Last Hero Inuyashiki
Posté : 25 nov. 2015, 15:50
La fiche sur le site
Tome 1 :
Ichiro Inuyashiki a une femme, deux enfants, vient d'emménager avec eux dans une nouvelle maison, et adopte bientôt un chien. Il a tout ce qu'il faut pour vivre une petite vie simple rêvée. En réalité, c'est tout le contraire. Effacé et un peu lâche de nature, il vit un quotidien stressant qui s'est répercuté sur son physique : à seulement 58 ans, il a déjà l'apparence d'un vieillard et les courbatures qui vont avec. Il dégoûte ses enfants qui préfèrent l'ignorer, il est dénigré par son épouse qui ne le respecte aucunement, et il ne trouve guère de réconfort que dans cette chienne qu'il a adoptée et baptisée Hanako. Mais même cela ne suffit plus quand, ultime comble d'une vie malheureuse, on lui diagnostique un cancer qui mettra fin à sa vie dans trois mois.
Non, il n'a rien pour être heureux... jusqu'à ce que l'impensable se produise. Un soir, alors qu'il sombre de désespoir dehors dans un parc, un objet venu du ciel s'écrase sur lui et ravage une partie du lieu... Pourtant, quand il se réveille, il n'est pas mort, et tout est intact autour de lui. Mieux, il se sent plus en forme qu'avant, ses douleurs aux reins ont disparu, il n'a plus besoin de ses lunettes pour voir correctement. Evidemment, il y a de quoi se réjouir... mais aussi de quoi s'inquiéter, car les aliments n'ont plus le même goût pour lui, les aiguilles se cassent toutes quand on essaie de lui faire des prises de sang, les radio de son corps ne laissent plus rien apparaître... Qu'est-il devenu ? Que lui arrive-t-il ? Il finit par le découvrir devant son miroir :son corps est désormais entièrement truffé de métal et de gadgets. Il est devenu un cyborg, comme par magie...
Remarqué autant en bien qu'en mal selon les avis pour sa série d'action devenue culte Gantz, Hiroya Oku débarque chez Ki-oon avec sa nouvelle série, Last Hero Inuyashiki, qui nous plonge à nouveau dans un récit on ne peut plus prometteur, où le jeune anti-héros détestable de Gantz laisse cette fois place à un autre type d'anti-héros, un cinquantenaire qui paraît beaucoup plus âgé et qui n'a absolument rien d'héroïque. Et c'est essentiellement ce que toute la première partie de ce tome 1 s'applique à nous faire ressentir, en nous invitant à suivre le quotidien sans bonheur d'Inuyashiki. Un homme au visage extrêmement fatigué et affaibli, marqué par les désillusions d'une vie qui n'a jamais été heureuse, et qui n'a jamais été capable de se relever de lui-même. Que ce soit chez lui où il est ignoré et a renoncé à se révolter, dans le métro bondé où il est complètement effacé, dans la rue, ou dans un bar où il avale tristement un plat pas bon marché, on a tout le loisir de cerner tout l'aspect pathétique de cet homme dont la seule issue optimiste semble être la mort qui l'attend... Hiroya Oku en fait-il trop en accumulant les sources de malheur sur le pauvre homme ? Chacun se fera son avis. Dans tous les cas, Oku a le mérite de ne pas non plus s'éterniser trop longtemps là-dessus, car pour faire passer efficacement le portrait de son personnage il peut compter sur ses dessins : entre le visage marqué et fortement ridé du bonhomme et la froideur du monde urbain qui l'entoure, on a vite fait de s'immerger dans ce qu'il peut ressentir. Un idéal de vie simple (maison, femme et enfants aimants...) qu'il n'a jamais pu atteindre. Un quotidien dans un monde stressant et déshumanisé qui ne fait aucun cadeau, si bien que lui-même, dans ses faiblesses, son incapacité à réagir, sa lâcheté face au danger, finit par semblé déshumanisé.
Et ironiquement, c'est pourtant à partir du moment où il perd son corps humain qu'il semble possible pour lui de regagner une humanité... Après avoir dépeint tout le malheur du pathétique Inuyashiki dans la première partie du tome, Oku délivre une deuxième partie où il découvrira petit à petit son regain de forme et ses nouvelles spécificités, jusqu'à découvrir le corps qui est désormais le sien.
Et là aussi, les dessins de l'auteur font des merveilles, tant les planches où le corps mécanique d'Inuyashiki se dévoile sont d'une richesse impressionnante : ce nouveau corps offre des designs inventifs dans leur dégaine (tête divisée en deux, gadgets sortant du bras ou du dos...) et des mécanismes bourrés de détails : quelques planches sont réellement d'une précision effarante, et si on couple cela à tout ce que l'on a pu dire avant sur les dessins dans cette chronique, il n'est pas exagéré de dire qu'Oku est parvenu à des sommets dans son art de la modélisation 3D réaliste.
Armé de ce nouveau corps qu'il découvre peu à peu et qu'il ne maîtrise pas encore, Inuyashiki s'interroge, est forcément partagé entre de nombreux sentiments : le désespoir de cette situation qu'il ne comprend pas encore, le sentiment de n'être plus qu'une machine (mais n'était-ce pas avant qu'il l'était ?), la possibilité éventuellement salvatrice de tout plaquer (y compris une famille qu'il ne sera peut-être plus obligé d'entretenir)... et, enfin, le sentiment qu'il peut utiliser son nouveau corps pour faire ce qu'il n'avait jamais réussi à faire avant. Être courageux. Sauver des vies. Il commencera cela dès la dernière partie du tome, qui ouvre de nombreuses possibilités autour des facultés très riches de ce corps mécanique et d'une critique de société qui ne demande qu'à décoller (elle s'offre déjà des moments très forts, mettant en avant les tares de notre monde moderne, comme la surmédiatisation, l'omniprésence malsaine des réseaux sociaux...).
A tout cela, on peut ajouter des clins d'oeil amusés de l'auteur au Jump, à One Piece, et à sa propre série Gantz (et brièvement, il en profite pour régler malicieusement ses comptes avec les détracteurs de son oeuvre ! ), ainsi que la présentation dans le deuxième chapitre du deuxième personnage central de l'oeuvre, on ne peut plus intrigant...
Immersif et visuellement impressionnant, ce premier tome met efficacement en place des personnages, un univers et un concept qui ne demandent désormais plus qu'à décoller, le mieux étant qu'il est pour l'instant impossible de réellement prévoir la suite tant les possibilités sont multiples. Difficile de faire mieux pour nous intriguer !
Papier et couverture épais, premières pages en couleur, traduction sans fausse note, bonne qualité d'impression... On n'en attendait pas moins de Ki-oon qui nous offre une édition dans ses standards de qualité.