Jirô TANIGUCHI

Rubrique consacrée aux seinen, c'est à dire des séries se destinant à un lectorat adulte.
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Kiraa7
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Re: Jirô TANIGUCHI

Message non lu par Kiraa7 » 06 mars 2014, 09:42

L'homme qui marche (deuxième édition)

Si vous êtes impliqué dans le manga ou plutôt dans le seinen voir même le manga d'auteur, vous connaissez forcément Jirô Taniguchi. Populaire pour ses oeuvres très humaines, douces, et qui font réfléchir, ce dernier a également le talent de retranscrire notre univers de manière très réaliste, que ce soit par la narration ou par son trait. Dans l'homme qui marche, l'auteur cherche à nous illustrer simplement les petits plaisirs que peut procurer une simple balade, que ce soit l'observation des oiseaux ou la remontée d'une rivière.

L'homme qui marche est donc une oeuvre tout à fait particulière. En effet, il n'y a que très peu de dialogues, l'intérêt du récit se basant complètement sur les dessins et sur notre homme d'âge mûr que l'on suit durant ses diverses marches. La lecture est donc très poétique, très belle, et nous transporte dans des paysages merveilleux, urbains comme ruraux, et nous laissent admiratif face à leur beauté. C'est d'ailleurs là que l'on peut ressentir un gêne : on côtoie généralement assez souvent ces paysages mais la preuve est qu'on ne profite pas de ce qui nous entoure, l'homme ne prend plus le temps d'admirer le contexte dans lequel il vit et c'est dommage.

C'est donc cela que Jirô Taniguchi cherche à nous faire comprendre : la beauté de ce qui nous entoure. Dans l'homme qui marche, nous suivons donc un homme d'âge mûr (environ la cinquantaine à priori) d'une nature curieuse et qui, à travers divers chapitres, s'amusera à détourner son chemin pour rentrer chez lui afin d'admirer telle ou telle chose. Nous allons le suivre pour observer les oiseaux dans un petit bosquet près de sa maison, nous irons également marcher sous la neige ou sous la pluie et voir de nouveaux tableaux apparaître suite à ces intempéries de la nature, et d'autres balades sont prévues : petit chemin à côté du Mont Fuji, bord de plage, sentier suivant la rivière, ruelle, bâtiment en hauteur, etc...
C'est donc à travers tout ces contextes que nous suivrons notre homme qui marche et qui prend le temps de regarder ce qui l'entoure, d'aider une vieille dame à traverser, de se balader avec un autre vieil homme, ou bien même de jouer dans les flaques d'eau tel un enfant, tout comme sa grimpée dans un arbre.
Mais l'homme a également ses limites : ce n'est plus un jeune adulte et certains efforts lui sont un peu difficiles, lui rappelant également qu'il n'a plus toute sa jeunesse et que certaines choses ne lui sont plus possibles comme avant.

C'est dans tout cela qu'on trouve donc la beauté de ce récit, avec une lecture très calme et contemplative, mais pourtant terriblement efficace. De jolis décors se délivrent devant les yeux de l'homme et des notre, d'ailleurs parfois surprenants.
L'homme qui marche est un manga qui offre une lecture plutôt personnelle, qui vous atteindra plus ou moins selon votre degré de sensibilité, mais si vous aimez prendre du temps à faire une pause dans la journée pour réfléchir et regarder par la fenêtre ce que la ville vous offre, ce récit est fait pour vous.

Une très bonne lecture donc, assez originale et qui nous offre un parfait moment de détente. L'auteur dessine des paysages dans un réalisme fou à tel point que ceux-ci nous charment dès les premiers instants. Seul bémol : le lettrage de cette édition, plutôt bizarre et qui ne colle pas vraiment à ce type d'ouvrage, mais bon pour le peu qu'il y en est... Quant au reste de l'édition, c'est du tout bon, dans un sens occidental se rapprochant plus de la bande dessinée franco-belge.
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Re: Jirô TANIGUCHI

Message non lu par Kiraa7 » 11 mars 2014, 15:16

Le Promeneur

On ne présente plus Jirô Taniguchi : auteur pilier du manga, réputé pour son style proche de la BD franco-belge, sa renommée n'est plus à faire. Avec plus d'une quinzaine de ses titres parus chez nous, autant dire qu'on a vu l'auteur sous tous les genres et tous les formats. Et bien en 2008 nous avons eu droit à mettre la main sur Le Promeneur, manga édité sous le format d'une BD occidentale qui nous transporte dans diverses promenades à travers Tokyo...

Avec ce thème, on aura tôt fait de penser à L'homme qui marche, autre oeuvre de l'auteur ayant pour ainsi dire le même thème à savoir la balade. Mais même si le genre des récits est bel et bien le même, ces deux derniers sont pourtant différents; en effet si L'homme qui marche nous amenait à suivre un homme d'âge mûr à travers diverses petites promenades où ce dernier profitait de petits moments agréables, tel le chant des oiseaux ou encore le doux bruit d'un ruisseau qui coule, Le Promeneur lui nous emmène à travers la ville plus exactement, entre divers quartiers nouveaux comme anciens. Alors que le héros de L'homme qui marche se questionnait plus sur ce qui fait la richesse d'une balade où nos cinq sens sont éveillés, celui du présent récit s'interroge plutôt sur le devenir de sa ville, de son changement à travers le temps et tente de trouver une réponse à tout ça.

Dans la forme, c'est la même chose : bien qu'un peu moins aventurier dans l'âme que son comparse dans l'autre manga cité précédemment, ici le héros est également amené à se promener pour diverses raisons, que ce soit l'envie de faire un petit détour à pied avant d'aller au boulot, le fait de devoir aller acheter un cadeau dans un quartier précis pour retrouver une boutique spéciale, un ami qui lui propose de promener son chien, bref toutes les raisons seront bonnes à notre homme pour qu'il se serve uniquement de ses jambes pour contempler le paysage dans lequel il vit. Mais les questions tournent donc ici plus sur la relation passé/présent/futur, notre héros vivant dans sa ville depuis de nombreuses années. Est-ce bien de voir de tels changements opérer ? Les bâtiments de maintenant sont-ils mieux que ceux d'avant ? Une petite ruelle dans l'ombre ne peut-elle pas posséder son propre charme elle aussi ? Tant de questions qui ne peuvent pas avoir de réponses concrètes tant les pensées diffèrent ainsi que les façons de ressentir notre propre vie dans un tel contexte...

Cependant, notons que Le Promeneur prend un ton légèrement pessimiste, le héros étant souvent dans la mélancolie et se demandant si sa vie lui convient vraiment, et de ce qu'elle aurait pu être s'il avait fait telle ou telle chose autrement. Si vous êtes du même genre que le personnage principal, vous pourrez certainement être touché par ses propos et vous verrez certainement votre ville d'une toute autre manière durant votre prochaine balade. Cet effet sera d'autant plus accentué si vos études ou votre travail sont en rapport avec la ville (ce qui est mon cas justement) où l'auteur, entre ses cadrages précis et méticuleusement dessinés ainsi que ses propos retranscrits par son personnage ainsi que lors de l'interview en fin de volume, illustre très bien cette idée comme quoi il est difficile de juger le changement d'une ville et qu'au fond il n'y en a pas de réellement bons ou mauvais.

Le Promeneur se veut donc être une oeuvre qui fait réfléchir, pas la meilleure de l'auteur certes mais qui vaut tout de même le détour. L'édition est excellente et retranscrit à merveille les dessins de l'auteur, toujours plus magnifiques, grâce au format BD occidentale. Dans la même veine que L'homme qui marche donc, Jirô Taniguchi nous questionne encore une fois sur la relation de l'homme et du paysage et réussit à nous interpeller pour qu'à la fin de la lecture nous nous posions nous-mêmes des questions. Un très bon récit donc bien que peut être un peu court, mais suivi d'une interview de l'auteur plutôt intéressante.
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Re: Jirô TANIGUCHI

Message non lu par Kiraa7 » 25 juil. 2014, 11:02

Un Zoo en hiver :

"Le plaisir de dessiner, la joie de créer une histoire. C'est ce qu'elle m'avait appris... Je sentais mon coeur battre. Au fond, qu'est-ce que j'espérais ?"

On ne présente plus Jiro Taniguchi, un des auteurs piliers du manga, reconnu internationalement notamment en France où il a déjà reçu l'Alph'Art du meilleur scénario à Angoulême en 2003 pour Quartier Lointain. Nombreuses sont les oeuvres nées sous sa plume et il faudrait beaucoup de temps pour toutes les énoncer, mais à présent nous allons parler d'Un Zoo en Hiver, un one-shot semi-autobiographique où l'auteur nous raconte la vie d'un jeune homme qui aspire à être mangaka, avec tous les avantages et inconvénients que cela peut amener, tout cela étant inspiré de la propre expérience de Taniguchi à ses débuts dans le métier.

Kyôto, 1966. Le jeune Hamaguchi travaille chez un fabriquant de textile. Mais lassé de ne pouvoir y assouvir sa passion pour le dessin, il démissionne et part pour Tokyo. Il y découvre, en même temps qu'un studio de mangas qui lui donne sa chance, la vie nocturne et les milieux artistiques de la capitale. Mais le travail d'assistant mangaka est éreintant et Hamaguchi comprend vite qu'on y trouve difficilement le temps et l'énergie pour se consacrer à des oeuvres personnelles.

Qu'on soit clair sur un point au cas où certains ne connaissant pas l'auteur soient surpris : ce manga est complètement différent de Bakuman. Ici le métier de mangaka est plus illustré au niveau de son rapport à la société, de son apport sur le plan humain et des difficultés morales que cela peut entraîner. Le manga commence en nous présentant son héros, Hamaguchi, jeune homme de 18 ans qui a toujours été passionné par le dessin mais qui n'a pas vraiment le temps pour mettre en oeuvre ses travaux, cela à cause de son métier chez un fabriquant de textile. Rapidement, il va se rendre compte que cette vie ne lui convient pas et lorsqu'un ami connaissant un mangaka lui propose de devenir son assistant, il se voit obligé d'accepter.
A peine arrivé dans le studio, on lui donne déjà du travail, un peu pour le mettre à l'épreuve et autant dire qu'il a vite le trac : il travaille chez Mr Kondo, un mangaka très réputé actuellement qui se doit de tenir un rythme effréné pour continuer sa série. Dans l'atelier se trouvent plusieurs assistants : Moriwaki le vieux du groupe qui est un fidèle ami de longue date de Kondo, Fujita un garçon maladroit du même âge que Hamaguchi et parfois Mlle Higashino, leur responsable éditorial, toujours prête pour les motiver. C'est donc au sein d'une petite équipe soudée que notre héros va comprendre comment marche le milieu. Le métier de mangaka s'avère vite pour lui aussi passionnant que difficile : ça y est, le voilà enfin à dessiner toute la journée et faire donc ce qu'il aime, mais en même temps il se rend compte que c'est un travail au ryhtme grandiose, chaque journée de boulot se finissant minimum à minuit sans compter les périodes de bouclage où les nuits blanches s'enchaînent, le tout avec la fatigue et la pression. Un des autres problèmes est aussi que depuis, Hamaguchi possède beaucoup moins de temps pour lui et s'il veut devenir lui-même mangaka, il doit dessiner en plus de son travail après sa journée en restant à l'atelier.

Un des points forts de ce récit est avant tout de nous situer au Japon des années 60, là où le manga n'était pas encore bien reconnu ni très bien vu, à tel point que nombreux étaient les parents à déconseiller leurs enfants de faire ce métier qui n'avait pas encore un avenir assuré. Un autre point majeur de cette histoire, c'est de prendre pour héros un jeune homme de 18 ans, un âge de décision où encore tout peut nous arriver. A-t-il fait le bon choix ? Est-il prêt à vivre cette vie stressante bien que pleine d'autres avantages ? Tant de questions se posent à lui et le voici qu'il fait un pas autant dans le monde du travail que dans le monde des adultes. En effet, il va être aussi l'occasion pour lui des premières sorties en ville entre collègues, les premiers contrats, les premiers échecs mais aussi l'amour, un facteur qui pourra lui être motivant pour sa carrière.

Par delà son récit, l'auteur nous fait suivre un personnage auquel on s'attache très vite et dont on veut voir réussir, c'est ça qui fait la force du manga, tout comme les autres personnages. Car il ne faut pas croire que seul Hamaguchi soit le personnage traité dans cette histoire, ses collègues ont eux aussi leur part de réflexion, chacun a ses objectifs et ensemble ils se confieront et seront prêts à se motiver mutuellement pour faire de leur vie ce qu'ils souhaitent réellement. On pense notamment au chapitre où Fujita avoue faire des planches de son côté, ce qui intéresse leur responsable éditorial, et de voir Hamaguchi aussi heureux pour lui que jaloux, presque énervé de voir quelqu'un de son âge parvenir à son but avant lui.

Bref, Un Zoo en Hiver nous présente donc une histoire maîtrisée de bout en bout et qui fait réfléchir. C'est avec un grand plaisir qu'on découvre le monde des mangakas dans un contexte peut être plus réaliste, mais surtout on voit ce que cela apporte moralement et vis à vis de son entourage, surtout à une époque où peu de personnes croyaient en l'avenir du manga. Un récit riche sur tous les points, avec un dessin toujours aussi beau et fourni en détails, et une belle édition dans la collection "écritures" de Casterman, toujours pour attirer un public plus vaste notamment les habitués au franco-belge.
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Re: Jirô TANIGUCHI

Message non lu par Kiraa7 » 15 févr. 2016, 14:40

Furari

Jiro Taniguchi est un auteur qu'il n'est plus nécessaire de présenter, pilier d'un genre qui a su conquérir un lectorat occidental notamment par son style assez semblable à la BD franco-belge. Une de ses spécificités est de proposer plusieurs types de manga : on pense notamment au polar, aux histoires sentimentales ou encore à l'aventure. Mais un autre thème où l'auteur s'avère être une véritable référence du genre, c'est bien sûr dans le manga contemplatif. Le Promeneur et L'Homme qui marche sont justement deux titres remarquables qui nous transportent dans les rues de la ville nippone à travers les yeux d'un homme simple qui se contente d'observer et de faire des remarques sur ce qu'il l'entoure. Véritable ode à la découverte, ces deux titres sont uniques en leur genre et méritent d'être découvert par un large public. Mais depuis, nous pouvons également accueillir à côté d'eux Furari, un nouveau manga qui cette fois-ci nous propose une balade dans le Tokyo d'autrefois, Edo.

Furari change donc de décor et nous fait découvrir comment la capitale japonaise était il y a de cela plusieurs siècles. La composition du manga s'avère la même que les titres précédemment cités, à savoir un homme comme un autre qui se promène et prend , le temps d'observer ce qu'il l'entoure. Le récit se découpe en plusieurs chapitres et chacun met en scène un élément particulier dont les principaux thèmes sont la nature, les animaux ou encore les phénomènes météorologiques. La grande qualité de Furari est surtout de nous présenter de manière si claire et si détaillée à la fois comment les japonais vivaient par le passé. On découvre ainsi un véritable pan de la culture et des coutumes nippones d'autrefois, et le livre s'avère final comme une encyclopédie tant le titre regorge de renseignements.

Il est ainsi très intéressant de découvrir comment les maisons étaient dans le passé, comment les notions de mesure étaient complètement différentes ou encore comment les gens travaillaient. Mais une autre qualité du titre est le fait que le héros, souvent par l'intermédiaire de l'alcool un peu trop consommé, se voit poursuivre sa promenade dans les yeux d'un animal, ce qui a pour cause de nous présenter un regard autre mais tout aussi passionnant de la ville. Ainsi nous arpentons les rues sous les yeux d'un chat, d'une tortue ou bien encore d'une libellule, permettant d'observer depuis le sol, l'eau et les cieux. Notons aussi que le personnage principal s'avère plutôt attachant par sa maladresse, et on a plaisir à le voir rencontrer d'autres personnes qui s'avèreront célèbres jusqu'à nos jours, à une époque où ils ne faisaient que leurs premiers pas dans leur domaine.

Si vous avez aimé les autres titres du genre contemplatif de l'auteur, autant vous dire que vous allez encore une fois être comblé. Les plans de vues sont souvent larges et la beauté du trait de Taniguchi nous permet d'admirer réellement les décors comme si on y était pour notre plus grand plaisir.
Au final le pari est réussi pour l'auteur et Furari s'avère un excellent titre, nous donnant envie de partir découvrir nous-mêmes le Japon à cette époque d'antan. L'édition est de qualité et dans la catégorie Ecritures de l'éditeur, le tout dans un sens occidental. Pour le coup, le titre mériterait largement aussi sa version deluxe selon mon avis personnel !
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