Eitarô le négociateur

Rubrique consacrée aux seinen, c'est à dire des séries se destinant à un lectorat adulte.
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Koiwai
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Eitarô le négociateur

Message non lu par Koiwai » 19 juin 2014, 17:49

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La fiche sur le site


Tome 1 :

Quelque part dans le ciel du Japon, un avion prend soudainement la direction de la Corée, suite à son détournement par trois criminels qui prennent tous les occupants en otage. La situation est délicate, car les otages ne peuvent réagir, et que sur le sol on n'a aucune idée de qui sont les trois bandits. Pourtant, parmi les otages, il y a un jeune homme pas comme les autres. Il se nomme Eitarô Minegishi, et travaille pour la police en tant que négociateur. Aidé par certains autres voyageurs comme la dénommée Otome, il va entreprendre ce qu'il fait toujours dans le cadre de son travail : chercher des solutions, parlementer avec les terroristes, voire peut-être comprendre un peu plus leurs raisons d'agir pour révéler leurs faiblesses...

Nouveau titre des éditions Black Box, Eitarô le négociateur s'engage dans une voie à suspense jusque là inédite dans le catalogue de l'éditeur, et s'axe autour d'un thème assez rare dans le paysage du manga en France : celui des négociateurs.
Tout commence par une grosse ficelle : alors qu'il n'est pas appelé pour le travail, Eitarô, notre héros, se retrouve au beau milieu d'une prise d'otage où, de fil en aiguille, il va passer du statut d'otage à celui de négociateur. C'est facile,mais c'est néanmoins un bon moyen de mettre en place le principe de la série ainsi que certains personnages qui seront sans doute récurrents, à commencer par Otome qui s'attache facilement à Eitarô.

Parlons justement d'Eitarô, qui, au fil de cette première histoire occupant tout le tome, se pose en personnage principal pour le moins intéressant, car sous ses allures de jeune garçon en apparence insouciant et passe-partout se cache un esprit avisé, que l'on prend plaisir à découvrir au fil de plusieurs étapes qui sont autant de moyens de mettre en avant la fonction souvent délicate de négociateur. Effectivement, le travail peut parfois être très risqué, et joue très souvent sur un fil tendu puisque de nombreuses vies peuvent être en jeu. Et pour ne pas déraper face à l'ennemi, mieux vaut être fin et psychologue. Il faut, notamment, faire attention aux mots employés, garder à l'esprit l'importance du téléphone en tant que seul lien avec les otages dans certaines missions, veiller à ce que les otages ne paniquent pas et ne se mettent pas en danger, gérer habilement un temps restreint ou gagner du temps... Mais il faut également penser aux criminels, observer leur état d'esprit, être prêt à s'immiscer dans la moindre petite faille pour percer à jours leurs motivations, voire comprendre l'humain qui se cache derrière l'adversaire, et comprendre comment il en est arrivé là. Négociateur assez posé, prenant beaucoup de notes et privilégiant le psychologique, Eitarô se fait une mission d'analyser les situations sous tous les angles, y compris quand il s'agit de découvrir la véritable souffrance se cachant derrière les ennemis. Se dévoile alors, sous couvert de récit à suspense, une certaine dose d'humanité, où l'on devine que chaque mission, chaque cas, chaque humain sera différent et aura ses propres tourments. Ceux des toris criminels de cette prmeière histoire sont abordés rapidement mais existent.

Bien que bourrés d'inégalités, les dessins, capables d'être très fins et expressifs par moments, possèdent leur charme et bénéficie d'un découpage classique mais néanmoins efficace. Surtout, la narration de l'auteur est exemplaire, car elle parvient à distiller habilement les rebondissements, entretient d'un bout à l'autre le suspense sans jamais laisser le rythme retomber.

Après cette longue histoire d'introduction, Eitarô le négociateur a donc toutes les clés en mains pour nous captiver pendant les quatre tomes suivants. Son sujet est pour l'instant habilement traité, pose des bases riches sur le thème de la négociation, et présente un héros qui ne manque pas d'intérêt.

L'édition comporte quelques petites coquilles (oubli de lettre...) qui ne rendent toutefois pas désagréable une traduction fluide et vivante.
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Re: Eitarô le négociateur

Message non lu par Koiwai » 28 juin 2014, 12:36

Tome 2 :

Empêcher une jeune fille de se suicider en se jetant du haut de son immeuble, intervenir sur les lieux d'un braquage qui a mal tourné... Eitarô Minegishi, négociateur de son état, fait face à de nouvelles missions, 3 pour être précis, et malgré la relative brièveté de celles-ci (30 pages pour la plus courte, 90 pages pour la plus longue), Takashi Kii continue de croquer avec un certain talent les caractéristiques de ce métier délicat, où il faut tantôt savoir cerner les tourments intérieurs de la cible pour mieux l'empêcher, avec douceur et compréhension, de commettre l'irréparable, tantôt se montrer plus autoritaire, sûr de soi, voire un peu mensonger quand l'adversaire est plus dangereux, au risque de ne pas toujours suivre les ordres de la hiérarchie.

Dans ce travail, l'intuition, la logique, l'observation, la déduction et l'aisance oratoire sont des facultés indispensables, que l'auteur met en avant à travers des récits variés, où la pure confrontation orale peut laisser place à un registre plus ancré dans le policier, et qui ont en plus le mérite d'apporter quelques nouveaux personnages évitant la lassitude. En tête, Ai Sakadô, psychologue clinicienne nouvellement promue dans le secteur de la négociation, et qui découvre peu à peu les qualités d'Eitarô, non sans tomber un peu sous son charme. Il est par ailleurs agréable de voir qu'Eitarô n'est pas le seul personnage important de la série (même s'il reste clairement au premier plan), Ai ayant elle aussi un rôle important à certains moments. N'oublions pas non plus le dénommé Hirakô, le supérieur d'Eitarô et d'Ai, que l'on découvre très à cheval sur les ordres, et dont les brèves interventions permettent notamment de souligner la rivalité entre police locale et négociateurs.

Il y a clairement des grosses coïncidences (la suicidaire du premier chapitre qui est forcément dans l'immeuble d'Eitarô...), des facilités et éléments un peu too much (l'aisance au combat d'Eitarô...) et des passages un peu à la gloire de notre héros (cette faculté au combat, Ai qui tombe un peu sous charme assez rapidement...) qui tendent à atténuer le suspense et l'impression de difficulté que pourraient avoir certaines missions, mais Eitarô le négociateur reste un récit intéressant, plaisant et prenant, dont le deuxième tome enrichit un peu plus le background.
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Re: Eitarô le négociateur

Message non lu par Koiwai » 07 sept. 2014, 10:33

Tome 3 :

En début de tome, une histoire d'une trentaine de pages abordant un peu le problème des immigrés à travers une série d'incendies. En fin de volume, un récit d'à peu près le même nombre de pages où, en pleine course-poursuite, Eitarô va devoir se montrer ferme et malin pour négocier avec les malfrats. En si peu de pages, Takashi Kii, malgré l'intérêt des sujets (surtout celui de la première histoire) n'a pas vraiment le temps de développer grand chose, et l'intérêt des deux récits est alors ailleurs : observer un peu Eitarô écarté du groupe de négociation et voir la réaction de ses collègues qui attendent son retour, puis préparer la réintégration de notre héros dans la brigade pour une histoire de secte qui s'annonce complexe.

C'est donc ce qui se passe entre ces deux chapitres qui intéresse le plus ici : Takashi Kii s'écarte du schéma de sa série pour nous offrir deux retours dans le passé d'Eitarô et d'Ai Sakadô. Pourquoi le premier a-t-il choisi de devenir négociateur plutôt que policier et comment s''est déroulée sa formation ? Et quels événements dramatiques de son enfance ont conditionné Ai pour devenir psychologue clinicienne ?
Si l'on découvre très brièvement le drame d'enfance qui a poussé Eitaro à devenir négociateur plutôt que policier, on s'attarde avec intérêt sur une période déterminante de sa formation, expliquant clairement sa défiance face aux policiers et soulevant plusieurs aspects importants du travail de négociateur, comme celui de protéger toutes les vies, y compris celles des criminels.
C'est toutefois la partie la plus longue de ce volume, celle sur Ai, qui capte toute l'attention de par sa noirceur. Tout en nous faisant bien comprendre le traumatisme de l'enfance d'Ai qui l'a poussée à se lancer dans la psychologie criminelle, Takashi Kii prend surtout le pari de s'éloigner de la négociation pour nous offrir un pur récit policier/thriller de genre, sombre et implacable, à l'issue dramatique qui fait froid dans le dos. Même s'il prend quelques raccourcis narratifs, l'auteur offre un récit au rythme tendu, sombre et sanglant, qui marque facilement.

Voici donc encore un bon volume, qui vaut surtout le coup pour les approfondissements qu'il apporte sur les deux principaux personnages de la série. On attend désormais de voir sur quoi va aboutir le dernier chapitre de ce tome.
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Re: Eitarô le négociateur

Message non lu par Koiwai » 11 sept. 2014, 18:02

Tome 4 :

Fraîchement réintégré à la brigade de négociation, Eitarô prend en vol une affaire conduisant l'équipe sur les traces d'une secte qui sévit depuis une vingtaine d'années et qu'Ai Sakadô connaît bien, puisqu'elle est à l'origine du drame qui a conditionné son enfance et son choix de carrière. Mais alors qu'ils sont en embuscade pour intervenir, Eitarô, son supérieur, Ai et les policiers sont dépassés par des événements inattendus, à commencer par l'arrivée sur place d'une bande d'adolescents dont l'un d'eux, un certain Akari, semble nourrir envers la secte des ambitions mêlées de haine...

Plutôt bien préparée par le passé d'Ai développé dans le tome 3, la mission sur la secte semble vouée à occuper tout le reste de la série, tant elle s'impose comme la mission la plus délicate pour Eitarô et les autres. Si Takashi Kii n'évite pas les irrégularités graphiques ainsi que quelques légers problèmes de transition qui donnent l'impression que tout va parfois trop vite, l'auteur fait néanmoins très bien ressortir la sensation que la situation échappe totalement à la police et à notre négociateur, d'autant que ce dernier prend l'affaire en vol, sans en connaître tous les tenants et aboutissants. En résulte un récit efficace de par sa tension, son aspect imprévisible et l'aura de mystère et de révélations qu'il entretient autour de l'énigmatique Akari, et intéressant et riche en suspense de par les choix parfois osés que va devoir faire Eitarô. Et si notre héros est un peu en retrait la plupart du temps, le mangaka en profite néanmoins pour mettre en avant une autre arme redoutable du négociateur : le bluff.

En somme, le récit reste mené tambour battant, nous happe très facilement et donne clairement envie de connaître la suite dans le cinquième et dernier volume. Seul petit hic : l'incursion du fantastique avec le pouvoir que semble avoir Akari. On se demande si cet élément, qui fait un peu tâche dans la série, aura une réelle utilité, en tout cas on l'espère.
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Re: Eitarô le négociateur

Message non lu par Koiwai » 23 sept. 2014, 07:42

Tome 5 :

A peine revenu dans la brigade de négociation, Eitarô a pris en plein vol sa plus difficile affaire, la tentative de démantèlement d'une secte par la police ayant tourné à la catastrophe quand une bande de jeunes emmenée par un certain Akari a pénétré les lieux pour y semer le chaos. Akari semble n'avoir qu'un seul but : tuer le gourou de la secte, qu'il hait au plus haut point, quitte à tout détruire sur son passage et à mourir lui-même...

Face à ce garçon, Eitarô aura fort à faire. Il lui faudra d'abord, avec l'aide d'Ai, comprendre les tourments intérieurs du jeune garçon, pour empêcher que le pire arrive. Et Takashi Kii nous livre là un récit d'une grande intensité, sombre et à la portée dramatique certaine, où l'on découvre d'abord le passé tragique d'Akari, qui a totalement conditionné sa psychologie quasiment auto-destructrice. Notre héros doit faire face à des jeunes prêts à tout, et il lui faudra étaler tous ses talents de négociateur s'il veut pouvoir sauver à la fois ses adversaires et les innocents.
L'auteur croque alors à travers Eitarô une palette plus riche que jamais des différents talents requis pour l'art de la négociation, qui peut demander autant de mentir que d'ouvrir son coeur avec sincérité pour donner l'impression de comprendre celui qu'on a en face de soi. Le résultat, un peu brouillon sur les scènes d'action, reste très immersif dans les dialogues, exploite également assez bien les personnages secondaires que sont Ai ou Hirako, et aboutit sur un final fort laissant deviner toute la faiblesse psychologique d'Akari.

Dans la foulée de la fin de cette affaire arrive la conclusion de la série, assez rapide et ouverte mais pas frustrante pour autant, car l'essentiel est passé. On aurait sans doute découvrir un peu plus en profondeur le lien d'Eitarô avec son père, mais Takashi Kii offre néanmoins une belle porte d'ouverture de ce côté-là. Pour le reste... le travail de négociateur ne s'arrête jamais !

Sur cinq volumes, Takashi Kii a su offrir une oeuvre globalement intense, divertissante et exploitant assez bien son sujet. L'édition reste correcte, portée par une traduction fluide, et seuls quelques pages où l'encre bave un peu et certains sous-titres d'onomatopées (les très vagues et pas immersifs "brouhaha") pourront laisser un peu déçu.
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