
Tome 1 :
Du cultissime Racaille Blues à Bakuon Rettô qui s'est récemment terminé, en passant par l'inévitable Sun-Ken Rock, le malheureux Worst arrêté en cours de route en France ou Gangking dont on attend toujours la suite, le manga de furyo peut prendre bien des formes : véritable parcours initiatique (Bakuon Rettô), baston pure et dure avec de l'humour (Sun-Ken rock) ou des mises en avant de valeurs essentielles comme l'honneur et l'amitié (Gangking, Racaille Blue...)... Toutes ces oeuvres ont, en tout cas, pour point commun certain une importante longévité. Alors quand on voit débarquer une nouvelle série du genre ne faisant que trois petits tomes, on est forcément intrigué par ce qu'elle a à nous proposer. Dans le cas de Gewalt, première série paraissant en France de Kôji Kôno (qui en a déjà signé plus d'une demi-douzaine), il ne faut pas attendre longtemps avant de cerner les choses : ce qui nous attend, c'est de la baston pure, via le parcours mouvementé et tourmenté d'un jeune garçon qui, en découvrant la rage qui était cachée en lui, va bien malgré lui enclencher une véritable guerre des gangs dans son lycée.
Ce garçon, il s'appelle Ruito, élève dans un lycée un peu particulier, clairement divisé en deux catégories : la section générale réunissant les élèves bien sous tous rapports, dont notre héros fait partie, et la section technique qui regroupe une multitude de voyous, de caïds, de durs entretenant une paix factice entre leurs différents gangs.
Effacé, transparent, Ruito poursuit son quotidien aux côtés de ses amis... Des amis, vraiment ? En réalité, pas du tout : aux côtés de Ruito, les amitiés sont toutes factices, le jeune garçon se contentant de suivre le moule pour ne pas être mis sur la touche. Mais en lui bout une envie de révolte. Lassé de devoir jouer la comédie, il est au bord du gouffre, et le moindre petit choc pourrait désormais le faire exploser. Et ce choc ne tarde justement pas à arriver. Dès lors que des loubards mettent à nu ses plus secrètes passions d'otaku, le voilà humilié et laissé à l'abandon par ses prétendus amis. Il n'en fallait pas plus pour que le jeune garçon transparent décide de laisser éclater sa rage. Un pétage de câble plus loin, le voici déterminé à passer du côté des durs, des violents...
Le manga ne faisant que trois volumes, il faut à Kôji Kôno un démarrage rapide, et c'est exactement ce qu'il nous offre : dès le début, on découvre un Ruito qui est déjà au bord du gouffre, prêt à l'implosion, et auquel il ne manque plus qu'un déclic qui ne tarde pas à arriver. Le récit peut alors très vite s'emballer, pour ne jamais laisser le rythme retomber : tout va très vite, et le rythme effréné happe sans mal le lecteur dans ce qui se dessine comme une véritable spirale infernale au coeur de laquelle Ruito va laisser peu à peu éclater son véritable lui.
Mais on ne devient pas un dur du jour au lendemain, et Ruito en fera l'expérience, en se frottant au gang du club de baseball qui ne va pas manquer de le faire flipper, ou en tentant désespérément d'attirer l'attention de Gurio, loubard perdu seul en section générale, qui semble être à part et se ficher de tout le monde, et qui va vite le remettre à sa place.
Oui mais voilà : malgré les beignes qu'il se prend, les gros coups de flippe face aux grosses brutes du lycée, et son incapacité naturelle à s'imposer, Ruito découvre littéralement un autre univers, dès lors qu'il se laisse aller au pétage de câble. Pour la première fois, il attire l'attention sur lui, y compris celle de la plus jolie fille de sa classe. Pour la première fois, il découvre ce que signifie se battre, y prend rapidement goût en constatant que les coups ne font mal que si on en a peur. Pour la première fois, il se sent vivre. Le chemin sera long pour qu'il devienne un vrai dur, mais l'envie est là, et c'est un tout nouveau monde qui s'ouvre au jeune garçon, qui fait de nouvelles rencontres et sème la zizanie autour de lui, son comportement étant amené à briser la paix factice entre les gangs de son lycée...
Les choses reposent essentiellement sur la dualité de Ruito, partagé entre ses craintes et ses pulsions de plus en plus violentes. Et pour faire ressortir cela, on peut compter sur des dessins au premier abord assez particuliers, avec des faciès exagérés et des yeux exorbités... Des dessins qui se révèlent redoutablement efficaces dès lors que l'action prend le dessus, car ils excellent pour faire ressortir tout le côté branque d'un personnage principal capable de subitement péter des câbles, au détour de doubles pages qui arrivent sans prévenir pour laisser le lecteur estomaqué. Pour s'en convaincre, il suffira de voir la scène où il balance soudainement sa table par la fenêtre, ou celle en fin de tome où il débarque comme un forcené entre les deux gangs. Soyons francs, on a tous eu envie, un jour ou l'autre, pour x raison, de péter une durite comme ça, et voir Ruito passer ainsi de l'autre côté a alors quelque chose de totalement jouissif.
Pour le reste, il faut souligner la violence des coups lors des scènes de baston. Les coups représentés ne sont pas forcément nombreux, mais le mangaka s'applique à bien les faire ressortir, en les figeant via des planches qui en jettent pas mal.
Il y a donc clairement quelque chose dans Gewalt, courte série de baston qui commence sur les chapeaux de roue. Rythme très soutenu, développement rapide et efficace, rendu visuel aussi branque que jouissif... On a hâte de voir quelles évolutions va connaître Ruito, au coeur de cet univers violent dont il a lui-même réveillé les plus ardentes rivalités.