WOLFSMUND
Tome 1 par RaimaruAuteur : Mitsuhisa KUJI
Type : seinen
Genre : historique
Nombre de tomes : 1 en France, 3 au Japon (en cours)
Éditeur VF : Ki-oon
Éditeur VO : Enterbrain
Prépublication : Fellows !!
La fiche sur le site
« Un jour viendra où, à force d’avoir trop souffert, le peuple se soulèvera et renversera tous ces tyrans ! »
Au quatorzième siècle en Suisse, le Duc Léopold Ier d’Autriche dirige son Etat d’une main de fer. Il ne reconnait pas l’autonomie des cantons Uri, Unterwald et Schwytz, membres de la confédération des trois cantons, qui se rebellent en représailles. Il réprime dans le sang quiconque lui tient tête ainsi que les membres de la famille du révolté. La passe du Saint-Gothard est un emplacement stratégique alpin qui permet aux persécutés de fuir le pays pour se réfugier en Italie. Surnommée Wolfsmund, la Gueule du Loup, elle est contrôlée par Wolfsram, un magistrat aux ordres du Duc d’Autriche, chargé de filtrer les passages et d’éliminer les criminels politiques. On dit de lui qui peut lire dans le cœur des gens sans jamais se tromper, et dès qu’il met la main sur un fuyard, il l’exécute et l’expose sur la place publique, c’est pourquoi cet endroit inspire autant la terreur.
Avec Wolfsmund, Mitsuhisa Kuji, ancien assistant de Kentarô Miura, nous offre sa première série et se veut déjà ambitieux. En effet, une histoire de ce type demande beaucoup de documentation. Il est aussi nécessaire d’aller au-delà d’un simple récit historique et savoir jouer avec les émotions du lecteur. Il est un peu tôt pour savoir si l’on tient là une future grande épopée médiévale, mais avec ce tome introductif, on a toutes les raisons d’y croire.
En effet, il ne s’agit pour l’instant que d’une introduction. Trois chapitres, trois duos de personnages qui doivent affronter la terrible épreuve de la passe du Saint-Gothard. Le premier couple de personnages est composé de Liese, la fille d’un chef rebelle exécuté qui doit fuir pour ne pas être exécutée à son tour et de Georg, un chevalier aux ordres de ce chef rebelle. Le second duo est constitué de Klaus, une tête pensante du canton d’Uri et de Johanna, une experte en combat qui veille sur lui. Klaus souhaite transmettre un sceau de l’autre côté de la frontière. Guillaume Tell et son fils Walter forment le dernier duo de ce tome. Tous deux souhaitent passer la frontière pour rejoindre leurs compagnons d’armes.
Deux autres personnages marquent encore plus profondément l’intrigue, puisqu’ils sont présents dans tous les chapitres : la tenancière d’une auberge de la passe et l’amman Wolfsram. La tenancière assiste impuissante à toutes les exécutions et incarne la pensée révolutionnaire et la tension ambiante. A l’opposée, Wolfsram est un être qui inspire la peur. Sous son sourire angélique, personne ne semble pouvoir le tromper, et il prend un malin plaisir à exposer les corps des rebelles sur la place publique. Ces deux personnages ne sont pour l’instant pas très développés mais ils sont déjà très appréciables aux yeux du lecteur, car ils possèdent déjà des caractères très marqués et aident à cerner le contexte et les enjeux de la série.
Ce qui caractérise à ce stade la série, c’est le ton qu’elle aborde pour évoquer des sujets historiques dramatiques. Tout est en retenu. Les personnages pleurent évidemment la mort des personnes qui leur sont chers, mais pourtant, il n’y a pas de déversement de rage comme dans certaines autres séries. C’est surprenant dans un premier temps, car certaines scènes sont extrêmement violentes physiquement et moralement, l’amman ne laissant aucune chance à ses victimes. Par exemple, une exécution secondaire dans l’intrigue, à titre illustratif de cette cruauté, consiste en ce que le fils d’un rebelle maintienne le poids de son père sur ses épaules, sinon celui-ci se retrouve pendu. La scène est extrêmement dure et pourtant, l’auteur reste sur un ton plutôt sobre, le fils restant simplement choqué de voir son père pendu. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Tout dépend des sensibilités du lecteur. L’un trouvera l’intrigue trop neutre, un autre pourra y percevoir une tension électrique dans l’ambiance qui menace d’exploser, à l’image de la colère des rebelles.
Là où le jeune auteur a concrètement bien travaillé, c’est d’une part sur la retranscription du contexte historique, où l’immersion en Europe médiévale est complète sur tous les plans ; et d’autre part sur la narration de son intrigue. Il a réussi à instaurer un petit cliffhanger après un cycle d’histoires similaires. En effet, chaque chapitre aboutit à la même finalité. Lors de la lecture du troisième chapitre, on s’apprête à voir la même chose, mais Kuji préfère finir différemment et offre en même temps une ouverture sur ce qui sera probablement la vraie intrigue de Wolfsmund.
Graphiquement, Kuji manque peut-être encore d’identité stylistique, les décors manquent de détails, les vêtements des personnages sont relativement simples. Malgré tout, il ressort des planches une certaine beauté, due à un effet plume. Il a aussi étrangement opté pour un découpage carré des cases, aucune case n’est de biais. On pourrait croire qu’il y perd en dynamisme, c’est à moitié vrai. Il compense par son aptitude à très bien dessiner les mouvements des personnages.
L'édition de Ki-oon est irréprochable, comme d'habitude : papier et impression de qualité, traduction impeccable par rapport au contexte, ni trop maniérée ni trop "moderne".
Ce premier tome de Wolfsmund est un petit succès. Kuji montre déjà une certaine maîtrise de son histoire, de sa narration et de sa capacité à créer des personnages attachants. On s’attend à présent à l’envolée de son intrigue, et on peut bien y croire !