Arte

Rubrique consacrée aux seinen, c'est à dire des séries se destinant à un lectorat adulte.
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Koiwai
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Message non lu par Koiwai » 31 août 2015, 17:53

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La fiche sur le site


Tome 1 :

Depuis quelques années, les mangas à connotation historique ont la cote, et les éditions Komikku ne sont pas les dernières à s'y essayer. Après Le Chef de Nobunaga et Eureka, l'éditeur nous propose de découvrir Arte, première série de Kei Ohkubo, une auteure qui a débuté sa carrière en 2011 avec des récits courts. Débuté en 2013, Arte dénote légèrement parmi les autres oeuvres de son magazine de prépublication, le Comic Zenon, que l'on connaît surtout en France pour les oeuvres de Tetsuo Hara ou de Tsukasa Hojo et leurs dérivés.

La série, qui compte pour l'instant trois tomes au Japon, a pour point commun avec le très rigoureux récit historique Cesare de Fuyumi Soryo de nous plonger en pleine Italie de la Renaissance, et plus précisément dans la ville de Florence, où nous découvrons Arte (comme vous vous en doutez, "Art" en italien), jeune aristocrate de 16 ans qui, à une époque où il était inimaginable qu'une femme vive de son art et de son travail, va bousculer la bienséance en faisant tout pour devenir artiste-peintre !

Kei Ohkubo nous dépeint alors une ville de Florence dont l'on ressent réellement le foisonnement culturel, mais aussi les spécificités du cadre de vie. A travers le parcours d'Arte pour se faire une place artistique, la mangaka nous fait profiter de nombreux détails de tous types.
Au fil de ses tentatives infructueuses de se faire engager auprès d'artistes peintres la repoussant uniquement parce qu'elle est une femme, Arte finira par tomber sur Leo, qui deviendra son maître, au départ bien malgré lui. A partir de là, la nouvelle vie de la jeune fille nous permettra de profiter de nombreuses informations, sur le quotidien de l'époque (le marché, le carnaval, l'élaboration du pain, l'hérésie de la dissection qui était interdite par l'Eglise, le rôle des courtisanes ou des mécènes...), mais aussi sur le contexte et le fonctionnement artistiques de cette période où les grands maîtres rivalisaient de génie. Ainsi en apprend-on plus, par exemple, sur la technique de peinture à la tempera, ou sur les relations maître/disciple passant par plusieurs étapes. D'abord le travail d'apprenti où, pendant 3 ans, il s'agit de tâches peu artistiques comme préparer le matériel du maître, faire le ménage dans l'atelier... Etape au bout de laquelle l'apprenti devient assistant pendant 3 nouvelles années. Dans cette étape, la participation à la création artistique est plus claire : certains assistants dessinent des paysages, d'autres des accessoires pour les toiles de leur maître... voire créent leurs propres oeuvres sous la supervision de leur maître. Et au bout de toutes ces étapes, on peut enfin être considéré comme artiste peintre. Un schéma qui peut rappeler le travail d'assistant de mangaka, comme le souligne d'ailleurs Kei Ohkubo dans sa postface. En tout cas, on vous laisse découvrir comment Arte franchira ces étapes.
Et évidemment, on découvre aussi la condition de femme de l'époque, où la principale préoccupation, parfaitement véhiculée par la mère aimante mais rigide d'Arte, était de plaire aux hommes pour pouvoir faire un bon mariage. L'importance des dots, le déséquilibre entre les enseignements donnés aux hommes et aux femmes (ces dernières étaient cantonnées à des choses spécifiques : broderie, couture, dentelle, bases du calcul et de la lecture, équitation, musique, etc)... sont évoqués avec clarté, tout comme les rares choix de vie qui étaient proposés aux femmes à l'époque. Celles-ci ne souhaitaient pas se marier ou ne plaisaient pas à ces messieurs ? Il ne leur restait plus qu'à entrer dans les ordres, ou, comme Véronica la courtisane, à emprunter une voie moins sûre où le soutien masculin pouvait se briser à tout moment. Mais Arte, elle, ne manquera pas de bousculer cette hiérarchie trop rigide !

Et c'est bien cette héroïne qui fait l'essentiel de ce premier tome.
Malgré un contexte historique qui se veut assez riche et plutôt exact, ce manga ne s'inscrit pas dans la même veine rigoureusement historique que Cesare, et il y a d'ailleurs quelques imprécisions qui, de ce fait, ne sont pas très graves. On ne garde pas vraiment dans l'Histoire d'exemple de femme s'étant rebellée à ce point contre le déséquilibre homme/femme de l'époque, et cette jeune fille qu'est Arte est évidemment une figure inventée par la mangaka, comme les autres personnages, malgré quelques petits clins d'oeil (Leo est sûrement un clin d'oeil à De Vinci, tout comme l'est certainement Angelo Parker envers Michel-Ange).
Sur des bases historiques globalement très convaincantes, Kei Ohkubo invente donc une uchronie où l'on suit avec un plaisir fou le parcours tout aussi fou de cette jeune héroïne voulant vivre par ses propres moyens. Energique, spontanée, déterminée dans l'objectif qu'elle s'est fixée, Arte dégage une sorte de rage envers cette forme de "caste des sexes", rage qui se mêle parfaitement à un côté passionné intact qui se ressent à chaque instant. On adore suivre cette jeune fille encore un peu fragile (elle n'a que 16 ans, était jusque là une aristocrate, et a donc beaucoup de choses à découvrir, que ce soit sur la rudesse de sa nouvelle vie ou sur certains sentiments naissants), mais se voulant forte, et qui, contrairement à ces nombreuses femmes au regard éteint, a dans les yeux cette étincelle témoignant de sa volonté et de sa passion/son plaisir dans le dessin. Dans son caractère déterminé, elle sait aussi nous amuser et nous attendrir, par exemple quand elle se retient de pleurer de joie sous prétexte que les hommes ne pleurent pas (ce qui ne manque pas d'amuser intérieurement Léo).
Léo, d'ailleurs, reste lui aussi un personnage très plaisant, dont l'on découvre très vite certaines facettes derrière son côté bourru. Entre autres, son passé miséreux, sa propre volonté qu'il a dû montrer pour devenir artiste, et sa manière de considérer Arte. Et les protagonistes secondaires ne sont pas en reste : la courtisane Veronica s'avère très prometteuse en fin de tome, on attend de voir ce que donnera Angelo le jeune apprenti qu'Arte rencontre, et on reste intrigué par l'évolution que connaîtra la famille de notre héroïne.

Portée par la verve de son héroïne, la narration se veut très rythmé et emballante, et l'histoire évolue déjà beaucoup dans ce premier volume. La mise en place est d'ailleurs rapide, et la plupart des événements pourront paraître rapides voire un peu faciles, par exemple dans la façon dont Arte passe rapidement d'apprentie à assistante, ou dans la manière dont elle obtient son premier vrai travail en fin de tome. Pourtant, cette rapidité ne gêne en rien, car elle reste bien huilée par l'auteure qui sait ici trouver un bon équilibre, parvenant à développer les différentes étapes sans rallonger les choses.

Visuellement, on peinerait presque à croire qu'Arte est la première série de Kei Ohkubo, tant l'auteure délivre des planches d'une très grande richesse. les fonds urbains de la ville florentine, avec leurs bâtiments typiques, sont croqués avec détails et précision, les intérieurs fourmillent de choses, les rues sont joliment animées par les habitants et par les décors (notamment en période de marché et de carnaval), les costumes regorgent de motifs... C'est un bonheur pour les yeux, auquel il faut ajouter un design de personnages aussi efficace qu'expressif malgré quelques irrégularités sur la proportion des visages. Dans le même registre, on est encore assez loin de la quasi-perfection d'une Kaoru Mori sur Bride Stories, mais pour une première série Ohkubo épate et a tout pour s'imposer en très grande dessinatrice si elle continue de peaufiner son style déjà extrêmement plaisant.

Rappelant Cesare pour son cadre historique de la Renaissance, Bride Stories pour la passion qu'affiche l'auteure dans les dessins riches, et Gisèle Alain pour le charme de femme forte qu'affiche l'héroïne, Arte, dès ce premier tome, se présente comme une uchronie totalement emballante, qui a toutes les cartes en mains pour s'imposer comme une excellente trouvaille.

L'édition est dans les standards de Komikku : couverture épaisse et soignée (on appréciera le vernis sur l'héroïne), papier de bonne qualité, traduction très fluide... cette dernière pourrait choquer un peu de par l'usage de plusieurs expressions ne collant pas avec l'époque, mais cela ne fait que renforcer le côté rebelle d'Arte.
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Re: Arte

Message non lu par Koiwai » 16 déc. 2015, 10:48

Tome 2 :

Arte a lié une relation d'amitié avec Veronica, belle courtisane qui va lui offrir une forte leçon de vie dès le début du volume, en emmenant la jeune fille dans un quartier miséreux de la ville, à la découverte d'une ancienne courtisane de renom qui a sombré... et l'amour semble être à l'origine de cette déchéance. A une époque où la condition de femme pouvait être vraiment difficile, la leçon que Veronica offre à Arte dans la première partie du tome s'avère vraiment intéressante, grâce aux différentes facette de l'impact que cela a sur notre héroïne. Elle comprend désormais qu'elle se doit de se méfier de ses sentiments naissants, mais d'un autre côté elle ne peut que rester intriguée par une Veronica décidément difficile à cerner, et qui, derrière ses allures bienveillantes, n'hésite pas à jouer avec les sentiments des hommes qui viennent la voir, comme l'y oblige son métier... Quels secrets peut bien cacher la belle courtisane derrière son sourire constant ? D'ailleurs, ce sourire n'est-il qu'une façade ? Arte finira par découvrir plusieurs autres facettes de la condition de Veronica... et pourra par la même occasion renforcer son amitié avec elle.

Cette rencontre avec Veronica se renforce donc tout en approfondissant le personnage de la courtisane, mais il ne s'agit là que de la première rencontre d'Arte dans ce second volume !
Angelo, l'apprenti de Danilo, la retrouve sur sa route alors qu'elle se rend chez son maître pour demander à pouvoir faire des croquis de ses oeuvres... mais du fait de son statut de femme, Arte aura fort à faire pour prouver à l'artiste qu'elle est déterminée et qu'elle n'est pas là uniquement pour passer le temps ! Ce passage est également l'occasion d'en apprendre un peu plus sur Angelo, sur l'origine de son souci pour la gent féminine, sur sa famille, et par la même occasion sur une autre facette des difficultés de la condition féminine à travers le système de dot pour le mariage.
Puis cette délicate condition se voit à nouveau exposée sous un autre angle à travers l'apparition de Dacia, fille de paysan contrainte de travailler durement pour pouvoir accumuler elle-même sa dot, et cela depuis ses 11 ans. Sa rencontre avec Arte risque fort de bousculer un peu son train de vie résigné, ainsi que celui des autres employées d'un homme un brin hautain voire macho !
Quant à la fin de tome, avec l'apparition d'un client difficile chez Léo, elle enclenche une nouvelle étape importante dans l'apprentissage d'Arte : celui de la négociation. Car pour être artiste, il ne suffit pas de savoir peindre, il faut aussi savoir vendre son art...

Le point commun des différentes rencontres de ce tome ? Hé bien, la force de caractère d'Arte, bien sûr ! La demoiselle, malgré les échecs ou les petits tourments animant son coeur, reste un délice dans son inébranlable détermination et dans ses côtés les plus naturels, sincères et spontanés, finissant forcément par changer doucement les personnes qui la croisent. Couplé à des dessins toujours aussi minutieux (surtout dans les décors : les rues de la ville, les intérieurs et les costumes sont toujours aussi détaillés), tout cela confirme le charme de cette série alliant joliment le fond historique (le foisonnement artistique de l'époque, la condition féminine...) à la fiction autour de personnages attachants.
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Re: Arte

Message non lu par Koiwai » 01 mars 2016, 15:07

Tome 3 :

Une nouvelle épreuve attend Arte dans son apprentissage : l'art de la négociation, qu'elle expérimente avec difficulté auprès de Mr Ubertino, riche homme d'affaires et client régulier de Léo, et surtout vieil homme qui paraît acariâtre et difficile en affaires ! Pour réussir sa mission auprès de cet homme, la jeune fille va demander conseil auprès d'une personne habituée aux conversations subtiles : la courtisane Veronica, bien sûr ! Mais cela suffira-t-il ?

Débutée dans le deuxième tome, l'affaire de négociation avec le dénomme Ubertino se poursuit et s'achève en soulignant à nouveau tout le charme d'une héroïne volontaire et déterminée, mais aussi amusante, car elle a beau faire des effort et chercher des solutions pour convaincre Ubertino, ce dernier a vite fait de démasquer les belles paroles de notre héroïne ! Cela dit, difficile, surtout à une époque comme la Renaissance italienne, de rester insensible à une demoiselle qui en veut autant, et u-delà de ses tentatives de négociations, Arte risque bien également d'en apprendre un peu plus sur le vieil homme et, par la même occasion, sur Léo... Ainsi Kei Ohkubo profite-t-elle de ce passage pour dévoiler la relation conflictuelle entre Ubertino et Léo, mais aussi la façon dont tous deux se comprennent malgré leurs piques de caractère, et surtout certaines facettes du passé de Léo en tant qu'apprenti, ce qui peut expliquer pourquoi il a facilement accepté de laisser sa chance à Arte puisque lui-même fut victime de médisances dues à sa condition.

Néanmoins, une nouvelle épreuve encore plus délicate attend Arte par la suite. Dans le milieu artistique florentin, des voix continuent de s'élever contre la présence d'une femme apprentie, et la corporation des artistes peintres entre en scène en lançant un avertissement à Léo : dans une situation économique un peu moribonde pour leur art, les membres de cette corporation refusent quiconque pourrait nuire à leur image, et Arte est forcément en ligne de mire. La jeune fille devra alors prouver sa valeur en participant à une fresque collective où elle retrouve Angelo, mais aussi plusieurs hommes l'accueillant non sans machisme... Mais on connaît désormais notre chère Arte, et elle n'est pas du genre à se laisser intimider par les remarques misogynes ! Bien au contraire, elle affiche son habituel enthousiasme ravageur, et fait de sa volonté une vraie force pour surpasser son inexpérience en matière de peinture à fresque, quitte à s'épuiser totalement à la tâche ! Armée de son coup de crayon qui fait à nouveau des merveilles dans les costumes et les décors d'époque ainsi que dans les bouilles passionnées de son héroïne, Kei Ohkubo nous captive dans ses nouvelles informations sur le milieu de la peinture (l'art délicat de la fresque...) ou autres (le calcio, ancêtre du football...), et dans le portrait de cette pétillante demoiselle qui ne lâche absolument rien pour se faire une place dans le milieu qui la passionne. Autant dire que l'on a hâte de découvrir la suite de cette nouvelle épreuve dans le prochain volume !
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