La fiche sur le site
Tome 1 :
Les éditions Kana profitent de Japan Expo pour lancer Save me Pythie, nouveau global manga au concept prometteur, puisqu'il revisite la Grèce antique sous un oeil résolument humoristique. Avec un espace dédié sur le salon parisien et une belle publicité, la série de l'auteure française Elsa Brants, épouse du dessinateur de City Hall Guillaume Lapeyre, a droit à une jolie mise en valeur... à juste titre ?
Dans la Grèce antique, ce cher Apollon, réputé pour sa beauté, prend plaisir à jouer constamment les Don Juan en draguant tout ce qui passe avec succès... jusqu'au jour où l'une des servantes de son propre temple, Pythie, lui mette un bon gros vent bien senti sans chercher à savoir qui elle a devant elle ! Une bourde malvenue, en tout cas selon le dieu qui lui lance une terrible malédiction : à l'avenir, elle ne prédira que des catastrophes, et personne ne la croira jamais ! Bientôt, Pythie devient une sorte de paria, de mauvais présages pour les autres, et ne peut compter que sur le soutien de Cassandre, une vieille mémé toute fripée qui a elle aussi connu le courroux d'Apollon dans ses jeunes et belles années.
Pourtant, Pythie apprend rapidement que son pouvoir pourrait être utile, quand apparaît devant elle le dieu des dieux, Zeus en personne, sous forme de... ridicule poulet blasé ?! Celui-ci décide de voyager avec elle pour échapper aux crises de nerfs de son épouse Hera, et de lui confier une mission de prime importance : épauler le parcours de Xanthe, l'un de ses nombreux fils illégitimes, désireux de devenir un héros en accomplissant divers exploits, mais en étant bien incapable à cause de son don pour attirer sur lui la malchance !
C'est ensemble que les trois zigotos, suivis de près par la vieille Cassandre, entament un long périple fait d'aventures aussi loufoques qu'idiotes, passant notamment par Thèbes ou Delphes...
Dès les premières pages, difficile de résister à une lecture qui donne rapidement le ton, en nous offrant une déferlante de références détournées assez délicieuse, où tout devient prétexte à l'humour. Tandis que l'on se laisse facilement séduire par des personnages très bien campés (une héroïne de caractère, un Xanthe souvent à la rue dans sa quête pour devenir héros, la dégaine de la vieille Cassandre...), on reste surtout séduit par l'habile manière dont Elsa Brants se réapproprie la Grèce Antique, la rendant comique en en conservant pourtant les grands faits. Inspirée de la Pythie de Delphes, notre héroïne, dans la mythologie grecque, pouvait réellement prévoir l'avenir, de même que Cassandre. Les rixes de Héra avec son infidèle époux trouvent ici un écho très amusant, et n'oublions pas Zeus lui-même, dont les célèbres transformations pour draguer ses proies trouvent ici une parodie sacrément idiote dans son look de mini poulet. Et la réinterprétation de mythes comme le Sphinx et le drame de Thèbes ont de quoi tordre de rire les connaisseurs du mythe, où le Sphinx devient un peu blaireau, où Jocaste devient une cougar irritable, et où les malheurs incestueux d'Oedipe trouvent une raison pour le moins inattendue. Il y a, mine de rien, un véritable travail de fond sur l'époque, afin de mieux la détourner de façon humoristique.
Et parlons en un peu plus, de cet humour, car il est le réel leitmotiv de la série et est loin de s'arrêter à ce qu’a été évoqué précédemment. Tantôt on s'amuse en observant les références à notre monde moderne détournées à la façon antique (le langage, le journal d'information, le bingo, les examens, les panneaux publicitaires, le coussin pikachu...), tantôt on assiste avec plaisir aux malheurs des protagonistes, tantôt on est séduit par des éléments rappelant typiquement ce que fait une auteure comme Rumiko Takahashi, mangaka qu'Elsa Brants cite clairement comme sa principale référence avec Gotlib. Par exemple, le look de Cassandre est une inspiration directe de la façon qu'a l'auteure de Ranma 1/2 de dessiner les vieillards, certains visages de Pythie rappellent la caractérielle Lamu, le trip autour de Zeus transformé en poulet amène des situations burlesques et absurdes façon Ranma 1/2...
De manière générale, c'est la variété de l'humour qui séduit. Comique sur les personnages, répliques bien senties, comique de situation, réinterprétations parodiques... La vocation comique est absolument partout, même dans des détails des décors qui regorgent de petites débilités, et l'on sent que l'auteure a eu à coeur de peaufiner son récit, comme le prouve également la grosse vingtaine de pages bonus regorgeant elle aussi d'absurdités qui prêtent à sourire.
Finalement, il n'y a que sur les dessins que les choses peuvent encore s'améliorer. Dans les faits celui-ci est très agréable, le design des personnages servant bien l'humour, la narration étant globalement claire, et les décors restant simple, mais étant bien présent quand il le faut. Il y a des inégalités qui ne demandent qu'à s'effacer sur la longueur.
Save me Pythie s'annonce donc comme une lecture hautement divertissante, amusante et recommandable. Elsa Brants exploite à fond toutes les ficelles du gag manga, joue sur toutes les facettes de l'humour sans pour autant négliger un véritable travail de fond sur l'époque qu'elle détourne. Le résultat est enthousiasmant et mérite clairement qu'on lui laisse une chance !
Tome 2 :
Pythie et Xanthe se retrouvent face à Elécathe, nymphe des Enfers engagée par Acacia pour envoyer notre héroïne au Tartare. S'engage un combat aussi mouvementé que destructeur, la pauvre ville de Delphes en faisant les frais, pour un résultat assez amusant, bien que peu clair et assez simpliste dans le combat. Le résultat n'en reste pas moins farfelu, avec une Elécathe choisissant simplement de suivre nos héros dans leur aventure, pour des raisons tout à fait personnelles et vénales.
C'est donc à trois (enfin, à trois et demi avec le poulet Zeus) que nos héros poursuivent ensuite leur route, croisant de nouvelles épreuves : un spectacle parodiant allègrement une certaine émission télévisée recherchant de nouveaux talents, un face à face contre une Méduse pas si terrible que ça, un très bref séjour chez la dénommée Echidna et ses nombreuses créatures recueillies, une rencontre avec les dieux du vent...
Constamment, on sent qu'Elsa Brants s'amuse bien en dessinant sa série, car le rythme est là, ses personnages sont vifs, expressifs et ont toujours un truc à faire ou à dire. Mais dans le fond, il faut pourtant souligner que les choses se sont un peu appauvries depuis le premier volume.
En s'engageant sur une voie plus linéaire où nos héros suivent leur route en faisant diverses rencontres mythologiques, l'auteure dilue trop un fil rouge qui manque désormais de consistance. Les différentes "épreuves" s'enchainent sans véritable lien, si l'on excepte les prédictions de Pythie, qui connaissent quelques troubles étranges. Mais même de ce côté-là, ça manque d'enjeux précis.
Evidemment, on est en plein gag manga, et de ce fait, le manque de fil rouge ne devrait pas forcément être un problème. Rumiko Takahashi, principale source d'inspiration d'Elsa Brants, en est la preuve tant elle a usé, use et usera encore de ce procédé (ne serait-ce que dans Rinne, sa série en cours). Mais pour cela, il faut que les gags marchent, et ici, plusieurs tombent un peu à plat, la faute à une exploitation beaucoup trop succincte de la plupart des différents personnages entrevus. Certains s'avèrent vraiment chouettes, comme Elécathe qui est assez délicieuse, Diogène dont la légende autour du pithos est exploitée de façon assez loufoque, Méduse qui nous réserve une mignonne surprise, Thésée qui refait des apparitions remarquées, ou Orphée qui commence très fort en fin de tome, mais la majorité des protagonistes est à peine utilisée, notamment lors du passage chez Echidna où on se contente de voir déferler plusieurs créatures sans qu'il en soit fait grand chose. On pourra aussi regretter des anachronismes un peu plus lourds (le télévisor, par exemple) et des gags de fonds moins présents.
C'est plutôt dommage, car au bout du compte on a un tome moins inspiré, moins enlevé. Pour autant, le récit conserve sa vivacité et sa bonne humeur communicatives, sans oublier une héroïne toujours très fun dans son caractère.