Vol 1
Perdu dans un rêve, je me laisse glisser avec innocence sur un toboggan fait d'arc-en-ciel tandis que jaillissent du ciel d'innombrables animaux irréels et que des torrents colorés viennent m'éclabousser de toutes parts. Je m'égare dans ce monde sensoriel et orgasmique tandis que doucement, inéluctablement, la réalité vient me rattraper. Brisant la magie, brisant le bonheur de l'instant, me revoilà en enfer. Bienvenue dans Kylooe.
Lanyue est une adolescente qui vient d'emménager avec ses parents dans un nouvel appartement. Elle doit donc s'adapter à un nouvel environnement, un nouveau lycée, et se faire de nouveau amis. Chose qui n'est pas aisée lorsque l'on a du mal à s'imposer et que les autres ne font rien pour faciliter les choses. Alors qu'elle se balade distraitement chez un disquaire, elle tombe sur un single, "Downhearted Dragonfly", et décide de l'acheter. Tandis qu'elle l'écoute, seule dans sa chambre, voila qu'un étrange animal fait son apparition dans la pièce. Est-il bien réel, tout cela n'est-il que le fruit de son imagination ? Entre rêve et réalité, voila le quotidien de Lanyue qui se trouve complètement chamboulé !
"Pourquoi faut-il toujours que je me mêle des affaires des autres ?"
Du coup, la seule solution qui lui reste est de se créer un monde à elle. Tout d'abord un ami qui est à ses côtés et qui l'écoute. Ce sera bien évidemment le rôle de Kylooe, l'étrange créature que l'on peut apercevoir sur la couverture. Cela n'empêche cependant pas les déceptions de s'accumuler dans son quotidien, et il ne lui reste plus qu'à se mettre à rêver, et rêver encore. D'un monde magique et scintillant, du monde de Kylooe. La voila alors qui alterne entre de douloureux passages dans une réalité qui ne cesse de la meurtrir encore et encore, et une féérie idyllique qui lui permet d'oublier tout le reste. Mais ce bonheur n'est cependant qu'éphémère, et les gens autour d'elle ne manqueront pas de le lui rappeler de manière cruelle, maladroite, le tout avec une symbolique très forte. Car on le sait, dans le monde tel qu'on le connait, le rêve n'est que rarement permis, l'innocence terrassée, l'insouciance non pardonnée. Et ce sont souvent les gens les plus proches de nous qui servent de bourreaux.
Il est maintenant temps de s'attarder sur l'aspect graphique du titre. On est tout d'abord étonné et interrogateur à la vue des premières planches. Les personnages dessinés ne sont pas particulièrement beaux, c'est surtout le cas de notre héroine, et l'atmosphère qui se dégage pesante, étouffante. On ressent toute la détresse et l'amertume de la jeune fille face à ce qui l'entoure. Puis, petit à petit, on se rend compte du travail effectué sur les décors. Extrêmement fouillés, très colorés, ils contribuent à changer graduellement l'ambiance pour arriver au final dans le monde du rêve. Et une fois arrivé à ce point, c'est l'extase.
Pour faire une comparaison osée et un chouilla surfaite mais que Little Thunder n'as pas volé vu le travail fourni et le talent dont fait preuve la jeune femme, on pourrait dire qu'on se trouve face à la rencontre improbable entre Dali et le fauvisme. L'imagination débordante de l'auteur nous amène à rencontrer de majestueuses créatures fantasmagoriques et nous confronte à des mises en scènes totalement délirantes. Baignant dans des décors oniriques où explosent mille et une couleurs plus criardes et vives que jamais, l'on est littéralement transporté en terre inconnue. Le choix de ces couleurs est par ailleurs toujours parfait, et le travail réalisé quant à leur disposition ainsi qu'aux arrière-plans est digne d'un orfèvre. A n'en point douter, on tient là une féérie contemplative qui tient proprement et simplement du génie.
"Pourquoi peut-elle s'envoler aussi loin... alors que je suis enfermée ici ?"
Kylooe est un titre tout simplement unique. Possédant une richesse énorme d'un point de vue scénaristique, c'est cependant grâce à ses dessins que l'œuvre se transcendante littéralement pour nous offrir une orgie visuelle qui nous permet de nous évader l'espace de quelques instants dans un univers extraordinaire et merveilleux, avant de nous replonger dans la grisaille insipide de notre réalité. C'est tout simplement bluffant. Je me suis probablement légèrement emporté durant cette chronique mais c'est légitime et, ne vous y trompez pas, on tient là un chef-d'œuvre.