. De ce fait, chaque personnage se voit doté d'un caractère unique qui lui permet sans difficulté d'afficher une personnalité qui lui est propre. Au final, chacun des cinq principaux protagonistes de ce premier volume se révèle sympathique et intéressant.
Par ailleurs, on se demande si cette multiplicité des orientations et des caractères des différents personnages sera développée sérieusement par la suite par la mangaka. On se pose notamment cette question en ce qui concerne Sô-Itchi, apparemment ouvertement anti-gays. Pour le moment en tout cas, il n'en est rien, l'auteur préférant développer constamment un humour particulièrement efficace. Car en effet, l'humour est sans doute ce qui domine dans ce premier tome. Un humour fortement basé sur les caractères des personnages, justement. Ainsi, la naïveté de Tomoé, les crises de colère et de surprotection de Sô-Itchi, et l'apparition d'un rival jouant franc-jeu en la personne de Rick, sont autant d'éléments qui n'auront de cesse de venir maltraiter de manière amusante les sentiments du pauvre Kurokawa, qui se torture pourtant déjà bien assez lui-même.
Au beau milieu de tout ceci, Takanaga n'oublie pas de faire évoluer son histoire, aussi bien sur le plan sentimental que sur les autres plans. Ainsi, la fin du volume se présente comme une étape importante dans l'évolution des relations entre les personnages et dans l'acceptation totale par Kurokawa de ses propres sentiments. Et avant d'en arriver là, plusieurs étapes viennent faire évoluer la situation estudiantine de Tomoé, par exemple. A ce sujet, on retiendra notamment le passage où Tomoé se voit anéanti quand il apprend ce qui est arrivé au professeur pour lequel il avait tant d'estime, et qui était la principale raison de sa volonté d'être admis à Waseda.
Par ailleurs, on appréciera que ces rebondissements viennent directement influencer les relations entre les personnages, principalement en ce qui concerne Kurokawa.
Rien n'est impossible étant la toute première oeuvre de Hinako Takanaga en tant que mangaka, cela se ressent fortement au niveau de ses dessins, plus vieillots, moins précis, moins détaillés que sur Silent Love. Néanmoins, l'ensemble n'est pas rebutant pour autant. Le très est expressif et sait offrir des visages amusants aux personnages sans jamais trahir leur personnalité. Ainsi, le côté naïf et nonchalant de Tomoé ressort souvent, tout comme l'aspect colérique de Sô-Itchi, par exemple. Enfin, la spontanéité de la narration de la mangaka sert à merveille des passages comiques parfois inattendus, et le découpage, s'il ne cherche pas à faire dans l'originalité, s'avère suffisamment dynamique et clair.
Personnages tous intéressants et accrocheurs, humour qui fait mouche, récit bien mené... Malgré le manque apparent d'originalité et un style visuel qui peut rebuter un peu au début, ce premier volume de Rien n'est impossible, doté d'un charme certain, se révèle vraiment plaisant à suivre.
Du côté de l'édition, Taifu rend une copie globalement correcte. Malgré un papier un tout petit peu trop transparent et une adaptation graphique bancale par moments, le reste est dans une bonne moyenne.
Tome 2:
Ce deuxième volume voit apparaître trois nouveaux personnages qui viennent enrichir considérablement la série à leur manière.
La première d'entre eux arrive dans le deuxième chapitre de ce tome, et il s'agit de Reiko, la mère de Kurokawa, dont on avait déjà eu un bref aperçu dans le premier opus. La dame, autoritaire et capricieuse, est temporairement de retour chez elle après avoir laissé son fils en plan et dans les soucis financiers. Et quelle n'est pas sa surprise, en revenant, de découvrir Tomoé en train de dormir dans son lit ! Entre quiproquos et malentendus, Hinako Takanaga exploite parfaitement le caractère si particulier de cette femme pour nous offrir de nouveaux passages humoristiques réussis. Mais surtout, mine de rien, elle aborde ici avec une certaine légèreté un sujet-clé de l'univers homosexuel: l'acceptation de cet état de fait par les parents. D'abord sous le choc, Reiko acceptera finalement plutôt facilement le fait que son fils soit homosexuel. Acceptation assez rapide pour ne pas alourdir le récit qui se veut avant tout amusant. Néanmoins, la mangaka met tout de même en avant ici quelque chose que pas mal de boy's love ont tendance à occulter.
Dans le chapitre suivant, Rick se voit poursuivi jusqu'au Japon par l'un de ses anciens petits amis: artiste dans l'âme, un peu étrange sur les bords, Phil, le nouveau venu, n'a de cesse de courir après celui qu'il aime toujours et n'hésite pas à l'observer en cachette quand l'élu de son coeur organise un faux vrai rendez-vous avec Tomoé pour tenter de l'éloigner de lui. Tout au long de ce chapitre, les lectrices et lecteurs auront le bonheur de découvrir un nouveau personnage aussi amusant que les autres, ayant la fâcheuse tendance à être complètement inexpressif et stoïque en toute circonstance.
Le dernier chapitre de ce volume revient sur Sô-Ichi, et plus précisément sur son assistant dans ses recherches à l'université de Nagoya: Morinaga, jeune homme tout ce qu'il y a de plus normal en apparence, a pourtant le malheur d'être tombé amoureux de son supérieur qui, comme on le sait déjà tous, a une sainte horreur des homosexuels ! Tandis que l'on découvre un nouveau personnage sympathique ayant tendance à partir facilement dans ses rêves secrets de conquête de Sô-Ichi, les lecteurs voient se dévoiler une facette du passé du grand frère de Tomoé qui éclaircit le mystère de son aversion pour les gays. En plus de nuancer un peu plus le personnage de Sô-Ichi, ce flashback a le mérite de nuancer également l'univers des homosexuels, autre point que pas mal de boy's love ont tendance à omettre: de ce côté-là non plus, tout n'est pas tout rose, et il peut y avoir de véritables pourritures. On pourra faire ici la même constatation que pour le passage avec Reiko: Hinako Takanaga aborde un thème profond, mais de manière succincte, son oeuvre se voulant avant tout drôle, mais ce point a tout de même le mérite d'exister.
Le regard de l'autre sur l'homosexualité reste également un point important et est régulièrement évoqué dans l'oeuvre, notamment à la fin du troisième chapitre par l'intermédiaire d'Isogai, notre hétéro perdu au milieu de tous ces homos. Un Isogai qui, plus que jamais, peut faire office de miroir pour les lecteurs.
Ce deuxième volume, en plus de voir apparaître de nouveaux personnages sympathiques et d'aborder un peu quelques sujets graves liés à l'homosexualité tout en restant dans la légèreté, voit également, bien sûr, la relation entre Kurokawa et Tomoé évoluer. Ainsi, peu à peu, Tomoé, troublé, sent ses sentiments évoluer...
Autre petite originalité: le fait que les rôles classiques dans les boy's love de uke et seme soient un peu plus difficiles à déterminer lorsque de nouveaux couples éventuels se présentent. S'il n'y a aucun doute sur le rôle de Tomoé dans tous les cas de figure, on peut se poser des questions sur Rick, qui serait clairement seme s'il était avec le jeune étudiant... Mais rien n'est moins sûr s'il se retrouvait avec Phil ! Et en ce qui concerne le si caractériel et dominateur Sô-Ichi, seme par excellence, les lectrices pourraient bien être surprises par la façon dont il est représenté dans le dernier chapitre.
Au final, ce deuxième volume de Rien n'est impossible est aussi plaisant que le premier. Tout en faisant évoluer lentement son couple vedette, Hinako Takanaga aborde succinctement quelques sujets profonds liés à l'homosexualité et brise quelque peu certains lieux communs des boy's love, le tout toujours avec humour. Gageons que la suite sera tout aussi sympathique.