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Averses Turquoise

Posté : 29 janv. 2015, 16:12
par Koiwai
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La fiche sur le site


Tome 1 :

Pour commencer en beauté l'année 2015, les éditions Clair de Lune nous proposent de découvrir en français un auteur possédant une petite réputation assez flatteuse : Kou Yaginuma, reconnu pour son style visuel assez facilement identifiable, repéré pour son travail d'illustrateur sur le roman Hoshi no Koe de Makoto Shinkai, et dont la première série longue, Futatsu no Spica, fut adaptée en 2003-2004 en série animée.

Dans Averses Turquoise (de son nom original Gunryoku no Shigure, série en 4 tomes parue au Japon entre 2011 et 2013), l'auteur nous plonge dans le Japon du début de l'ère Edo (un peu après 1600), à une époque où le pays vient tout juste d'être unifié par le shôgun et est encore fragilisé : il suffirait que certaines provinces partent en conflit pour que la guerre tout juste terminée réapparaisse.
Dans l'une de ces provinces, celle de Shishi-koku, vit un jeune garçon de 10 ans, Nakatani Rintarô, un peu martyrisé par les enfants plus âgés qui l'appellent le "fuyard" pour une raison que l'on ignore au début. Apprenti samouraï dans le temple-école Seifu-juku au fond des bois, il rencontre bientôt deux autres enfants de son âge : Fusuke, un garçon assez mystérieux, et Sashiyuka Ito, fillette de bonne famille qui passe pourtant son temps avec un sabre de bambou entre les mains et vient sans cesse demander des duels aux élèves de Seifu-juku. C'est ensemble, en apprenant peu à peu à se connaître, que ces trois enfants font leurs premiers pas dans un univers loin d'être facile...

La première chose qui frappe dans Averses Turquoise, c'est évidemment le travail graphique de l'auteur, rendu particulièrement immersif par des décors d'époque omniprésents, riche et très fins : qu'il s'agisse des bâtiments, des contrées naturelles tels les bois et la forêt de bambous, et des plans larges avec le village perdu devant les montagnes, Kou Yaginuma s'applique à retranscrire des paysages présents sur toutes les pages, et dont le trait clair offre rapidement une ambiance en apparence paisible et un peu bucolique du plus bel effet. Sur ces décors, le mangaka appose des personnages au design aussi surprenant que réussi : si les adultes ont des dégaines classiques mais convaincantes, les enfants et surtout nos trois jeunes héros) possèdent un design à la limite du SD, avec petits corps et têtes assez larges qui leur offrent un aspect assez mignon et parfois amusant. C'est particulièrement vrai pour la petite Ito, tout petit bout de fille que l'on prend énormément de plaisir à suivre dans ses frasque, puisqu'elle passe son temps à courir dans tous les sens avec énergie. Cet aspect enfantin ressort d'autant mieux que Yaginuma aime user de vues en plongée et contre-plongée très jolies. Pour le reste, son découpage et sa narration se veulent classique, mais limpides et agréables, faisant bien ressortir la tranquillité apparente de la province.

Et pourtant, les choses sont loin d'être aussi tranquilles que ça. Nous le comprenons petit à petit, au fil de la lecture de ce premier volume, qui distille peu à peu la rudesse de son univers. Ainsi comprend-on, notamment, qu'une hostile contrée proche de Shishi-koku exerce une menace de plus en plus forte. Mais c'est avant tout le contexte dans lequel vivent nos jeunes héros qui nous intéresse, car il s'avère bien différent des habituels récits de samouraï centrés sur les combats : ici, l'auteur présente petit à petit les tourments intérieurs d'enfants pris dans les tourmentes de ce monde guerrier. Ainsi, Rintarô, enfant adopté par le clan Nakatani sur le déclin, doit encaisser les erreurs d'un père qui se serait déshonoré sur le champ de bataille, alors que l'enfant n'y est pour rien et respecte son père malgré tout. Ito, elle, se passionne pour les arts martiaux alors même qu'en temps que fille elle n'a pas le droit de s'y adonner : son rôle devrait normalement être d'apprendre à gérer la maison. Quant à Fusuke, il reste pour l'instant encore assez énigmatique, mais noue avec Rintarô une amitié de plus en plus forte.

Ne vous y trompez donc pas : derrière son style graphique riche et précis qui semble plutôt calme et mignon, Averses Turquoise cache un univers assez dur, où les enfants sont les proies d'un univers de samouraï rude et sans pitié, où ils vont devoir apprendre à grandir ensemble. Mais pas question pour Yaginuma de dépeindre franchement cette dureté : elle se devine, se ressent parfaitement, mais plutôt à travers l'ambiance générale, assez mélancolique. Et l'auteur, principalement à travers le comportement de Rintarô, en profite pour véhiculer un image plaisante de ce qu'est sans doute la véritable dignité, le vrai sens de l'honneur.

Le scénario général reste encore discret, on attend notamment d'en découvrir plus sur le mystérieux vagabond borgne Kamoi Kageyu et de mieux découvrir ce qui va amener les rebondissements des toutes premières pages (qui intriguent comme il se doit). En attendant, ce tome 1 est une entrée en matière très efficace, qui prend le temps de poser son contexte, ses personnages et son ton assez unique, où la tranquillité et l'aspect mignon apparents se mêlent à la rudesse de l'époque pour un résultat original et attachant.

L'édition proposée par Clair de Lune est globalement honnête, notamment pour les pages en couleurs, l'impression correcte et le travail plaisant sur les onomatopées. La traduction, elle, souffre de plusieurs couacs : quelques tournures de phrases très poussives (surtout au début), quelques très grosses fautes de français (celles-ci ont heureusement tendance à s'estomper peu à peu au fil des pages). Toutefois, aucun de ces problèmes (même s'ils restent très dommageables) n'empêche la bonne compréhension du récit.

Re: Averses Turquoise

Posté : 29 janv. 2015, 16:13
par Koiwai
Tome 2 :

Dans le Japon des débuts de l'ère Edo, chacun de nos trois jeunes héros cherche à poursuivre sa voie dans les arts martiaux. Tandis qu'Ito, aidée par Fusuke, cherche à pénétrer dans le château de Shishi-jô pour solliciter le Seigneur et peut-être participer au tournoi bien qu'elle soit une fille, Rintarô, lui, s'apprête à y prendre part.
Chacun de leur côté, les enfants font du mieux qu'ils peuvent pour atteindre leur but, mais l'issue risque d'être assez différente de ce qu'ils souhaitaient... Le tournoi tourne court, mais met en valeur la ténacité de Rintarô, pour qui la route sera encore longue afin de trouver réellement sa voie. De même, la condition de fille d'Ito la rattrape avec les projets que son père a pour elle, mais la petite demoiselle se laissera-t-elle faire ?

"La voie du sabre fortifie le coeur. La voie de la guerre l'entame".

Alors que le conflit entre Shishi-koku et Shikisa-koku évolue et semble prendre fin, de nouvelles étapes importantes arrivent pour chacun des trois enfants, confrontés à la séparation, que celle-ci soit temporaire ou éternelle. Mais loin d'offrir le moindre pathos (les scènes tristes sont très brèves et nullement exagérées), l'auteur en profite pour consolider les relations et évolutions de ses jeunes héros, qu'il s'attache à dépeindre avec une certaine finesse et retenue, et non sans une malice assez tendre dans les bouilles rondes toutes mignonnes des enfants et dans la mise en scène. Sur ce dernier point, soulignons les passages délicieux où l'intrépide Ito court dans tous les sens avec détermination, malgré sa toute petite taille qui fait qu'on voit seulement sa tête apparaître en bas des cases.

Mais avec le temps qui passe, nos jeunes héros, malgré leur amitié, entament des voies différentes, ce qui aura sans doute un impact dans la suite de la série, au vu de la tournure des choses dans le dernier chapitre. En attendant de voir ce qui en découlera, on constate que Kou Yaginuma continue d'offrir un récit particulièrement beau et attachant, où il croque des décors précis, fins et clairs vraiment plaisants à l'oeil, exploite doucement le contexte de l'époque (la condition des femmes, l'impact d'Edo sur les provinces, les choses plus scientifiques qui intéressent Fusuke...) et croque des héros que l'on prend beaucoup de plaisir à suivre dans leurs évolutions. Mais dommage que la traduction souffre encore de quelques errances, bien que celles-ci soient moins présentes que dans le premier volume.

Re: Averses Turquoise

Posté : 06 févr. 2015, 08:02
par Koiwai
Tome 3 :

Le château de Shikisa n'était en réalité pas tombé, et la guerre entre Shishi-koku et Shikisa-koku reprend après 5 années de trêve. Pourquoi avait-on fait courir le bruit que Shikisa-koku était définitivement tombé ? La réponse arrive vite et tourne autour du château de Shikisa, réputé comme une forteresse imprenable car fermée de toutes parts et située au beau milieu d'un lac.
Pourtant, c'est bien ce château que Rintarô et Fusuke, réunis dans un bataillon, sont sommés de détruire. Seulement, les énigmes sur le château ne cessent de pleuvoir. Comment l'attaquer ? Les ennemis y ont-ils vraiment vécu totalement cloitrés pendant cinq ans ? Les énigmes continuent face à la disparition des deux premiers bataillons envoyés par Shishi-koku...

Dans un tome principalement axé sur le voyage nos héros jusqu'au château, ceux-ci, accompagnés de la toujours intrépide Ito qui vient s'en mêler sans qu'on le lui demande, vont aller de découvert en découverte, les survivants qu'ils rencontrent ne cessant de les confronter à de nouvelles interrogations sur l'ennemi et à des questions plus personnelles.
Pendant une bonne partie du tome Kou Yaginuma entretient habilement le mystère sur un possible traître, où les soupçons ont vite fait de se porter sur certains personnages en particulier, notamment Kageyu, bien sûr, mais aussi Fusuke lui-même dont certains acte set regards peuvent paraître étranges... A cette sorte de petit suspense répondent des mises en avant intéressantes de nos principaux personnages, qui ont tout le temps de confirmer leurs évolutions pendant le trajet. Ainsi Fusuke intrigue-t-il dans sa façon de toujours esquiver les choses, au contraire d'un Rintarô qui se montre plus direct et laisse souvent entrevoir ses sentiments, notamment quand revient Kageyu ou qu'il retrouve certains blessés. Quant à Ito, elle reste évidemment la plus fascinante, le visage toujours imperturbable bien qu'un peu mélancolique d'apparence, et se montrant sans doute bien plus digne et loyale que l'assassin tuant les soldats de Shishi-koku dans le dos, sans honneur. La jeune fille, restée fidèle à ce qu'elle était 5 ans auparavant, reste une fonceuse ne trahissant jamais ses principes de samouraï.

Les relations de nos héros évoluent aussi, par petite touches, et le principal intérêt de ce tome reste son atmosphère de quête initiatique, où chacun continue de chercher sa voie pendant le trajet vers Shikisa-koku. Et ce sont bien ces enfants qui paraissent les plus dignes, perdus dans une époque où le sens de l'honneur du bushido est mis à mal par le conflit.

Le trajet vers le château est aussi un excellent moyen pour l'auteur de montrer tout son talent dans la peinture de paysages boisés précis de toute beauté, conférant à l'oeuvre une ambiance unique et immersive. C'est très beau, encore plus quand on y ajoute ce design des personnages toujours un peu rond et "mignon" apportant douceur à ce récit pourtant assez dur dans les faits.

Après deux premiers tomes sympathiques, Averses Turquoise confirme donc ses qualités, profite de son récit de guerre pour faire doucement évoluer ses jeunes héros ou pour confirmer leur caractère. Et tandis que certaines informations attendues arrivent (notamment sur le père de Rintarô), d'autres énigmes continuent d'accroître notre intérêt pour la dernière ligne droite dans le prochain tome. Quelle est la vraie raison ayant poussé Ito à revenir d'Edo ? Quel est ce fameux Lion d'or de Shikisa ? Quelle est l'énigme du château de Shikisa, qui renferme le rêve de cette province ? Que cachent encore certains personnages ?

Re: Averses Turquoise

Posté : 13 févr. 2015, 09:10
par Koiwai
Tome 4 :

Après avoir déjoué l'énigme autour du traître, Rintarô et son régiment, accompagnés d'Ito et de Kageyu, arrivent jusqu'aux bords du lac où se dresse le château de Shikisa. les survivants doivent désormais mettre au point un plan qui leur permettra d'atteindre en barque les portes du château en évitant les coups de canon, mais les effectifs ont encore diminué quand ils parviennent à leur cible. Les voici désormais prêts à découvrir les mystères du château de Shikisa, et ce qu'ils vont y découvrir sera à des années-lumière de ce qu'ils imaginaient, et ne laissera pas leur amitié indemne...

Toute la première partie de ce dernier tome profite de la stratégie visant à atteindre les portes de château pour confirmer à nouveau ce qu l'on a constamment pu entrevoir dans la série : l'amitié forte unissant Rintarô, Fusuke et Ito, liés depuis l'enfance. Mais loin des habituels clichés du genre sur la force de l'amitié qui vaincra tout, Kou Yaginuma nous livre une vision beaucoup plus douce-amère, où l'on devine que le sens de l'honneur différent et les obligations de chacun de nos héros les contraindront à s'entredéchirer. Peut alors arriver la dernière ligne droite de la série, ponctuée de surprises très fortes quant à ce qui se cache dans le château, et aboutissant sur un final peu surprenant sur le seigneur de Shikisa (les indices laissés par l'auteur détient trop gros), mais ô combien juste sur sur une amitié qui était destinée dès le départ à être bafouée par la rudesse de son époque.

Au final, on se dit que l'intrigue autour du conflit en Shishi et Shikisa, classique, n'était surtout qu'un très bon prétexte pour dépeindre le portrait dramatique d'une amitié forte dans le fond mais fragile face aux aléas du contexte guerrier. Rintarô, Fusuke et Ito ont chacun développé un sens de l'honneur qui leur est propre et où aucun n'est en tort. Chacune des trois visions se justifie et permet avant tout à nos jeunes héros de faire bonne figure face aux difficultés de leur époque, que ce soit la condition de femme d'Ito, les obligations de Fusuke ou les volontés de Rintarô et ses blessures d'enfance concernant son père. Mais l'issue inéluctable les rattrape et le final, triste et mélancolique, est néanmoins ouvert sur des perspectives d'avenir, même si celles-ci sont sans doute loin des idéaux que nos jeunes héros souhaitaient.

En s'appuyant toujours sur ses décors somptueux, sa mise en scène limpide et son design tout rond, Kou Yaginuma offre donc une courte série maîtrisée, qui aura su se révéler au fil des tomes pour nous laisser ému à la fin. On a hâte de retrouver l'auteur sur son autre série, Spica x2, d'ores et déjà prévue chez Clair de Lune.