Wet Moon
Posté : 17 janv. 2014, 09:04

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Tome 1 :
Au cœur du Japon de la deuxième moitié des années 1960, dans une station balnéaire, le jeune inspecteur Sata poursuit une enquête, celle du meurtre d'un ingénieur qui travaillait pour un mystérieux programme spatial. Sur le lieu de travail de la victime, une secrétaire stressée, Kiwako Komiyama, prend soudainement la fuite en devenant dès lors la suspecte numéro 1. Alors qu'il la poursuit, Sata s'effondre soudainement. Quand il se réveille un mois plus tard, son supérieur hiérarchique est mort, l'enquête a été bouclée, et une énorme cicatrice s'exhibe sur le front du jeune inspecteur. Derrière cette cicatrice, logée dans sa tête, il y a quelque chose, comme un morceau de métal.
Sata ne peut croire que son enquête doit s'arrêter là. Komiyama n'a toujours pas été retrouvée, il décide de continuer à la chercher au point d'en faire une obsession, tandis que le morceau de métal logé dans sa tête provoque en lui des hallucinations, pertes mémoires et visions étranges... de la lune.
Après le road-movie punk et trash Bambi et l'enquête surnaturelle Soil, Atsushi Kaneko revient avec Wet Moon, un thriller halluciné nourri aux multiples influences.
Autour de Sata, inspecteur qui n'est plus totalement maître de lui-même face aux pertes de mémoire et hallucinations, rien ne semble tout à fait réel. Pour ce héros typiquement kafkaïen, perdu dans une réalité qu'il ne comprend plus au point de s'enfoncer peu à peu dans la paranoïa, rien ne semble totalement digne de confiance, encore moins ses collègues qui semblent comploter dans son dos, ou même les rencontres faites dans la face cachée de la ville, qui lui ouvrent peu à peu des portes qu'il n'est pas encore prêt à franchir.
Pourtant, Sata, s'il veut progresser dans son enquête obsessionnelle, et lever le voile sur ses hallucinations et pertes de mémoire de plus en plus persistantes avant de sombrer dans la folie, devra composer avec ce monde de ténèbres typique d'un film de David Lynch, partagé entre l'atmosphère nocturne bling bling et rétro que dégage cette sorte de Las Vegas japonais, les cabarets hypnotiques et les personnages aux propos indéchiffrables... Sans oublier ces visions au clair de la Lune de Méliès, une Lune que l'inspecteur cherche constamment à renier. Alors que la conquête spatiale se joue dans l'espace, lui s'est persuadé que jamais l'homme ne marchera sur la Lune, et que jamais il n'en découvrira la face cachée.
Dans cet univers où l'astre lunaire est un élément central, encore énigmatique mais rappelé à chaque instant à notre mémoire à travers les hallucinations de Sata ou un simple cadenas qui s'ouvre, tout est question d'ambiance. Atsushi Kaneko nous plonge dans la quête obsessionnelle et plus importante qu'il n'y paraît de Sata, au gré des déraillements et égarements paranoïaques qu'il croque de sublime manière sous sa mise en scène impeccable (le choix des angles lors de la perte de repères de l'inspecteur dans le cabaret est brillant), ses dessins où clarté et ténèbres contrastent merveilleusement, et son utilisation intelligente des éléments propres à son art, telles les onomatopées (les halètements répétés lors de la course poursuite, les pas de danse du cabaret rythmant les pas incertains de Sata...), où les découpages oppressants (les hallucinations de Sata sont une merveille du genre).
Pour peu que l'on accepte de se laisser happer par ce polar défiant pour l'instant toute logique, on se retrouve alors face à un bijou d'ambiance et de mystère, qui est sans doute encore très loin d'avoir dévoilé toutes ses qualités.
L'édition fournie par Casterman est impeccable. Les premières pages teintées de rouge sont du plus bel effet, le papier et l'impression sont de qualité, la traduction est excellente et la gestion des onomatopées (élément de prime importance) sans fausse note.