L'ORCHESTRE DES DOIGTS
Série en 4 volumes finis parue chez Kanko par Osamu Yamamoto
Alors voila un manga que je découvre tardivement mais que j’ai acquis depuis quelques mois… faute de temps resté non lu, j’ai été ému et touché par cette oeuvre qui se veut historique et humaine…
Reprenons depuis le début, l’auteur Osamu Yamamoto ( avec un tel prénom – le même que le Dieu - et un tel nom – fameux mangaka de Asatte dance et autres petites merveilles… ca partait déjà pas mal) signe ici une histoire qui va voir le jeune Takahashi qui veut partir loin de sa campagne et la maison familiale où le décès de son papa, a rendu la vie plus que difficile à une époque hardos ( 1913 pour être exact … ) au Japon… pour se rendre en France afin d’étudier la musique classique… et le voilà littéralement éjecté du domaine par son frère, alors chef de famille, qui le juge ingrat … le pauvre Takahashi va donc se diriger vers des connaissances afin de gagner le sou, chose assez malaisé pour l’époque…
Et le voila professeur dans une école pour enfants aveugles et sourds dans la ville d’Osaka, chose bien peu réjouissante pour lui qui ne conçoit la vie sans musique… cependant le cœur va se charger de lui faire entendre raison et il va se prendre d’affection pour un enfant nommé Issaku particulièrement « brut de décoffrage » pour qui la vie ne connaît que malheur et violence, aucun échange à part physique - et encore c’est en terme de violence… et voila notre héros plongé dans l’univers des enfants sourds qui sont à l’époque considérés comme des attardés mentaux ou incapables, tout juste digne d’être esclave dans une ferme ou en champ… Le jeune Takahashi va se heurter à un autre professeur adepte du coup de baton, chose qui n’arrange en rien les rapports déjà difficiles avec les « autres » … Il va également faire la rencontre du professeur Fukuda presque sourds qui va lui transmettre le langage des signes, chose qui va lui permettre de communiquer et d’échanger, en effet il n’est pas chose aisée de vouloir communiquer ou même de le vouloir quand les enfants n’en ont pas la moindre notion… pour eux chaque chose n’a pas de nom, la question ne se pose même pas jusqu’à ce qu’ils en ressentent le besoin…
La relation de confiance que va réussir à installer le prof avec Issaku va être à l’origine de la compréhension des maux du garçon qui est littéralement étouffé par les sentiments qu’il ne comprend pas de sa maman… celle-ci en effet s’est vu rejetée par sa famille à cause de lui…
Je n’en dévoile pas plus de ces découvertes pour les futurs lecteurs quant à la surprise et à l’isolement que va ressentir Issaku lorsqu’il va se retrouver au foyer familial et le rejet aveugle dont il va être l’objet… source d’encore plus d’incompréhension de sa part, lui qui ne comprend pas un traitre mot de ses congénères…
L’apprentissage et la découverte de l’écriture et de la langue des signes va lui permettre de regagner le cœur de sa mère et de voir son ouverture… ce premier volume est un vrai chef d’oeuvre d’écriture, la traduction à mon gout est significative de ces tensions et de la différence de phraser selon la langue utilisé et selon les « classes » d’interlocuteur…
Le professeur va poursuivre son apprentissage en parallèle et dans le volume 2 de cette tétralogie on va pouvoir assister au bonheur qu’a le professeur en transmettant en signe sa première histoire en public… assez émouvant et touchant…
La transition et réel sujet de la suite du manga v se faire lors de ce volume avec l’apparition de Mr Yoshikawa dont la fille est sourde : ce père va faire le choix de lui enseigner lui-même le langage mais cette fois ci par la méthode dite oraliste avec l’aide de la lecture labiale, en effet ce père ne veut pas admettre que sa fille soit différente d’extérieur et va donc tout mettre en œuvre pour masquer cette différence… c’est le début de la dualité entre la méthode oraliste et la méthode des signes…
En parallèle on va croiser la crise alimentaire et l’oppression des riches propriétaires… ce passage va transparaitre dans le manga par le racket d’un fils sourd par Kawada, un jeune idéaliste sourd qui deviendra un ami du jeune Issaku en pleine recherche et quête, qui constatera les différences qui peuvent exister entre les riches et les pauvres, chose dont il était ignorant jusqu’alors… Il vivra alors la première séparation d’avec une des écolières de l’école… premier émoi… toujours aussi émouvant
Je vous laisse découvrir la suite par vous même, mais on assistera alors à l’évolution des mœurs envers une reconnaissance de la méthode oraliste et le rejet pur et simple du langage des signes, qui va être réellement spécifique et universel, utile selon les utilisateurs…
La dualité avec l’évolution des personnages qui deviendront plus matures avec des convictions politiques selon les catastrophes vécues ( séisme ou tuerie des Coréens etc… )…
Un manga riche en signification et en poésie, pouvant semer le trouble tant est si bien conçu le récit et l’évolution au fil du temps de la condition des sourds muets aveugles, avec de vraies bibliographies, de vrais récits … de plus en chaque fin de volume quelques pages sont consacrées à l’histoire depuis l’Abée de l’Epée…
Au départ je dois avouer que je ne situais pas ce manga du tout dans ce registre, je pensais de part ce que j’en avais lu qu’il allait s’agir d’un prof enseignant la musique à des enfants privés d’audition ou de langage, et le titre y aide… A la lecture je dois avouer que j’ai été troublé par la justesse des mots utilisés pour évoquer les sentiments et l’existentialisme que peuvent se ressentir les enfants…
Pour le dessin, peu jovial il s’adapte aux situations de crise, de tristesse et finalement évolue en finesse aux fils des volumes, globalement ca ressemble à quelque chose comme du Taniguchi mais moins bien maitrisé pour les différences – j’entends par là que l’auteur va devoir accentuer certains traits pour différencier les persos sans réelles caractéristiques…
Prépublié dans les années 90, ce manga est à l’origine d’un mouvement de la part des éditeurs pour faire du manga entre le shonen, le seinen et le gekiga… quelque chose qui va allier le message politique avec l’aventure humaine, dans le mag Young Champion, précurseur dans ce type d’œuvres… Chez nous c’est Kanko – Milan qui publie cette merveille ( eux même le qualifie objectivement de tel )…
L’auteur a connu son plus grand succès a l’époque avec l’œuvre Koshien lointain, plus dans le style de Masanori Morita, et c’est en visionnant un reportage sur les enfants sourds muets qui va le bouleverser et le voila en quête de documents quant à une œuvre sur le milieu…
Une oeuvre empreinte d’humanisme et de bonheur que j’invite à lire à tous les amoureux de mangas un peu différents…