La Plaine du Kanto

Rubrique consacrée aux seinen, c'est à dire des séries se destinant à un lectorat adulte.
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Koiwai
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La Plaine du Kanto

Message non lu par Koiwai » 22 janv. 2011, 15:32

La Plaine du Kanto
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La fiche sur Manga-news


Tome 1:

15 août 1945. L'Empereur Hirohito a annoncé sa reddition et la capitulation du Japon. Dans un champ près d'une petite commune de la région de Chiba, un avion de l'US Air Force s'écrase. En sort un pilote américain, accueilli sous les menaces des paysans qui ont encore du mal à admettre la défaite de leur pays, et finalement sauvé et hébergé par un vieillard, lettré à la retraite. La scène ouvre le récit de la Plaine du Kanto, et se déroule sous les yeux de Kinta, petit garçon qui vit désormais chez le vieillard en question, son grand-père, depuis que ses parents ont disparu. La suite du récit voit les bouleversement s'enchaîner au sein du village, en pleine reconstruction suite à la guerre, le tout sous les yeux innocents de ce jeune garçon, qui a tout à apprendre de la vie: la sexualité, les hauts et les bas de la vie, et la bassesse que peuvent montrer les adultes.

Ainsi, La Plaine du Kanto se dresse comme un véritable parcours initiatique pour Kinta, au sein du Japon des années d'après-guerre. L'enfant découvre des choses anodines comme le chewing-gum apporté par les Américains, ou plus importantes, comme la sexualité. Un point important du récit, qui passe obligatoirement par l'arrivée, tôt dans l'oeuvre, de Ginko, une petite fille réfugiée avec sa mère, mère qui ne va pas tarder à mourir suite à un jeu érotique trop poussé avec son hébergeur. Ensemble, les deux orphelins découvre peu à peu la notion de sexe, le tout étant présenté sans tabous, mais également sans racolage. Le tabou n'est décidément pas présent, puisque l'ambiguïté est profonde autour de la petite Ginko, au sujet de laquelle on découvre rapidement qu'elle n'est une fille que psychologiquement.

Au fil des chapitres, Kinta et Ginko vont faire l'expérience de la vie sous bien des aspects. L'aspect enfantin est évidemment présent, et passe avant tout par la présence d'Ishimatsu, un garnement qui deviendra vite le "meilleur ennemi" de Kinta. Les bagarres et jeux d'enfants sont là, mais Kamimura aborde plus volontiers le regard de son jeune héros sur le monde adulte, qu'il tente de comprendre avec ses yeux d'enfants. Une compréhension qui passe à travers de nombreuses rencontres, qui le concernent de près ou de loin, et qui mettent tout autant en avant la reconstruction du pays que la bassesse des sentiments humains. Voisin sans scrupules n'hésitant pas à profiter de la réfugiée qu'il accueille, soldat américain témoin des horreurs qu'il a pu voir, yakuzas, homme plein de bonne volonté pour la reconstruction mais sombrant dans la folie quand il découvre que sa femme le trompe avec un américain, illustrateur renommé de passage... Rien n'est épargné, tous les éléments de l'époque, de la présence américaine à la reconstruction du pays, sont dépeints par l'auteur à travers les yeux de Kinta et de ses amis enfants, simples spectateurs, acteurs directs, ou victimes des évènements, le tout ne tombant jamais dans la surenchère émotionnelle. Kamimura se contente de présenter l'époque sans prendre parti, sous la forme d'une chronique où le temps s'écoule paisiblement. Le mangaka ne souhaite pas offrir un récit sombre et fataliste, et s'appuie donc sur son trait fin et élégant, évoquant le style des estampes au niveau des personnages, pour nous offrir également régulièrement de grandes pages laissant apparaître des paysages calmes de toute beauté.

Sans parti pris, avec la plus grande simplicité, la Plaine du Kanto dresse le portrait d'une époque, d'un pays déboussolés devant se reconstruire, le portrait d'une humanité en proie au doute et à la bassesse. Intéressante sous bien des aspects, l'oeuvre prend réellement tout son sens quand on sait qu'elle est majoritairement autobiographique. Ce cadre de la plaine du Kantô, c'est celui où Kamimura a vécu son enfance. Ces paysages, il a grandi en les voyant. Les évènements qu'il présente, on devine qu'il les a connus. Et l'on sait que l'on peut le retrouver en Kinta. Le mérite de l'auteur étant de porter un regard non pas critique sur ces années qui ont vu son enfance défiler, mais un regard simple, nostalgique, sur ce passé. Le portrait d'époque est parfait, et l'on est en droit de se demander si tous ces éléments présentés dans la Plaine du Kanto n'auraient pas influencé le style, la pensée, le travail de Kazuo Kamimura. De ce fait, il pourrait être intéressant de relire les autres titres de l'auteur après avoir parcouru la Plaine du Kanto. Quant à celles et ceux qui n'ont encore jamais lu un seul titre de l'auteur, il semble donc inutile de préciser que la Plaine du Kanto est probablement la meilleure oeuvre pour commencer l'aventure Kamimura, tant on y trouve tout ce qui fait le charme et l'unicité de l'auteur: le goût pour l'érotisme, pour les chroniques sans tabous, pour les peintures humbles d'époques, de sociétés et d'êtres déboussolés.

Du côté de l'édition, Kana nous offre un travail convenable. La traduction est correcte, tandis que l'impression, globalement satisfaisante, souffre tout de même de quelques moirages et d'une encre qui bave un peu par moments. La courte préface de Kamimura et la postface de son contemporain, l'auteur Aku Yû, sont des plus indéniables. Malgré le grand format et les 400 pages de ce tome 1, le prix, élevé, de 18€, restera le principal frein à l'achat.
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Koiwai
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Re: La Plaine du Kanto

Message non lu par Koiwai » 19 avr. 2011, 02:50

Tome 2:

La vie continue pour le petit Kinta, qui déclare aimer son village et ses paysages au point de ne jamais vouloir les quitter. Pourtant, quand son grand-père succombe à la maladie, il n'a d'autre choix que de suivre à Tokyo le dessinateur Yanagawa, qui le prend sous son aile, l'élève comme son propre fils et fait tout pour qu'il puisse accéder aux études qu'il souhaite.

Ainsi, Kinta dit adieu aux paysages campagnards de son village natal pour découvrir une autre facette de la plaine du Kantô: la grande ville de Tokyo, en plein renouveau. C'est désormais là-bas qu'il grandira.

Neuf ans , puis quinze ans, puis dix-neuf: dans ce tome, ce ne sont pas moins de dix années de sa vie que nous voyons défiler, dix années pendant lesquelles les expériences en tous genres vont se succéder: découverte de pratiques sexuelles déviantes par le biais des esquisses sado-masochistes de Yanagawa, découverte du sentiment amoureux au lycée, de la cruauté des femmes et des extrémités tragiques auxquelles peut pousser la passion, premières relations sexuelles malsaines, études, apprentissage d'un travail de dessinateur, retrouvailles avec Ginko, ce garçon-fille si particulier...

Dans un univers qui oscille souvent avec la pauvreté, Kinta, au fil de ces expériences, évolue sans jamais oublier cette plaine du Kantô, en faisant de nouvelles rencontres, bonnes ou mauvaises, de la pauvre prostituée qui va profiter de lui au camarade de classe qui revient juste des prisons chinoises, en passant par l'icône américaine bien connue qu'est Marilyn Monroe. Les êtres qui évoluent autour du jeune garçon puis du jeune homme sont rarement bons, jamais totalement mauvais, trop souvent en proie à leurs désirs, et, de fil en aiguille, sont dépeints, à travers les personnages, les faits historiques des années évoquées, comme le statut des japonais restés prisonniers en Chine, ou, exemple plus parlant ici, l'émancipation homosexuelle vue par le biais de Ginko.

Le grand mérite de Kazuo Kamimura étant ici, à l'instar du volume 1, de dépeindre cet ensemble sans esprit critique, avec une teinte de mélancolie qui frise la nostalgie, comme un regard bienveillant sur un passé que l'auteur a lui-même vécu.

Porté par des personnages "flottant" dans leur époque, pour reprendre le sous-titre de l'oeuvre, par un ton juste, le trait unique de son auteur et ce goût pour les paysages à la fois désolés et magnifiques, la Plaine du Kantô continue de séduire en tous points, se dressant indéniablement comme l'une des meilleures oeuvres de Kazuo Kamimura. Un incontournable pour qui s'intéresse ou souhaite s'intéresser à l'auteur.
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feryoni
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Re: La Plaine du Kanto

Message non lu par feryoni » 22 avr. 2011, 19:54

tu spoil là je l'ai pas encore lu :mrgreen: je déconne :wink:

j'adore l'auteur et je me suis mis en tête de faire la collection de toute son oeuvre.
Ayant adorer le premier tome je me réjouis de ce second opus que j'aurais d'ici peu.
Koiwai en a fait une très bonne description, je conseille cette lecture à tous ceux qui souhaite agrandir leur bibliothèque d'une oeuvre majeur de cet auteur :mrgreen:

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Re: La Plaine du Kanto

Message non lu par Koiwai » 04 août 2011, 14:41

Tome 3:

"La Plaine du Kantô où j'ai été évacué à la fin de la guerre n'est pas si éloignée de Tokyo et on peut s'y rendre en une heure. Pourtant, je n'y suis jamais retourné en vingt ans depuis que j'habite à Tokyo. Pourquoi ? Parce que je crains d'être accablé de tristesse si je devais revoir les épis de riz vibrer dans le soleil couchant."

Cette phrase, qui clôt la belle postface de Kazuo Kamimura, résume à elle seule l'atmosphère de la Plaine du Kantô, définitivement grande oeuvre parmi les grandes oeuvres de l'auteur.

Dans ce dernier volume, nous retrouvons Kinta, sorte de représentation autobiographique de l'auteur, progressant dans l'art du dessin et découvrant à chaque fois un peu plus les affres du sexe.
Après son amour d'enfance qui s'est achevé dramatiquement, il a retrouvé sur sa route Ginko, son ami d'enfance gay et travesti, qui continue de mener une vie que tout occidental qualifiera de débauchée, et il fait à présent la rencontre de Kyôko, une jeune femme indéchiffrable, qui prend plaisir dans le sexe mais dont les sentiments profonds restent un mystère total. Est-elle sincère ou manipulatrice ? Dans tous les cas, on sait déjà que Kinta a largement appris à se méfier des pièges féminins, pourtant si attirants. Malgré tout, a-t-il seulement la force de lutter contre ?
Quant à la carrière du jeune homme, elle se poursuit non sans quelque amertume, partagée entre une société nouvelle, en pleine mutation, et des valeurs parfois plus vieilles que lui a transmises le vieil Ogumo, son maître, celui qui l'a élevé après la mort de son grand-père. Quoi qu'il en soit, on assiste aux prémices de la lente percée du garçon dans le milieu artistique.

Partagé entre différentes facettes du sexe, du monde du travail, du monde humain en général, Kinta nous renvoie en pleine figure la propre expérience de Kazuo Kamimura. Les personnages semblent sans cesse un peu perdus, mélancoliques, ressassant leurs souvenirs comme on pourrait le voir dans toute autobiographie pure et dure. Certains personnages se livrent de plus en plus face à leurs expériences et leurs souvenirs, et l'on se surprend parfois à avoir envie de les accompagner dans leurs émotions, comme les pleurs d'un Ginko qui symbolise à lui seul toute l'essence du manga. Et quand arrive la fin tout en subtilité et en mélancolie de l'oeuvre, quand l'heure arrive de découvrir la postface percutante de l'auteur, à la fois crue et sincère, on comprend tout de suite mieux le rapport si particulier que celui-ci a avec le sexe et le monde en mutation qu'il a connu, des thèmes ayant toujours été au coeur de ses oeuvres.

Pour autant, comme toujours, le ton de Kamimura ne se veut jamais critique sur le moindre point. Les affres de la vie se poursuivent, le sexe est présenté sans tabou, dans tout ce qu'il peut avoir de négatif et à la fois de fascinant, certains personnages sont capables d'arriver moralement très bas, mais le mangaka se contente toujours de raconter son histoire comme un témoignage d'une époque, de l'époque qu'il a connue, avec une infinie mélancolie, sur un ton qui emprunte à la tristesse, à la bienveillance, au regret. Et pour tout ça, son trait fin et élégant conserve toute sa force.

Au fil de ces dernières années, à travers plusieurs oeuvres, nous avons pu découvrir en Kazuo Kamimura un auteur unique et infiniment intéressant. Aujourd'hui, après tout ceci, l'arrivée en France de la Plaine du Kantô sonne comme un sommet dans la découverte de ce mangaka parti trop tôt. La Plaine du Kantô résonne comme une oeuvre semi-autobiographique puissante et sincère, comme le titre dans lequel son auteur se livre le plus et touche le plus. Si vous ne devez posséder qu'un seul manga de Kazuo Kamimura, c'est celui-ci.
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