La Plaine du Kanto
La fiche sur Manga-newsTome 1:
15 août 1945. L'Empereur Hirohito a annoncé sa reddition et la capitulation du Japon. Dans un champ près d'une petite commune de la région de Chiba, un avion de l'US Air Force s'écrase. En sort un pilote américain, accueilli sous les menaces des paysans qui ont encore du mal à admettre la défaite de leur pays, et finalement sauvé et hébergé par un vieillard, lettré à la retraite. La scène ouvre le récit de la Plaine du Kanto, et se déroule sous les yeux de Kinta, petit garçon qui vit désormais chez le vieillard en question, son grand-père, depuis que ses parents ont disparu. La suite du récit voit les bouleversement s'enchaîner au sein du village, en pleine reconstruction suite à la guerre, le tout sous les yeux innocents de ce jeune garçon, qui a tout à apprendre de la vie: la sexualité, les hauts et les bas de la vie, et la bassesse que peuvent montrer les adultes.
Ainsi, La Plaine du Kanto se dresse comme un véritable parcours initiatique pour Kinta, au sein du Japon des années d'après-guerre. L'enfant découvre des choses anodines comme le chewing-gum apporté par les Américains, ou plus importantes, comme la sexualité. Un point important du récit, qui passe obligatoirement par l'arrivée, tôt dans l'oeuvre, de Ginko, une petite fille réfugiée avec sa mère, mère qui ne va pas tarder à mourir suite à un jeu érotique trop poussé avec son hébergeur. Ensemble, les deux orphelins découvre peu à peu la notion de sexe, le tout étant présenté sans tabous, mais également sans racolage. Le tabou n'est décidément pas présent, puisque l'ambiguïté est profonde autour de la petite Ginko, au sujet de laquelle on découvre rapidement qu'elle n'est une fille que psychologiquement.
Au fil des chapitres, Kinta et Ginko vont faire l'expérience de la vie sous bien des aspects. L'aspect enfantin est évidemment présent, et passe avant tout par la présence d'Ishimatsu, un garnement qui deviendra vite le "meilleur ennemi" de Kinta. Les bagarres et jeux d'enfants sont là, mais Kamimura aborde plus volontiers le regard de son jeune héros sur le monde adulte, qu'il tente de comprendre avec ses yeux d'enfants. Une compréhension qui passe à travers de nombreuses rencontres, qui le concernent de près ou de loin, et qui mettent tout autant en avant la reconstruction du pays que la bassesse des sentiments humains. Voisin sans scrupules n'hésitant pas à profiter de la réfugiée qu'il accueille, soldat américain témoin des horreurs qu'il a pu voir, yakuzas, homme plein de bonne volonté pour la reconstruction mais sombrant dans la folie quand il découvre que sa femme le trompe avec un américain, illustrateur renommé de passage... Rien n'est épargné, tous les éléments de l'époque, de la présence américaine à la reconstruction du pays, sont dépeints par l'auteur à travers les yeux de Kinta et de ses amis enfants, simples spectateurs, acteurs directs, ou victimes des évènements, le tout ne tombant jamais dans la surenchère émotionnelle. Kamimura se contente de présenter l'époque sans prendre parti, sous la forme d'une chronique où le temps s'écoule paisiblement. Le mangaka ne souhaite pas offrir un récit sombre et fataliste, et s'appuie donc sur son trait fin et élégant, évoquant le style des estampes au niveau des personnages, pour nous offrir également régulièrement de grandes pages laissant apparaître des paysages calmes de toute beauté.
Sans parti pris, avec la plus grande simplicité, la Plaine du Kanto dresse le portrait d'une époque, d'un pays déboussolés devant se reconstruire, le portrait d'une humanité en proie au doute et à la bassesse. Intéressante sous bien des aspects, l'oeuvre prend réellement tout son sens quand on sait qu'elle est majoritairement autobiographique. Ce cadre de la plaine du Kantô, c'est celui où Kamimura a vécu son enfance. Ces paysages, il a grandi en les voyant. Les évènements qu'il présente, on devine qu'il les a connus. Et l'on sait que l'on peut le retrouver en Kinta. Le mérite de l'auteur étant de porter un regard non pas critique sur ces années qui ont vu son enfance défiler, mais un regard simple, nostalgique, sur ce passé. Le portrait d'époque est parfait, et l'on est en droit de se demander si tous ces éléments présentés dans la Plaine du Kanto n'auraient pas influencé le style, la pensée, le travail de Kazuo Kamimura. De ce fait, il pourrait être intéressant de relire les autres titres de l'auteur après avoir parcouru la Plaine du Kanto. Quant à celles et ceux qui n'ont encore jamais lu un seul titre de l'auteur, il semble donc inutile de préciser que la Plaine du Kanto est probablement la meilleure oeuvre pour commencer l'aventure Kamimura, tant on y trouve tout ce qui fait le charme et l'unicité de l'auteur: le goût pour l'érotisme, pour les chroniques sans tabous, pour les peintures humbles d'époques, de sociétés et d'êtres déboussolés.
Du côté de l'édition, Kana nous offre un travail convenable. La traduction est correcte, tandis que l'impression, globalement satisfaisante, souffre tout de même de quelques moirages et d'une encre qui bave un peu par moments. La courte préface de Kamimura et la postface de son contemporain, l'auteur Aku Yû, sont des plus indéniables. Malgré le grand format et les 400 pages de ce tome 1, le prix, élevé, de 18€, restera le principal frein à l'achat.