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Au troisième siècle avant notre ère, Rome et Carthage se livrent une guerre de conquête lors des trois guerres puniques. A l'issue de la première d'entre elles, Carthage est battue et perd ses possessions en Corse, en Sardaigne et en Sicile. C'est lors de la seconde guerre punique que s'illustre le grand Hannibal Barca, général carthaginois. Profitant de l'alliance de Carthage avec les Ibères en Espagne, il attaque par surprise les Romains en passant par l'Espagne jusqu'aux Alpes. Toutefois après cette victoire, Hannibal ne peut partir à la conquête de Rome, et les deux adversaires commencent à camper sur leurs positions. Il faudrait que Hannibal récupère un soutien important : celui de Syracuse, cité côtière sicilienne où cohabitent des civils des deux camps. C'est dans l'optique de conquérir cette ville par la parole que le général carthaginois envoie sur place Epicydès, Syracusain d'origine, chargé de convaincre les habitants de se ranger du côté de Carthage tout en prenant soin d'éliminer les partisans des Romains. Quand Rome découvre la chose, elle part à l'assaut de la cité, emmenée par le général romain Marcus Claudius Marcellus...
Ainsi se présente le contexte de départ d'Eureka, one-shot conçu par Hitoshi Iwaaki, l'auteur du génial Parasite, au début des années 2000, avant qu'il n'entame quelques années plus tard son ambitieuse fresque historique sur Alexandre le Grand, Historie.
C'est dans ce contexte houleux que vivent à Syracuse deux jeunes amants, le beau et perspicace Damippos originaire de Sparte, et Claudia, une romaine. Pour eux, le conflit qui règne dans la cité fortifiée n'apporte rien de bon, Claudia voyant ses parents arrêtés et emprisonnés par Epicydès et les partisans de Carthage. Leur seul espoir de calme temporaire est de rester auprès d'un vieil homme, un esprit brillant à présent un peu sénile, qui il y a plusieurs années de cela a construit nombre d'impressionnantes machines chargées de défendre la ville. C'est homme n'est autre qu'Archimède, et comme le laisse deviner le titre du livre qui n'est autre que la plus célèbre réplique qu'on lui prête, il est au centre de l'oeuvre.
Oeuvre historique, Eureka a donc pour élément central Archimède, mais l'auteur, qui s'est patiemment documenté, nous livre une vision plus éloignée des clichés, en nous dépeignant un Archimède vieillissant, quasiment sénile puisqu'il ne comprend guère les enjeux politiques entre Rome et Carthage et ne retient même pas le nom de Damippos. Et surtout, son génie nous est présenté de façon indirecte, à travers les autres personnages et le conflit qui les oppose.
D'un côté, on assiste donc au conflit historique ayant opposé Rome et Carthage pour la domination de Syracuse, et le génie d'Archimède est mis en avant à travers l'utilisation des machines défensives qu'il a autrefois mises au point, et qui seront un atout majeur pour les Carthaginois pour empêcher l'invasion romaine. Hitoshi Iwaaki s'en donne alors à coeur joie, croque des constructions impressionnantes (surtout pour l'époque) qui donnent lieu à quelques courtes scènes d'action sanglante, et s'applique également à expliquer clairement les enjeux stratégiques de la bataille. C'est notamment le cas lors de la tentative d'invasion de Syracuse par la porte ouest, où l'auteur expose minutieusement le contexte géographique du plateau des Epipoles et l'importance du château d'Euryale où a été bâtie une redoutable roue de l'invention d'Archimède. Iwaaki a donc pensé à tout pour nous immerger : des enjeux stratégiques et géographiques clairs, un contexte historique limpide et passionnant, un peu d'action sanglante... Le point le plus regrettable pourrait toutefois venir des fameuses machines d'Archimède, certes très impressionnantes (au point que l'on se demande s'il a réellement pu inventer tout ça à son époque), mais rarement présentées en profondeur dans leur fonctionnement (la documentation de l'auteur ne le permettait peut-être tout simplement pas).
De l'autre côté, on suit également avec grand plaisir une quête plus personnelle, celle de Damippos et de Claudia, qui doivent faire face aux épreuves imposées par les Carthaginois et surtout par Epicydès : faire libérer Claudia quand celle-ci est faite prisonnière, tenter de retrouver les parents de la jeune femme... Les deux amants côtoyant Archimède (Damippos devenant même son disciple), ces quêtes moins historiques laissent entrevoir une autre facette du vieux savant, une facette plus éloignée des manuels d'histoire, où le savant se montre critique sur les machines de mort qu'il a été obligé de créer, et où il apparaît à l'écart du conflit mais toujours aussi obnubilé par ses calculs malgré son grand âge. L'intrigue autour de Damippos et de Claudia finit d'ailleurs d'offrir son éclectisme au livre en proposant un semblant de romance qui a le mérite de ne pas en faire trop, même dans les moments les plus durs. Mais là aussi il y a un petit regret : la faible mise en avant de l'évolution de la relation maître/disciple entre Archimède et Damippos.
C'est alors avec grand plaisir que l'on suit d'un bout à l'autre ce one-shot de 260 pages, jusqu'à assister aux différentes conclusions, rigoureusement historiques ou plus personnelles, des intrigues qui s'entremêlent avec brio. Eureka s'avère être une excellente lecture, qui mélange habilement les genres et les ambiances pour nous offrir une oeuvre historique passionnante et jamais plan-plan. Un très bon cocktail, que l'on se prend à imaginer comme un encas... avant l'arrivée en France de Historie ?
L'édition de Komikku est de très bonne facture. Il y a quelques petites coquilles par-ci par-là (des oublis de mot principalement) mais rien de suffisant pour entacher l'excellence de la traduction, qui offre aux personnages un parler qui leur sied bien. Le papier et l'impression sont de bonne qualité, et les quatre premières pages en couleur sont un plus sympathique.
