
En attendant la chronique de Jojo, je me permets de créer le topic, pour parler de mes premières impressions à chaud sur le tome 1.
En bon fan de la première heure d'Inio Asano, Bonne nuit Punpun était l'une des séries que j'attendais le plus en France. L'idée de suivre l'auteur sur une première série longue était séduisante, et ce que j'en avais vu dans les tomes vo m'avait déjà conquis. Même sans comprendre les textes, ce qui frappait déjà au feuilletage des tomes vo, c'était ce contraste total entre un univers extrêmement réaliste, porté par des décors très détaillés, et Punpun, un trait, un rond pour l'oeil, une vague forme de volatile. Une idée qui m'avait d'emblée séduit, montrant toujours plus la façon qu'a Asano de s'affranchir des limites du manga classique pour aborder un sujet simple d'une manière nouvelle.
C'est donc plus intrigué que jamais, pressé de voir comment Asano allait exploiter ça, que je me suis plongé dans la lecture du premier volume de Bonne nuit Punpun.
Un sujet simple, donc, mais pas tant que ça. L'histoire d'une vie, et une vie n'est jamais simple. Cette vie, c'est donc celle de Punpun, qu'Asano a pour ambition de développer de son enfance jusqu'à son arrivée dans l'âge adulte. Cet âge de jeune adulte qu'Asano a déjà tant de fois mis en avant dans ses précédentes séries, via ses personnages un peu paumés, à la situation pas toujours sûre, à l'image de ce qui fait bien souvent notre monde d'aujourd'hui.
Cette fois-ci, Asano prend donc pour point de départ un héros enfant, et destiné à évoluer sur la longueur. Un projet très ambitieux, qu'on ne voit finalement que rarement dans le manga, étrangement. Un projet qui sera mené d'une manière tout sauf banale.
Et qu'on se le dise, ce Bonne nuit Punpun risque, dans un premier temps, d'en dérouter certains, y compris certains fans d'Asano, ce qui est déjà le cas pour certaines personnes de mon entourage que j'avais converties à Asano, mais qui n'étaient pas forcément habituées à lire des manga aussi "perchés" que Punpun. Avoir une espèce de piaf simpliste en guise de héros les ayant déstabilisés, sur le coup. Moi-même, qui adore justement les lectures déstabilisantes, je me suis posé quelques questions au départ. Pas seulement sur le physique de Punpun, que je connaissais déjà, mais, de manière générale, sur le ton du manga. Plus précisément, sur le parti-pris d'Asano de pousser à l'extrême le comportement de ses personnages adultes. Ainsi a-ton, par exemple, un prof pétant un câble tout seul, un prof principal et le directeur de l'école jouant à cache-cache de manière assez extrême, un avocat avec un bouille pour le moins sérieusement atteinte, ou une femme membre d'une secte qui a elle aussi tendance à partir en vrille.
Et c'est bien pour ça qu'après quelques doutes, je me suis régalé à la lecture, en m'amusant à décripter les différents partis-pris d'Asano. Pousser à l'extrême les caractères des adultes ne fait que mieux ressortir l'incompréhension de l'enfant Punpun face à ceux-ci.
Le physique simple de Punpun, quant à lui, a eu plusieurs impacts sur moi:
D'une, il permet de créer un personnage tout à fait unique, dans une vie pourtant banale, et ça, c'est fort. On a un gamin tout ce qu'il y a de plus classique dans le fond, qui découvre l'amour, le sexe, qui joue, qui connaît des hauts et des bas, s'interroge comme tout le monde, fait des promesses d'enfant... mais en lui offrant un physique tout sauf banal, Asano fait parfaitement ressortir l'unicité d'une vie pourtant simple. Et par-là même, l'unicité de chacun de nous.
De deux, le physique simpliste de Punpun dégage une candeur infinie, qui a tout de celle d'un gamin découvrant la vie. Une candeur qui se voit d'emblée via les couvertures immaculées. Une candeur qui est donc renforcée par l'aspect extrême des adultes, mais aussi par le fait que Punpun ne s'exprime jamais de manière directe, souvent par des signes genre tremblements du trait (Asano, ou comment offrir à un trait et un rond une impressionnante palette d'émotions), tout au plus via des dialogues d'un narrateur externe. Un principe que l'on retrouve dans les contes, notamment, ce qui a pour effet d'apparenter fortement le personnage de Punpun à un personnage de conte, un personnage enfantin. Sa candeur n'en est que mieux mise en valeur.
De trois, je ne peux m'empêcher de voir dans sa vague forme de volatile le symbole d'un personnage un peu paumé, qui s'envolerait bien loin des tracas quotidiens qu'il ne souligne pas mais dont il n'est pas dupe, ou qui se laisserait porter au gré du vent sans savoir où poser exactement ses pieds. Comme beaucoup d'ados et de jeunes adultes. Cette sorte de symbole me paraît d'autant plus forte via la promesse qu'il fait à la petite Aiko, de s'envoler un jour loin avec elle.
Sur ce, j'en viens au fond. Car si la forme est infiniment intéressante, le fond annonce lui aussi quelque chose de très bon, même si, uniquement à la lecture du tome 1, je reste encore un peu sur ma faim. Reste que les pistes sont déjà nombreuses, et l'on voit donc Punpun découvrir la vie, l'amour via la jolie Aiko (qu'elle est choupi, bon dieu, avec sa dent en moins et sa bouille d'ange *____*), le sexe avec sa première masturbation et les soirées aves ses amis, mais aussi l'impitoyable monde des adultes, dont la folie ressort parfaitement grâce à ce que j'ai souligné avant : dureté familiale entre un père et une mère qui ne s'entendent plus, dureté de l'enseignement avec un prof trop extrême et des supérieurs qui semblent peu impliqués, dureté de ce qui fait notre monde au quotidien, avec les sectes, la mort, le suicide, la précarité (la famille de Punpun volant en éclats...)... Mine de rien, l'univers de Bonne nuit Punpun est loin d'être joyeux, et si l'on a parfois envie de rire face à certaines situations ou certaines réactions d'adultes, c'est un rire jaune qui domine, une sorte de malaise qui s'installe. Une sensation étrange, que je n'arrive pas à définir. Une sensation unique, que seule Asano est capable de créer. On retrouve déjà dans ce prmeier volume pléthore d'éléments chers à Asano, l'auteur les mettant en avant de manière inédite, donc. Mais il en manque encore. J'ai le sentiment qu'il ne s'agit encore que d'un volume d'introduction pour certains sujets. Mais le terrain est prêt, et j'ai hâte de lire le deuxième tome.
En somme, avec un seul tome, Bonne nuit Punpun s'impose d'ores et déjà comme une lecture unique en son genre, et comme une oeuvre de grande envergure, à ce jour la plus ambitieuse d'Asano. Et quand on sait qu'il déclare lui-même que le jour où il mettra fin à cette série il aura l'impression de se tuer, on peut se dire que cette série sera réellement l'oeuvre d'une vie, dans tous les sens du terme.
Maintenant, j'espère que les non-habitués à des oeuvres trop "perchées" sauront passer le cap et voir toute la richesse que pourrait nous apporter cette série, si elle confirme, et nul doute qu'elle confirmera. Egalement un grand bravo à Kana qui essaie vraiment de pousser au maximum la série, preuve qu'ils y croient et, surtout, qu'ils y tiennent.
Allez, un petit 16/20, en attendant de voir le fond trouver pleinement ses marques.