Zéro pour l'éternité

Rubrique consacrée aux seinen, c'est à dire des séries se destinant à un lectorat adulte.
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Koiwai
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Zéro pour l'éternité

Message non lu par Koiwai » 16 janv. 2013, 23:08

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La fiche sur le site


Tome 1 :

Kentarô, 26 ans, poursuit sa vie sans grande passion. Désabusé après avoir été largué et avoir échoué 4 fois de suite au concours de la magistrature pour laquelle il postule, il s'éloigne peut à peu de la vie active et ne cherche même plus à passer ses examens. Sa soeur Keiko, de son côté, lui demande alors de l'aider dans son travail de journaliste et d'écrivain, en partant sur les traces d'un homme de leur famille qu'ils n'ont jamais connu : leur grand-père, Kyûzo Miyabe, mort pendant la seconde guerre mondiale pour son pays en kamikaze, aux commandes de son avion de chasse, l'un des mythiques Zéros. Leurs recherches les amèneront à recueillir des témoignages aussi troublants que touchants sur ce que fut leur père, mais pas seulement...

Les kamikaze. Un sujet déjà entraperçu à quelques reprises dans l'univers du manga, notamment dans l'Île des Téméraires ou dans Tsubasa les Ailes d'Argent. Avec Zéro pour l'éternité, le scénariste Naoki Hyakuta et le dessinateur Souichi Sumoto, dont c'est la première oeuvre publiée en France, s'éloignent toutefois des clichés, préférant s'attarder sur leurs personnages plutôt que sur les visions bourrées de clichés liées aux kamikaze (ultra patriotisme, terrorisme...).

Le premier constat sera graphique. Souichi Sumoto offre sur ses personnages un travail visuel faussement simple, qui rappelle à quelques reprises un auteur comme Kaiji Kawaguchi : d'une grande précision dans la peinture des avions militaires, et porté par des personnages aux traits assez arrondis, qui revêtent une belle précision dans l'expressivité. On ressent pleinement les émotions, sans exagération, avec retenue et pudeur. En comptant en plus une narration sobre mais très claire, focalisée sur les protagonistes, on ressent une sorte de bienveillance posée par les auteurs sur leurs personnages, surtout sur le vieil Ishioka, premier témoin poignant de Kentarô et Keiko.

En somme, on entre très vite dans l'histoire, qui a le bon goût de ne pas trop en faire, de bien raconter les choses, et de nuancer grandement les deux héros de guerre de ce premier tome : le défunt Kyûzô, évidemment, mais aussi Ishioka, premier témoin de nos deux personnages principaux.
Très vite, les questions affluent donc autour de Kyûzô : dans quel état d'esprit s'est-il sacrifié ? Etait-il seulement le héros que tout le monde prétend, ou était-il un lâche ? Etait-il vraiment prêt à mourir, ou s'accrochait-il à la vie ? A travers le récit du vieil Ishioka, on commence à découvrir le parcours d'un homme peut-être très différent de son image, qui enclenche une vision à des années-lumière de celles que l'on a habituellement des kamikaze, et qui donne envie de connaître au plus vite la suite, de découvrir plus en profondeur la mentalité qui était celle de Kyûzô Miyabe.
Dans ce premier tome, le petit tour de force des auteurs est de révéler par petites doses le parcours de Kyûzô à travers un autre homme, l'un de ses compagnons de l'époque, Ishioka. Quelle vision avait-il du grand-père de Kentarô et Keiko ? Au fil de son récit, le vieil homme, mine renfrognée et désabusée, un bras en mins à cause de la guerre, voit ressurgir en lui nombre de souvenirs de cette époque, et c'est alors lui-même que l'on découvre le plus, dans les souvenirs de sa relation conflictuelle avec Kyûzô. Pour comprendre Kyûzô, il convient d'abord de comprendre Ishioka, et c'est donc avec un certain intérêt que l'on découvre la jeunesse de cet homme qui n'a jamais été gâté par la vie. Une jeunesse qui le conditionne beaucoup jusqu'à son arrivée auprès de Kyûzô, où l'admiration qu'il voue à ce dernier va vite se transformer en dégoût pour diverses raisons. Avec habileté, les auteurs opposent deux visions différentes des pilotes de Zéro, mettent joliment en face deux visions intéressantes de la vie et de la mort, sans jamais pencher d'un côté ou de l'autre. Si Kyûzô peut paraître lâche, on a aussi le sentiment de pouvoir comprendre son attachement à la vie.

L'habilité de Zéro pour l'éternité tient aussi dans le choc qu'il crée entre deux générations séparées par plusieurs décennies. Car si Keiko écoute attentivement le récit du vieil homme, on ne peut pas en dire autant de Kentarô, jeune homme de notre génération, qui semble se ficher royalement du passé au point de risquer de vexer par moments le vieil homme. Mais de fil en aiguille, on devine que Kentarô changera et pourra lui-même repartir de l'avant, en découvrant le fin fond du coeur du vieil Ishioka (notamment dans une fin de tome superbe, belle leçon tout en nuances d'humanité). On le devine, ce sera là l'autre grand axe de la série : en confrontant des générations qui n'ont pas connu les mêmes conditions de vie, les auteurs les rapprochent, et nous poussent à ne pas oublier d'effectuer le devoir de mémoire qui est le nôtre.

Résulte de tout ceci un premier volume habile, qui peut à certains instants paraître longuet, mais qui se révèle surtout bourré de promesses, en se focalisant avant tout, avec habileté et sans clichés, sur les hommes qui se cachent sous les pilotes et les kamikaze. Une oeuvre à suivre de très près.

En fin de tome, on appréciera beaucoup les textes bonus sur les Zéros et les kamikaze.
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Koiwai
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Re: Zéro pour l'éternité

Message non lu par Koiwai » 14 mars 2013, 21:56

Tome 2 :

Kentarô, jeune adulte paumé et désabusé, sans rêve ni motivation, a accepté d'aider sa soeur Keiko à retracer la vie de pilote de zéro de leur grand-père Kyûzô Miyabe, mort en kamikaze en août 1945, juste avant la fin de la guerre. Mort en héros de la patrie, mais l'était-il réellement ? Le premier témoignage recueilli par Kyûzô et Keiko les laisse perturbés. Il semblerait que Kyûzô, accroché à la vie, ait été le plus grand des lâches, et c'est avec cette pensée en tête que Kentarô doit partir à la rencontre d'un deuxième témoin, le dénommé Itô, qui a participé aux côtés de Kyûzô aux célèbres batailles de Pearl Harbor et de Midway.

Quel était réellement l'état d'esprit de Kyûzô Miyabe ? Kentarô poursuit la découverte étonnante de son grand-père défunt en remontant cette fois-ci jusqu'aux débuts de la Guerre du Pacifique, le témoignage d'Itô en dévoilant plus sur deux batailles-clés : Pearl Harbor, attaque-surprise japonaise couronnée de succès et marquant bel et bien le début de la Guerre du Pacifique, et Midway, première grande défaite japonaise lors de cette guerre.
Avec clarté, en allant à l'essentiel, Souichi Sumoto nous présente les grands étapes de ces deux batailles qui ont marqué l'histoire, mais loin de se contenter des habituels clichés, il nous les dépeint sous un angle que l'on ne connaît pas forcément. Nous expliquant l'importance des porte-avions dans la bataille et les qualités requises pour qu'un bon pilote puisse s'y poser, le mangaka nous narre également avec précision l'impact stratégique qu'ont eu les avions dans cette guerre maritime et aérienne. Quant aux clichés sur Midway, oubliez-les : la suffisance et la prétention japonaise lors de cette défaite y sont dévoilés de façon intéressant, sobrement et efficacement, sans parti pris flagrant.

Et quand la grande Histoire se mêle à la petite, le récit se fait d'autant plus captivant, car peu à peu, avec ce nouveau témoignage, Kentarô continue de mieux cerner l'homme qu'était son grand-père, qui n'était pas forcément lâche, était même un pilote exceptionnel, mais était tout simplement inadapté à son époque, car il accordait trop d'importance à la vie, aussi bien à la sienne qu'à celle de ses camarades qu'il voyait tomber au combat.

Ce qui en ressort de plus beau, c'est le souci du devoir de mémoire qui s'immisce petit à petit en Kentarô. Lui qui au début se fichait royalement du passé, se prend de plus en plus d'intérêt pour celui-ci, bien aidé dans ce volume pas une nouvelle venue, Kaïha Aïzawa, jolie jeune femme qui, de son côté, a déjà pleinement conscience qu'il ne faut pas oublier tout ce que les générations passées ont pu apporter. On a là une habile oeuvre multi-générationnelle.

Quant aux dessins, ils sont toujours aussi précis dans la peinture de la guerre et des appareils, et les expressions des personnages parviennent à offrir des émotions très nuancées et subtiles, malgré quelques limites d'ordre graphique (étudiante en fac, Kaïha a plus le physique d'une enfant).

Quand la grande Histoire se mêle à la petite avec clarté, on obtient une oeuvre multi-générationnelle forte comme celle-ci, décrivant avec fluidité et sans clichés lles grand étapes de la guerre tout en offrant un portrait nuancé des hommes qui l'ont faite, le tout sur fond de quête identitaire.
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Re: Zéro pour l'éternité

Message non lu par Koiwai » 14 juil. 2013, 22:48

Tome 3 :

Au fil des deux premiers témoignages qu'il a pu recueillir, Kentarô a vu son avis sur son grand-père Kyûzô Miyabe changer petit à petit, et le jeune homme a désormais une vision plus optimiste de son ancêtre, vu tantôt comme un lâche, tantôt comme un homme qui connaissait la valeur de la vie. En compagnie de la mignonne Kaïha, il achève de façon positive sa rencontre avec Mr Ito, en ayant en tête l'image d'un aïeul également soucieux des siens.

Revenu aux côtés de sa soeur Keiko, Kentarô fait alors la rencontre d'un journaliste, Ryûji Takayama, désireux d'aborder le sujet des kamikaze dans les documentaires sur la guerre qu'il prépare, et souhaitant alors se renseigner auprès de lui. Se confrontent alors deux visions des kamikaze, celle que se forge peu à peu Kentarô, et celle du journaliste, soulevant une certaine réalité en évoquant l'aspect volontaire de personnes prêtes à mourir pour leur Empereur et leur patrie. Au fil de cette conversation, le lecteur a tout le loisir de bien cerner les nuances de cette question du volontariat des kamikaze, en comprenant que rien n'est tout rose ou tout noir. Les clichés sur les kamikaze continuent de se fissurer, mais pas question non plus pour les auteurs de prendre le parti inverse. On reste sur un récit qui trouve le ton juste, apporte les nuances nécessaires sans prendre parti, s'intéresse avant tout aux hommes se cachant derrière les kamikaze... Et au bout du compte, une nouvelle question vient tarauder Kentarô : pourquoi Kyûzô s'était-il engagé ?

Kentarô et Keiko entreverront peut-être la réponse à travers leur troisième témoignage : celui que Genjirô Izaki, vétéran de Rabaul séjournant désormais à l'hôpital, qui va offrir aux deux jeunes adultes une vision toujours plus claire de Kyûzo...
Ce nouveau témoignage nous plonge dans une nouvelle période de la guerre du pacifique : Rabaul, puis Guadalcanal. Après avoir abordé avec justesse et beaucoup de nuances Midway dans le tome précédent, les auteurs offrent à nouveau un récit clair, qui fait ressortir avec fluidité les enjeux stratégiques que représente notamment la base de Guadalcanal, tandis que les batailles aériennes sont toujours croquées de façon concise mais pertinente, avec ce qu'il faut d'informations. Ainsi prend-on parfaitement conscience des risques fous pris par les aviateurs s'élançant vers Guadalcanal...
Et de fil en aiguille, on voit se dévoiler dans le récit d'Izaki un Kyûzô décidément différent des autres dans la valeur qu'il accorde à la vie. Petit à petit, les secrets du défunt Miyabe se dévoilent, comme le secret de sa force et la raison tellement humaine qui le pousse tant à vouloir rentrer au pays vivant. Déjà soucieux de la vie avant, Miyabe laisse encore entrevoir un peu plus toute la valeur qu'il accorde à celle-ci, n'hésitant pas à passer pour un trouillard en cherchant à tout prix à se protéger et à protéger ses compagnons, histoire de ne pas faire de mort inutile. Et c'est bien cela qui a sauvé à plusieurs reprises un Izaki souvent proche de la mort. Izaki qui, lui-même, a alors pu mieux cerner, peu à peu, le vrai Miyabe, celui se cachant sous des allures de trouillard.

Le témoignage d'Izaki n'est pas encore fini à la fin de ce tome, et semble encore loin de l'être, mais en tout cas il passionne dès le départ. Les explications historiques et scènes de bataille vont à l'essentiel en restant claires, et le portrait de Kyûzô Miyabe continue de se dessiner peu à peu, laissant entrevoir dans la série une profonde humanité bien éloignée des habituels clichés sur les kamikaze et leur patriotisme exacerbé. Une lecture subtile, d'une richesse inouïe, habilement documentée, et qui n'oublie pas non plus de rester divertissante.
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Re: Zéro pour l'éternité

Message non lu par Koiwai » 12 nov. 2013, 22:46

Tome 4 :

Kentarô et sa soeur continuent d'écouter le témoignage d'Izaki, dont la vie a été métamorphosée par sa rencontre avec Miyabe. En le côtoyant au fil des mission entre Rabaul et Guadalcanal, Izaki a appris à chérir sa propre vie. La fin de la rencontre avec le vieil homme alité possède une grande force, grâce à une belle mise en avant de l'impact qu'au eu Miyabe sur lui, mais aussi parce que le récit de ce vieil homme parvient à toucher jusqu'à son petit-fils, qui n'avait jamais réellement prêté attention aux histoires du passé de son grand-père.

Au bout du compte, on se retrouve avec un témoignage fort et immersif, qui continue la mise en avant de l'importance du devoir de mémoire tout en narrant clairement les enjeux de la bataille de Guadalcanal et, surtout, en faisant ressortir l'amour de Miyabe pour la vie. Reste alors une question : lui qui connaissait tant la valeur de la vie, pourquoi s'est-il engagé dans l'armée ? La réponse arrive par le biais du témoignage suivant, celui d'un mécanicien ayant fréquenté Miyabe. Et la réponse est simple, mais logique. Le témoignage suivant, quant à lui, est lui aussi assez court, mais fait réapparaître le journaliste Takayama pour un débat passionnant, abordant sans prendre exagérément parti la question des kamikaze vous comme des terroristes, mais aussi celle du rôle des journalistes. Les auteurs délivrent une vision forte des sentiments bien enfouis des kamikaze, désireux de préserver leurs proches malgré leurs souffrances intérieures. On ressort aussi intéressé par la critique d'un journalisme trop lisse, incapable de lire entre les lignes, tandis qu'historiquement se dresse un portrait clair de l'enjeu des attaques spéciales après la défaite japonaise de Guadalcanal et la prise de Saipan par les Américains.

Quant au dernier témoignage du volume, qui ne fait que commencer en fin de tome, il s'apprête à présenter un cas fort, celui d'un homme qui semble avoir haï Miyabe au point d'avoir envie de le tuer. Malgré sa tête de sociopathe un peu caricaturale, on se demande ce que va apporter ce témoignage qui pourrait être très différent des autres, tout comme on s'interroge sur le final que nous réserve la série, car on a à présent quasiment tous les éléments pour une très belle conclusion. EN attendant de voir ça, cet avant-dernier est aussi captivant que les précédents. Sur un fond historique clair, les auteurs continuent d'offrir une conscience du passé à Kentarô, tandis qu'il découvre toujours plus en profondeur l'humanité qui se cachait derrière son grand-père combattant ou derrière les kamikaze.
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