Les Aventures de Tintin
Posté : 25 sept. 2011, 18:19
Les Aventures de Tintin
Phénomène mondial, Tintin est devenu l'icône même du héros d'action de bande-dessinée.
Pourtant, rien ne semblait destiner le jeune reporter au Petit Vingtième à rencontrer un tel succès. A la base, on trouve un jeune adolescent belge dessinateur de bande-dessinée, George Rémi, auteur d'une série nommée Totor dans une revue appelée Le Boy-Scout Belge. Il fait plus tard son entrée au journal Le XXème Siècle, un journal catholique dirigé par le très controversé abbé Norbert Wallez. Celui-ci est l'un des premiers à reconnaître le potentiel du jeune homme et à l'encourager. A son retour du service militaire, il lui confie la rédaction d'un autre journal, Le Petit Vingtième.
C'est dans les pages de ce journal que Hergé réinvente Totor pour créer Tintin au cours d'une histoire intitulée Les Aventures de Tintin, reporter du Petit Vingtième, au Pays des Soviets à raison de deux pages par jour.
Cette histoire, réalisée en noir et blanc avec des dessins très minimalistes, est une suite de gags sans véritable scénario et accumule les préjugés sur la situation de l'époque en Union Soviétique. Le héros reste incroyablement peu caractérisé (âge très imprécis, comportement parfois enfantin parfois adulte, absence total d'attirance envers les femmes), pouvant ainsi parler à tous les publics. A des lieux de l'incroyable galerie de personnages qui sera crée plus tard, il n'avait dans ses premières aventures que son chien Milou comme unique compagnon et confident. Car oui, à défaut d'être plus sociable, Tintin parle avec son chien.
Hergé ne réalise pas immédiatement le succès de Tintin et crée parallèlement les deux célèbres gamins Quick et Flupke, un titre novateur où le jeune dessinateur s'amuse avec les codes de la bande-dessinée.
Ce n'est qu'à la fin de Tintin au Pays des Soviets, lors d'un événement mettant en scène le retour du journaliste à Bruxelles (avec un garçon interprétant Tintin) que Hergé réalise la popularité du personnage. Il décide alors de faire partir Tintin en Amérique, à l'image de Totor précédemment. Mais, sous la pression de l'abbé Wallez, c'est finalement au Congo que Tintin part afin de faire l'apologie de l'esprit colonialiste de l'époque. Cela parait surprenant au vu des albums qui suivirent, mais Hergé n'était alors qu'un jeune dessinateur débutant qui ne voyait Tintin que comme un gagne-pain.
Tintin au Congo reste à ce jour l'un des albums les plus controversés de la série, les mentalités ayant profondément changé et cet album, sorti de son contexte politique de l'époque, semble désormais véhiculer des idées racistes sur la supériorité de "l'homme blanc" et sur l'esprit limité de "l'homme noir" qui doit être éduqué. Hergé fera plus tard son mea culpa, remaniant l'album pour essayer de faire de Tintin davantage "l'ami du peuple colonisé" qu'un conquérant colonialiste, mais cet album continue de poser problème par son sujet même.
Après la fin de Tintin au Congo, Hergé peut enfin débuter son Tintin en Amérique, une histoire de gangsters aux accents de far west alimenté là aussi par les clichés de l'époque.
Jusque là, Les Aventures de Tintin n'avaient pas grand intérêt, de simples histoires sans ambition et sans fil conducteur solide. Cela commence à changer avec Les Cigares du Pharaon.
Sur cet album, Hergé décide de développer davantage la trame narrative et le côté aventure. Tintin part en Orient où il se retrouve malgré lui impliqué dans un réseau de trafiquants d'opium. Accusé à tort d'être lié à ces activités suite à une machination, le jeune héros sera alors poursuivis par les inspecteurs Dupont et Dupond, des policiers gaffeurs mais déterminés à l'arrêter. Le seul moyen de Tintin de laver les soupçons à son encontre est de démanteler le réseau à sa source.
Parmi les rares alliés que Tintin rencontre durant cette aventure, on peut compter Roberto Rastapopoulos, un célèbre producteur de cinéma. Un personnage avec lequel le reporter se lie d'amitié sans se douter de l'antagonisme acharné qui les animera par la suite.
Cet album est également marquant pour sa dimension mystique, entre la célébrissime scène cauchemardesque du tombeau et le fameux poison qui rend fou, le tout s'achevant au sein d'une organisation sectaire. A la fin, l'organisation n'est pas intégralement démantelée et l'identité de son mystérieux leader n'est jamais révélée, l'homme semblant trouver la mort à l'issue d'une chute fatale. Hergé prévoit en réalité de poursuivre cette intrigue dans un autre pays.
C'est ainsi qu'une preview des aventures de Tintin en Chine est publiée dans le Petit Vingtième. Elle était alimentée par tous les clichés possibles et imaginables sur ce pays. Affolé par le propos que l'auteur s'apprête à tenir sur ce pays, l'abbé Gosset, aumônier à l'université de Louvain, lui adresse une lettre lui conseillant de mieux se documenter et propose de le mettre en contact avec un jeune étudiant chinois, Tchang Tchong-Jen, étudiant à l'Académie des Beaux Arts de Bruxelles.
Cette rencontre est décisive pour Hergé qui ne connaissait bien sûr rien d'autre de ce pays que la propagande mensongère véhiculée à l'époque sur "l'homme jaune". Grâce à Tchang, il découvre vraiment une civilisation riche et très éloignée de tout ces stéréotypes. Les deux jeunes hommes se lient d'amitié et s'attellent ensemble au travail sur l'album, Hergé voulant à présent donner une vision réaliste du pays et de sa situation politique (voir la scène du faux attentat perpétré par les japonais contre les chemins de fer de leur propre pays, afin d'avoir un prétexte contre la Chine).
"Je découvrais une civilisation que j'ignorais complètement et, en même temps, je prenais conscience d'une espèce de responsabilité. C'est à partir de ce moment-là que je me suis mis à rechercher de la documentation, à m'intéresser vraiment aux gens et aux pays vers lesquels j'envoyais Tintin, par soucis d'honnêteté vis à vis de ceux qui me lisaient."
C'est ainsi que naquit Le Lotus Bleu, l'album le plus engagé de la série et le début des véritables aventures de Tintin, avec cette documentation riche (voir Le Secret de la Licorne ou Objectif Lune notamment) et cette portée politique où Tintin s'implique davantage au lieu de rester simple spectateur.
Hergé y crée un personnage nommé Tchang Tchong-Jen, en hommage à son ami. Il s'agit du premier véritable compagnon humain du héros et un de ceux qui lui resteront chers des années après, bien qu'ils ne se retrouveront que bien des années plus tard.
Le Lotus Bleu continue l'intrigue du trafic d'opium, l'enquête de Tintin le guidant vers une mystérieuse fumerie d'opium du même nom.
Hergé profite de cette histoire pour reprendre quelques figures connues. Les Dupondt deviennent ainsi des réguliers de la série, et sont une nouvelle fois aux trousses de Tintin, bien que doutant fortement de sa culpabilité. Hergé se sert des deux policiers pour ridiculiser les préjugés des occidentaux sur le Japon, montrant des personnages croyant à tout les stéréotypes et incroyablement ridicules.
Tintin retrouve également son ami Roberto Rastapopoulos qui connait certaines des personnes impliquées dans cette affaire. Il ne découvre que plus tard que Rastapopoulos est le cerveau de l'organisation, démarrant ainsi la guerre sans fin entre les deux hommes.
Hergé poursuit ensuite sur des intrigues policières, cherchant à élucider le mystère tournant autour d'un fétiche d'Amérique du Sud (L'Oreille Cassée), celui d'un vieux château écossais (L'Île Noire). Toutes ces aventures démarrent d'un élément insignifiant tenant presque du hasard pour finalement aboutir à la confrontation avec des organisations criminelles.
Le Sceptre d'Ottokar est en revanche un peu plus important. Bien que restant assez anecdotique dans la série, cette histoire réalisée de 1938 à 1939 traite d'un complot politique visant le pays fictif de Syldavie par son voisin, la Bordurie, qui tente de l'annexer sous l'impulsion de son dirigeant répondant au nom de Mussler. Une allusion évidente à la très récente annexion de la Pologne par l'Allemagne nazie. L'ombre de la guerre qui s'annonce plane d'un bout à l'autre de l'album, tandis que Tintin s'efforce de déjouer le complot pour empêcher l'annexion. Le jeune reporter réussit là où l'Histoire entre dans une de ses périodes les plus sombres.
La cantatrice Bianca Castafiore apparaît pour la première fois dans cet album. Elle devient par la suite un personnage secondaire récurrent, sorte de running gag qui clame L'Air des Bijoux de Faust à tort et à travers, pour la plus grande frustration des héros.
Là, un épisode particulier de l'histoire de Tintin survient. Hergé commence la publication de Tintin au Pays de l'Or Noir dans le Petit Vingtième. Le journal disparaît subitement avec l'invasion de la Belgique par l'Allemagne nazie, laissant ainsi l'histoire abandonnée.
Hergé rejoint alors le journal Le Soir, sous contrôle de l'occupant, qui compte lancer sa propre version pour le jeune public, Le Soir-Jeunesse. Alors que Hergé publiait auparavant de une à deux pages à chaque fois, il doit à présent réaliser un strip, ce qui le pousse à modifier sa narration: tout en ne renonçant pas à son histoire, il la met dorénavant en scène au fur et à mesure de petites notes humoristiques d'une ligne. Cela induit malheureusement aussi que les lecteurs doivent bien garder à l'esprit les événements précédents pour pouvoir suivre le fil conducteur de l'histoire, sous peine d'être complètement largués.
C'est dans ce contexte que débute Le Crabe aux Pinces d'Or, une toute nouvelle aventure, Hergé décidant de ne pas reprendre Tintin au Pays de l'Or Noir. Dans cette histoire a lieu la rencontre primordiale entre Tintin et le capitaine Archibald Haddock. Bien qu'étant censé être maître sur son navire, il est totalement sous l'influence de son premier lieutenant Allan qui l'a piégé par l'alcool, pouvant ainsi utiliser ce navire pour faire de la contrebande. Tintin lui ouvre les yeux et la quête de rédemption de Haddock débute quand les deux hommes décident de s'échapper ensemble, puis de démanteler le réseau. L'addiction de Haddock à l'alcool est toutefois terrible et donnera lieu à de nombreux gags. Tintin a désormais quelqu'un d'autre à qui parler qu'à son chien qui devient subitement muet (mais qui n'en pense pas moins).
Sous l'occupation de la Belgique, Hergé décide d'éviter les histoires politiques et s'attelle à une histoire purement fantastique: L'Etoile Mystérieuse.
Le début de l'album est étrange à souhait, comme si le temps venait de s'arrêter et que le monde ne savait plus vraiment où il en était. Un début qui n'aura finalement que peu de rapport avec sa suite, mettant en scène une expédition maritime tenter de prendre possession de la météorite qui a crée une nouvelle île.
Le sujet n'est pour autant pas si innocent qu'il y parait, l'expédition de Tintin étant en concurrence avec une autre américaine pour planter en premier son drapeau sur l'îlot (on peut y voir les prémices bien avant l'heure des ambitions des Etats-Unis durant la Guerre Froide avec la conquête spatiale et surtout la conquête du nucléaire).
Le passage sur l'île est d'ailleurs tout aussi étrange que le début, comme si cette course à la conquête était finalement un fruit interdit qui ne devait être approché par l'homme et par la science. Le fait que la matière rocheuse de l'île soit une nouvelle forme d'explosif est assez évocateur de l'idée cachée derrière, et c'est avec une certaine insouciance que Tintin en remet un échantillon entre les mains des scientifiques.
Cette aventure permet également d'installer Haddock comme un personnage récurrent et l'un des plus fidèles compagnons de Tintin, en même temps qu'un élément comique armé de ses jurons légendaires et de son désormais petit faible pour l'alcool. En comparaison du boulet de l'album précédent, Haddock a en grande partie réussi sa cure de désintoxication, devenant ainsi un personnage dépendable et compétent.
Cette incursion dans l'univers maritime interpelle Hergé qui décide alors de développer davantage cet aspect en se documentant plus sérieusement sur les navires pour une double-intrigue devenue mythique.
La première partie de l'histoire, intitulée Le Secret de la Licorne, est une nouvelle intrigue policière comme le reporter démarrant là encore pour un élément banal: l'achat d'une vieille maquette du navire La Licorne sur une brocante. Tintin est alors loin de se douter que cette maquette va se retrouver au centre d'enjeux énormes et que son ami Haddock est lié à l'histoire de la Licorne.
Le personnage d'Haddock est ainsi incroyablement développé dans cette intrigue, tandis que les Dupondt marquent leur retour et que le château de Moulinsart fait sa première apparition avec l'incontournable Nestor. Si Moulinsart est ici le théâtre d'événements obscurs, de nombreux éléments qui enrichissent la mythologie sont ainsi introduits dans cette histoire.
La résolution du mystère de la maquette marque le début de la suite, Le Trésor de Rackham Le Rouge. Tintin, Haddock et les Dupondt s'embarquent désormais pour une longue croisière en quête du navire mythique et de son fabuleux trésor. Le personnage du professeur Tryphon Tournesol les rejoint presque accidentellement. C'est le dernier membre du casting récurrent à rejoindre ainsi la troupe et il s'avérera d'une importance capitale dans le succès de la mission. Ses problèmes d'audition et les gags que cela provoque ont contribué à solidifier le prestige du personnage et son excellente alchimie avec Haddock, lequel n'arrive pas à le supporter tout en s'attachant indéniablement à la présence de ce savant fou.
L'un des éléments les plus étranges reste l'absence d'un des frères Loiseau (les criminels du Secret de la Licorne), pourtant annoncé comme s'étant échappé de prison et visant l'expédition d'Haddock. Hergé comptait ainsi probablement faire revenir le personnage avant d'abandonner l'idée.
Sur la fin, Haddock acquiert Moulinsart, installant ainsi le décor emblématique de la suite de la série.
Si Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham Le Rouge constituent l'une des aventures les plus célèbres de Tintin, il en est de même pour Les Sept Boules de Cristal et Le Temple du Soleil.
Les Sept Boules de Cristal constitue l'une des intrigues les plus étranges et les plus fascinantes des aventures de Tintin. Ainsi certaines questions resteront sans réponse et auront l'air d'appartenir définitivement au surnaturel. Si le mystère des boules de cristal anime tout ce premier album, Hergé l'abandonnera finalement pour mettre en scène l'enlèvement de Tournesol, au mauvais endroit au mauvais moment, comme si tout ce qui s'est passé n'était en fait qu'un prétexte à cet enlèvement devant pousser Tintin et Haddock à s'envoler pour le Pérou.
Le début de l'album marque une sorte de nouveau départ pour le héros. Il retrouve Haddock à Moulinsart, lequel essaie de se conduire en châtelain mais n'est clairement pas à l'aise dans le rôle (c'est un vieux loup de mer à la base après tout). Au cours d'une soirée au théâtre, on retrouve aussi quelques figures connues tirées des précédents albums. Si la Castafiore reste fidèle à elle-même, le personnage du général Alcazar, un des personnages secondaires de L'Oreille Cassée, a été banni de son pays suite à une énième révolution et on le retrouve déchu, comme simple artiste de spectacle. Ces retrouvailles surprenantes serviront plus tard de base à l'une des dernières intrigues de la série.
Les Sept Boules de Cristal s'arrête subitement. La Belgique est libérée de l'occupation et tout ceux ayant collaboré à un journal contrôlé par les nazis sont arrêtés et jugés ou bien censurés. C'est le cas d'Hergé qui se voit interdire de publication, là où ses collègues journalistes n'ont eu droit à aucun traitement de faveur.
"J'ai été arrêté quatre fois, chaque fois par des services différents, mais je n'ai passé qu'une nuit en prison. Le lendemain, on m'a relâché.
Je n'ai cependant pas figuré au procès des collaborateurs du Soir, j'y étais en spectateur. Un des avocats de la défense a d'ailleurs demandé "Pourquoi n'a t-on pas aussi arrêté Hergé ?", ce à quoi l'auteur militaire a répondu "Mais je me serais couvert de ridicule !"."
L'ancien résistant Raymond Leblanc le contacte finalement pour créer Le Journal de Tintin dont il sera le directeur artistique.
C'est dans ce nouveau journal, dans lequel sera publié toutes les futures aventures de Tintin par la suite, que parait Le Temple du Soleil, la deuxième partie des Sept Boules de Cristal. Le support et les nouvelles méthodes de travail permettent enfin à Hergé de pleinement s'épanouir dans la création de ses histoires.
L'action se situe désormais au Pérou où Tintin et Haddock rencontre le jeune Zorrino, un descendant des incas qui n'est pas sans rappeler Tchang Tchong-Jen du Lotus Bleu. L'histoire est désormais totalement portée sur l'aventure sur une intrigue de civilisation ancienne à la manière des futurs films d'Indiana Jones. L'intrigue des Boules de Cristal est ici brièvement évoquée, l'objectif principal des héros étant en réalité de secourir Tournesol.
Débutée en 1939 avant Le Crabe aux Pinces d'Or, Tintin au Pays de l'Or Noir était l'oeuvre inachevée d'Hergé. Celui-ci décide finalement de reprendre son histoire près de dix ans après.
Cela ne s'est pas fait sans heurt. La partie publiée de l'histoire était bien inscrite dans l'ambiance des albums de l'époque, avec les Dupondt et le retour du docteur Muller, antagoniste de L'Île Noire qui marquait là son retour quelques temps après.
Hergé ne pouvait pas ignorer toute la mythologie qu'il avait installé à partir de là, avec Haddock, Tournesol et Moulinsart, ainsi que les dix années qui se sont écoulées dans le monde réel avec la guerre. Aussi les planches déjà réalisées furent modifiées.
Tintin au Pays de l'Or Noir demeure toutefois l'un des albums les plus étranges de la série, clairement piégé entre deux périodes, avec Muller qui change entièrement d'apparence par rapport à L'Île Noire, et Haddock qui débarque de nulle part à la fin de l'album, avec un final à Moulinsart. Plutôt que d'apporter une explication difficile à trouver, Hergé décide d'en jouer à travers un running gag: à chaque fois qu'Haddock essaie d'expliquer la raison de sa présence, il lui arrive de nombreux malheurs, le poussant ainsi à se résigner à abandonner pour mettre fin à cette chaîne de malédictions.
Depuis ses débuts, le jeune reporter n'a cessé de parcourir le monde. Dans les années 50, Hergé décide finalement de lui faire quitter les frontières terrestres pour l'envoyer sur la Lune, un sujet qui n'a cessé de fasciner l'inconscient collectif à travers la littérature et le cinéma, un rêve inatteignable qui restait encore à accomplir dans le monde réel.
On le sait, cette conquête spatiale a été concrétisé en 1969. Hergé a donc crée son histoire hors de toute actualité. Pourtant son travail de documentation considérable fait que son histoire apparait incroyablement crédible.
L'histoire se compose en deux temps: Objectif Lune s'attarde sur toutes les préparations pour donner de la crédibilité à l'histoire, tandis qu'On a Marché sur la Lune plonge enfin dans ce vieux rêve avec une vraie poésie.
Sur ce fond de conquête spatiale avant l'heure, Hergé monte toute une histoire d'espionnage à travers la réapparition d'un vieil ennemi de Tintin, le colonel Boris Jorgen, et la trahison d'un de leurs membres d'équipage. Cet événement apporte une vraie note dramatique à l'histoire, tout en marquant profondément le lecteur à travers un personnage d'une ambiguité incroyable. Ici pas d'alliance clairement définie, on trouve un homme en proie aux remords et qui commet un acte symbolique pour se racheter. Sa trahison autant que son geste auront bouleversé autant Tintin et Haddock que les lecteurs, apportant une dose d'humanité et de réalisme inattendue à cette histoire portée sur l'imaginaire et la poésie.
En revenant sur Terre, Haddock se jure de ne plus jamais la quitter. Pourtant l'appel à l'aventure l'emportera sur son sentiment de "n'être bien que chez soi".
Après ce voyage jusqu'à la lune, L'Affaire Tournesol rappelle les héros aux intrigues policières. Ici, Tournesol a crée une machine convoitée par les services secrets de Bordurie. Le monde a changé et désormais la science est devenue l'arme la plus puissante au monde. D'où cette intrigue d'espionnage industriel sur fond de Guerre Froide entre la Bordurie et la Syldavie, les deux pays ennemis du Sceptre d'Ottokar. Pour sauver leur ami, Tintin et Haddock devront donc pénétrer en territoire ennemi.
Un personnage secondaire récurrent fait ici son entrée tardive: Séraphin Lampion. Sympathisant immédiatement avec Haddock, qui n'a aucune sympathie pour lui, Lampion renouvelle un peu l'humour de la série avec ses quelques apparitions dans les derniers albums.
En découvrant par le biais de l'actualité que le trafic d'esclaves existe toujours, Hergé décide d'y consacrer une histoire. C'est aussi la manière pour lui de faire amende honorable après Tintin au Congo, bien que cet album va finalement soulever lui aussi la controverse par le langage employé par les esclaves (Hergé le remaniera finalement).
De nombreux personnages des anciens albums font ici leur réapparition. Si la plupart n'apparaissent que très brièvement, c'est surtout du côté des méchants qu'il y a du changement. Rastapopoulos et Allan, respectivement ennemis jurés de Tintin et d'Haddock, font ici leur première réapparition depuis Le Lotus Bleu et Le Crabe aux Pinces d'Or et sont désormais alliés (à noter qu'Allan a été rajouté aux Cigares du Pharaon entretemps, à l'occasion d'une refonte de l'album, certainement pour le lier à l'organisation de Rastapopoulos dès l'époque).
Tintin au Tibet est un album très particulier dont l'histoire est bien connue. La vie d'Hergé traverse une période de crise existentielle: l'homme vieillit, traverse des problèmes conjugaux et fait des cauchemars d'un blanc oppressant, le néant.
Album introspectif, Tintin au Tibet voit le héros affronter ce "blanc" et les forces de la nature elles-mêmes pour réaliser l'impossible: retrouver une personne disparue, représentation d'un passé lointain et heureux. Un passé qu'Hergé a assimilé à son vieil ami Tchang Tchong-Jen, perdu de vue depuis et qu'il a longuement cherché en vain. Hergé s'assimile donc totalement à Tintin dans cette aventure, le reporter refusant d'accepter la cruelle évidence et se lançant dans cette quête perdue d'avance pour retrouver son ami dans l'antre de la bête, au coeur même des monts enneigés.
Si Tintin parvient à retrouver son ami et à laisser ces montagnes et la bête qu'elles abritent derrière lui, la fin est néanmoins extrêmement mélancolique tout en portant une lueur d'espoir: le héros peut dorénavant se reconstruire et prendre un nouveau départ. Il en est de même pour Hergé, bien qu'il ne retrouvera pas le véritable Tchang avant de nombreuses années encore, quelques temps avant la mort de l'auteur.
Entre rêves prémonitoires, quête de l'impossible et confrontation avec la bête, cette aventure de Tintin demeure le plus personnel et le plus humain de la série.
Loin des grandes aventures de Tintin, Les Bijoux de la Castafiore apparaît comme un vaudeville. Le cadre reste très strict: Moulinsart et ses environs. De même que l'affaire qui est une petite enquête policière sans prétention à la résolution farfelue.
Beaucoup moins ambitieuse, cette aventure met surtout l'accent sur l'humour en voulant représenter le quotidien de Moulinsart, bouleversé par l'arrivée in-extremis de Bianca Catastrophe. Tandis que les gags s'enchaîne, la Castafiore, personnage secondaire de la série, est ici mis à l'honneur.
L'un des points les plus intéressants de l'album reste bien sûr cette histoire de romanichels accusés à tort du vol du bijou (un sujet ironiquement encore plus d'actualité aujourd'hui qu'à l'époque).
Vol 714 pour Sydney est le point convergent de tout l'univers de Tintin. Tout ce que l'univers a traversé depuis ses débuts se rencontre au cours de cet album qui est, à mon goût, l'un des plus aboutis de la série.
En un seul et unique album, on trouve ainsi un détournement d'avion, les héros piégés sur une île avec des criminels (la dernière confrontation avec Rastapopoulos et Allan), la science (le sérum de vérité), les civilisations anciennes (la grotte), le fantastique (le médium, la soucoupe volante) et bien sûr l'humour.
Fascinante d'un bout à l'autre, jusqu'à sa fin étrange, cet album apporte une sorte de conclusion aux aventures de Tintin, même si la série continue encore un peu.
Tintin et les Picaros est l'histoire de la désillusion et le début de la fin pour le jeune reporter. En effet, loin de partir à l'aventure, son excursion chez les Picaros est plutôt celle que Tintin aurait préféré vivre.
La situation est simple: dans un pays d'Amérique du Sud, la Castafiore et les Dupondt sont arrêtés et accusés d'espionnages par le gouvernement dictatorial, sous l'impulsion d'une personne en voulant personnellement à Tintin et Haddock. Les deux hommes sont invités afin de plaider leur défense avant l'exécution programmée, mais l'histoire sent le piège à plein nez.
Tandis qu'Haddock refuse d'abandonner ses amis et part avec Tournesol, Tintin refuse de quitter Moulinsart et de se livrer à l'ennemi. La première partie de l'histoire tourne donc autour d'Haddock, avant que Tintin ne se ravise et les rejoigne.
Si Tintin et les Picaros met fin à l'intrigue du général Alcazar, rencontré dans L'Oreille Cassée et réapparu en exil dans plusieurs albums, les ultimes répliques de l'album sous-entendent que Tintin et Haddock sont fatigués de leurs aventures et n'ont qu'une hâte: retrouver leur foyer. L'heure de la révérence semble approcher pour les deux héros.
A noter aussi qu'Haddock perd définitivement son goût pour l'alcool durant cet album, le personnage abandonnant ainsi un de ses traits de caractère les plus attachants.
Dernière aventure officielle de Tintin, Tintin et l'Alph-Art est l'album inachevé d'Hergé, n'existant qu'à l'état de brouillon. Davantage une oeuvre documentaire témoignant des méthodes de travail de l'auteur qu'un album à part-entière, cette album est composé de deux partis: les illustrations (souvent des brouillons) et un script, tout deux inachevés. On ne connait donc pas l'issue de cette dernière aventure.
L'album nous permet toutefois de nous faire une idée sur ce qu'aurait pu être cet ultime album: Tintin se trouve ainsi plongé dans une affaire de contrefaçon d'oeuvres d'art menée par un mystérieux gourou dont la véritable identité ne nous est révélée que dans les notes laissées par l'auteur (qui avaient été perdues pendant longtemps, avant d'être finalement retrouvées et intégrées à l'ouvrage.
Après avoir initialement envisagé de compléter l'album par un autre, la décision fut finalement prise de publier l'histoire avec les brouillons et les notes vu l'état embryonnaire de l'histoire.
"Il y a, certes, des quantités de choses que mes collaborateurs peuvent faire sans moi et même beaucoup mieux que moi. Mais faire vivre Tintin, faire vivre Haddock, Tournesol, les Dupondt, tous les autres, je crois que je suis le seul à pouvoir le faire.
Tintin (et tous les autres), c'est moi, exactement comme Faubert disait "Madame Bovary, c'est moi !". C'est une oeuvre personnelle, au même titre que l'oeuvre d'un peintre ou d'un romancier. Si d'autres reprenaient Tintin, ils feraient peut-être mieux, peut-être moins bien. Une chose est certaine: ils le feraient autrement et, du coup, ce ne serait plus Tintin !"
Source de documentation:
Pour rédiger cet article, je me suis en partie basé sur l'ouvrage Tintin et le Monde d'Hergé de Benoit Peeters.
Phénomène mondial, Tintin est devenu l'icône même du héros d'action de bande-dessinée.
Pourtant, rien ne semblait destiner le jeune reporter au Petit Vingtième à rencontrer un tel succès. A la base, on trouve un jeune adolescent belge dessinateur de bande-dessinée, George Rémi, auteur d'une série nommée Totor dans une revue appelée Le Boy-Scout Belge. Il fait plus tard son entrée au journal Le XXème Siècle, un journal catholique dirigé par le très controversé abbé Norbert Wallez. Celui-ci est l'un des premiers à reconnaître le potentiel du jeune homme et à l'encourager. A son retour du service militaire, il lui confie la rédaction d'un autre journal, Le Petit Vingtième.
C'est dans les pages de ce journal que Hergé réinvente Totor pour créer Tintin au cours d'une histoire intitulée Les Aventures de Tintin, reporter du Petit Vingtième, au Pays des Soviets à raison de deux pages par jour.
Cette histoire, réalisée en noir et blanc avec des dessins très minimalistes, est une suite de gags sans véritable scénario et accumule les préjugés sur la situation de l'époque en Union Soviétique. Le héros reste incroyablement peu caractérisé (âge très imprécis, comportement parfois enfantin parfois adulte, absence total d'attirance envers les femmes), pouvant ainsi parler à tous les publics. A des lieux de l'incroyable galerie de personnages qui sera crée plus tard, il n'avait dans ses premières aventures que son chien Milou comme unique compagnon et confident. Car oui, à défaut d'être plus sociable, Tintin parle avec son chien.
Hergé ne réalise pas immédiatement le succès de Tintin et crée parallèlement les deux célèbres gamins Quick et Flupke, un titre novateur où le jeune dessinateur s'amuse avec les codes de la bande-dessinée.
Ce n'est qu'à la fin de Tintin au Pays des Soviets, lors d'un événement mettant en scène le retour du journaliste à Bruxelles (avec un garçon interprétant Tintin) que Hergé réalise la popularité du personnage. Il décide alors de faire partir Tintin en Amérique, à l'image de Totor précédemment. Mais, sous la pression de l'abbé Wallez, c'est finalement au Congo que Tintin part afin de faire l'apologie de l'esprit colonialiste de l'époque. Cela parait surprenant au vu des albums qui suivirent, mais Hergé n'était alors qu'un jeune dessinateur débutant qui ne voyait Tintin que comme un gagne-pain.
Tintin au Congo reste à ce jour l'un des albums les plus controversés de la série, les mentalités ayant profondément changé et cet album, sorti de son contexte politique de l'époque, semble désormais véhiculer des idées racistes sur la supériorité de "l'homme blanc" et sur l'esprit limité de "l'homme noir" qui doit être éduqué. Hergé fera plus tard son mea culpa, remaniant l'album pour essayer de faire de Tintin davantage "l'ami du peuple colonisé" qu'un conquérant colonialiste, mais cet album continue de poser problème par son sujet même.
Après la fin de Tintin au Congo, Hergé peut enfin débuter son Tintin en Amérique, une histoire de gangsters aux accents de far west alimenté là aussi par les clichés de l'époque.
Jusque là, Les Aventures de Tintin n'avaient pas grand intérêt, de simples histoires sans ambition et sans fil conducteur solide. Cela commence à changer avec Les Cigares du Pharaon.
Sur cet album, Hergé décide de développer davantage la trame narrative et le côté aventure. Tintin part en Orient où il se retrouve malgré lui impliqué dans un réseau de trafiquants d'opium. Accusé à tort d'être lié à ces activités suite à une machination, le jeune héros sera alors poursuivis par les inspecteurs Dupont et Dupond, des policiers gaffeurs mais déterminés à l'arrêter. Le seul moyen de Tintin de laver les soupçons à son encontre est de démanteler le réseau à sa source.
Parmi les rares alliés que Tintin rencontre durant cette aventure, on peut compter Roberto Rastapopoulos, un célèbre producteur de cinéma. Un personnage avec lequel le reporter se lie d'amitié sans se douter de l'antagonisme acharné qui les animera par la suite.
Cet album est également marquant pour sa dimension mystique, entre la célébrissime scène cauchemardesque du tombeau et le fameux poison qui rend fou, le tout s'achevant au sein d'une organisation sectaire. A la fin, l'organisation n'est pas intégralement démantelée et l'identité de son mystérieux leader n'est jamais révélée, l'homme semblant trouver la mort à l'issue d'une chute fatale. Hergé prévoit en réalité de poursuivre cette intrigue dans un autre pays.
C'est ainsi qu'une preview des aventures de Tintin en Chine est publiée dans le Petit Vingtième. Elle était alimentée par tous les clichés possibles et imaginables sur ce pays. Affolé par le propos que l'auteur s'apprête à tenir sur ce pays, l'abbé Gosset, aumônier à l'université de Louvain, lui adresse une lettre lui conseillant de mieux se documenter et propose de le mettre en contact avec un jeune étudiant chinois, Tchang Tchong-Jen, étudiant à l'Académie des Beaux Arts de Bruxelles.
Cette rencontre est décisive pour Hergé qui ne connaissait bien sûr rien d'autre de ce pays que la propagande mensongère véhiculée à l'époque sur "l'homme jaune". Grâce à Tchang, il découvre vraiment une civilisation riche et très éloignée de tout ces stéréotypes. Les deux jeunes hommes se lient d'amitié et s'attellent ensemble au travail sur l'album, Hergé voulant à présent donner une vision réaliste du pays et de sa situation politique (voir la scène du faux attentat perpétré par les japonais contre les chemins de fer de leur propre pays, afin d'avoir un prétexte contre la Chine).
"Je découvrais une civilisation que j'ignorais complètement et, en même temps, je prenais conscience d'une espèce de responsabilité. C'est à partir de ce moment-là que je me suis mis à rechercher de la documentation, à m'intéresser vraiment aux gens et aux pays vers lesquels j'envoyais Tintin, par soucis d'honnêteté vis à vis de ceux qui me lisaient."
C'est ainsi que naquit Le Lotus Bleu, l'album le plus engagé de la série et le début des véritables aventures de Tintin, avec cette documentation riche (voir Le Secret de la Licorne ou Objectif Lune notamment) et cette portée politique où Tintin s'implique davantage au lieu de rester simple spectateur.
Hergé y crée un personnage nommé Tchang Tchong-Jen, en hommage à son ami. Il s'agit du premier véritable compagnon humain du héros et un de ceux qui lui resteront chers des années après, bien qu'ils ne se retrouveront que bien des années plus tard.
Le Lotus Bleu continue l'intrigue du trafic d'opium, l'enquête de Tintin le guidant vers une mystérieuse fumerie d'opium du même nom.
Hergé profite de cette histoire pour reprendre quelques figures connues. Les Dupondt deviennent ainsi des réguliers de la série, et sont une nouvelle fois aux trousses de Tintin, bien que doutant fortement de sa culpabilité. Hergé se sert des deux policiers pour ridiculiser les préjugés des occidentaux sur le Japon, montrant des personnages croyant à tout les stéréotypes et incroyablement ridicules.
Tintin retrouve également son ami Roberto Rastapopoulos qui connait certaines des personnes impliquées dans cette affaire. Il ne découvre que plus tard que Rastapopoulos est le cerveau de l'organisation, démarrant ainsi la guerre sans fin entre les deux hommes.
Hergé poursuit ensuite sur des intrigues policières, cherchant à élucider le mystère tournant autour d'un fétiche d'Amérique du Sud (L'Oreille Cassée), celui d'un vieux château écossais (L'Île Noire). Toutes ces aventures démarrent d'un élément insignifiant tenant presque du hasard pour finalement aboutir à la confrontation avec des organisations criminelles.
Le Sceptre d'Ottokar est en revanche un peu plus important. Bien que restant assez anecdotique dans la série, cette histoire réalisée de 1938 à 1939 traite d'un complot politique visant le pays fictif de Syldavie par son voisin, la Bordurie, qui tente de l'annexer sous l'impulsion de son dirigeant répondant au nom de Mussler. Une allusion évidente à la très récente annexion de la Pologne par l'Allemagne nazie. L'ombre de la guerre qui s'annonce plane d'un bout à l'autre de l'album, tandis que Tintin s'efforce de déjouer le complot pour empêcher l'annexion. Le jeune reporter réussit là où l'Histoire entre dans une de ses périodes les plus sombres.
La cantatrice Bianca Castafiore apparaît pour la première fois dans cet album. Elle devient par la suite un personnage secondaire récurrent, sorte de running gag qui clame L'Air des Bijoux de Faust à tort et à travers, pour la plus grande frustration des héros.
Là, un épisode particulier de l'histoire de Tintin survient. Hergé commence la publication de Tintin au Pays de l'Or Noir dans le Petit Vingtième. Le journal disparaît subitement avec l'invasion de la Belgique par l'Allemagne nazie, laissant ainsi l'histoire abandonnée.
Hergé rejoint alors le journal Le Soir, sous contrôle de l'occupant, qui compte lancer sa propre version pour le jeune public, Le Soir-Jeunesse. Alors que Hergé publiait auparavant de une à deux pages à chaque fois, il doit à présent réaliser un strip, ce qui le pousse à modifier sa narration: tout en ne renonçant pas à son histoire, il la met dorénavant en scène au fur et à mesure de petites notes humoristiques d'une ligne. Cela induit malheureusement aussi que les lecteurs doivent bien garder à l'esprit les événements précédents pour pouvoir suivre le fil conducteur de l'histoire, sous peine d'être complètement largués.
C'est dans ce contexte que débute Le Crabe aux Pinces d'Or, une toute nouvelle aventure, Hergé décidant de ne pas reprendre Tintin au Pays de l'Or Noir. Dans cette histoire a lieu la rencontre primordiale entre Tintin et le capitaine Archibald Haddock. Bien qu'étant censé être maître sur son navire, il est totalement sous l'influence de son premier lieutenant Allan qui l'a piégé par l'alcool, pouvant ainsi utiliser ce navire pour faire de la contrebande. Tintin lui ouvre les yeux et la quête de rédemption de Haddock débute quand les deux hommes décident de s'échapper ensemble, puis de démanteler le réseau. L'addiction de Haddock à l'alcool est toutefois terrible et donnera lieu à de nombreux gags. Tintin a désormais quelqu'un d'autre à qui parler qu'à son chien qui devient subitement muet (mais qui n'en pense pas moins).
Sous l'occupation de la Belgique, Hergé décide d'éviter les histoires politiques et s'attelle à une histoire purement fantastique: L'Etoile Mystérieuse.
Le début de l'album est étrange à souhait, comme si le temps venait de s'arrêter et que le monde ne savait plus vraiment où il en était. Un début qui n'aura finalement que peu de rapport avec sa suite, mettant en scène une expédition maritime tenter de prendre possession de la météorite qui a crée une nouvelle île.
Le sujet n'est pour autant pas si innocent qu'il y parait, l'expédition de Tintin étant en concurrence avec une autre américaine pour planter en premier son drapeau sur l'îlot (on peut y voir les prémices bien avant l'heure des ambitions des Etats-Unis durant la Guerre Froide avec la conquête spatiale et surtout la conquête du nucléaire).
Le passage sur l'île est d'ailleurs tout aussi étrange que le début, comme si cette course à la conquête était finalement un fruit interdit qui ne devait être approché par l'homme et par la science. Le fait que la matière rocheuse de l'île soit une nouvelle forme d'explosif est assez évocateur de l'idée cachée derrière, et c'est avec une certaine insouciance que Tintin en remet un échantillon entre les mains des scientifiques.
Cette aventure permet également d'installer Haddock comme un personnage récurrent et l'un des plus fidèles compagnons de Tintin, en même temps qu'un élément comique armé de ses jurons légendaires et de son désormais petit faible pour l'alcool. En comparaison du boulet de l'album précédent, Haddock a en grande partie réussi sa cure de désintoxication, devenant ainsi un personnage dépendable et compétent.
Cette incursion dans l'univers maritime interpelle Hergé qui décide alors de développer davantage cet aspect en se documentant plus sérieusement sur les navires pour une double-intrigue devenue mythique.
La première partie de l'histoire, intitulée Le Secret de la Licorne, est une nouvelle intrigue policière comme le reporter démarrant là encore pour un élément banal: l'achat d'une vieille maquette du navire La Licorne sur une brocante. Tintin est alors loin de se douter que cette maquette va se retrouver au centre d'enjeux énormes et que son ami Haddock est lié à l'histoire de la Licorne.
Le personnage d'Haddock est ainsi incroyablement développé dans cette intrigue, tandis que les Dupondt marquent leur retour et que le château de Moulinsart fait sa première apparition avec l'incontournable Nestor. Si Moulinsart est ici le théâtre d'événements obscurs, de nombreux éléments qui enrichissent la mythologie sont ainsi introduits dans cette histoire.
La résolution du mystère de la maquette marque le début de la suite, Le Trésor de Rackham Le Rouge. Tintin, Haddock et les Dupondt s'embarquent désormais pour une longue croisière en quête du navire mythique et de son fabuleux trésor. Le personnage du professeur Tryphon Tournesol les rejoint presque accidentellement. C'est le dernier membre du casting récurrent à rejoindre ainsi la troupe et il s'avérera d'une importance capitale dans le succès de la mission. Ses problèmes d'audition et les gags que cela provoque ont contribué à solidifier le prestige du personnage et son excellente alchimie avec Haddock, lequel n'arrive pas à le supporter tout en s'attachant indéniablement à la présence de ce savant fou.
L'un des éléments les plus étranges reste l'absence d'un des frères Loiseau (les criminels du Secret de la Licorne), pourtant annoncé comme s'étant échappé de prison et visant l'expédition d'Haddock. Hergé comptait ainsi probablement faire revenir le personnage avant d'abandonner l'idée.
Sur la fin, Haddock acquiert Moulinsart, installant ainsi le décor emblématique de la suite de la série.
Si Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham Le Rouge constituent l'une des aventures les plus célèbres de Tintin, il en est de même pour Les Sept Boules de Cristal et Le Temple du Soleil.
Les Sept Boules de Cristal constitue l'une des intrigues les plus étranges et les plus fascinantes des aventures de Tintin. Ainsi certaines questions resteront sans réponse et auront l'air d'appartenir définitivement au surnaturel. Si le mystère des boules de cristal anime tout ce premier album, Hergé l'abandonnera finalement pour mettre en scène l'enlèvement de Tournesol, au mauvais endroit au mauvais moment, comme si tout ce qui s'est passé n'était en fait qu'un prétexte à cet enlèvement devant pousser Tintin et Haddock à s'envoler pour le Pérou.
Le début de l'album marque une sorte de nouveau départ pour le héros. Il retrouve Haddock à Moulinsart, lequel essaie de se conduire en châtelain mais n'est clairement pas à l'aise dans le rôle (c'est un vieux loup de mer à la base après tout). Au cours d'une soirée au théâtre, on retrouve aussi quelques figures connues tirées des précédents albums. Si la Castafiore reste fidèle à elle-même, le personnage du général Alcazar, un des personnages secondaires de L'Oreille Cassée, a été banni de son pays suite à une énième révolution et on le retrouve déchu, comme simple artiste de spectacle. Ces retrouvailles surprenantes serviront plus tard de base à l'une des dernières intrigues de la série.
Les Sept Boules de Cristal s'arrête subitement. La Belgique est libérée de l'occupation et tout ceux ayant collaboré à un journal contrôlé par les nazis sont arrêtés et jugés ou bien censurés. C'est le cas d'Hergé qui se voit interdire de publication, là où ses collègues journalistes n'ont eu droit à aucun traitement de faveur.
"J'ai été arrêté quatre fois, chaque fois par des services différents, mais je n'ai passé qu'une nuit en prison. Le lendemain, on m'a relâché.
Je n'ai cependant pas figuré au procès des collaborateurs du Soir, j'y étais en spectateur. Un des avocats de la défense a d'ailleurs demandé "Pourquoi n'a t-on pas aussi arrêté Hergé ?", ce à quoi l'auteur militaire a répondu "Mais je me serais couvert de ridicule !"."
L'ancien résistant Raymond Leblanc le contacte finalement pour créer Le Journal de Tintin dont il sera le directeur artistique.
C'est dans ce nouveau journal, dans lequel sera publié toutes les futures aventures de Tintin par la suite, que parait Le Temple du Soleil, la deuxième partie des Sept Boules de Cristal. Le support et les nouvelles méthodes de travail permettent enfin à Hergé de pleinement s'épanouir dans la création de ses histoires.
L'action se situe désormais au Pérou où Tintin et Haddock rencontre le jeune Zorrino, un descendant des incas qui n'est pas sans rappeler Tchang Tchong-Jen du Lotus Bleu. L'histoire est désormais totalement portée sur l'aventure sur une intrigue de civilisation ancienne à la manière des futurs films d'Indiana Jones. L'intrigue des Boules de Cristal est ici brièvement évoquée, l'objectif principal des héros étant en réalité de secourir Tournesol.
Débutée en 1939 avant Le Crabe aux Pinces d'Or, Tintin au Pays de l'Or Noir était l'oeuvre inachevée d'Hergé. Celui-ci décide finalement de reprendre son histoire près de dix ans après.
Cela ne s'est pas fait sans heurt. La partie publiée de l'histoire était bien inscrite dans l'ambiance des albums de l'époque, avec les Dupondt et le retour du docteur Muller, antagoniste de L'Île Noire qui marquait là son retour quelques temps après.
Hergé ne pouvait pas ignorer toute la mythologie qu'il avait installé à partir de là, avec Haddock, Tournesol et Moulinsart, ainsi que les dix années qui se sont écoulées dans le monde réel avec la guerre. Aussi les planches déjà réalisées furent modifiées.
Tintin au Pays de l'Or Noir demeure toutefois l'un des albums les plus étranges de la série, clairement piégé entre deux périodes, avec Muller qui change entièrement d'apparence par rapport à L'Île Noire, et Haddock qui débarque de nulle part à la fin de l'album, avec un final à Moulinsart. Plutôt que d'apporter une explication difficile à trouver, Hergé décide d'en jouer à travers un running gag: à chaque fois qu'Haddock essaie d'expliquer la raison de sa présence, il lui arrive de nombreux malheurs, le poussant ainsi à se résigner à abandonner pour mettre fin à cette chaîne de malédictions.
Depuis ses débuts, le jeune reporter n'a cessé de parcourir le monde. Dans les années 50, Hergé décide finalement de lui faire quitter les frontières terrestres pour l'envoyer sur la Lune, un sujet qui n'a cessé de fasciner l'inconscient collectif à travers la littérature et le cinéma, un rêve inatteignable qui restait encore à accomplir dans le monde réel.
On le sait, cette conquête spatiale a été concrétisé en 1969. Hergé a donc crée son histoire hors de toute actualité. Pourtant son travail de documentation considérable fait que son histoire apparait incroyablement crédible.
L'histoire se compose en deux temps: Objectif Lune s'attarde sur toutes les préparations pour donner de la crédibilité à l'histoire, tandis qu'On a Marché sur la Lune plonge enfin dans ce vieux rêve avec une vraie poésie.
Sur ce fond de conquête spatiale avant l'heure, Hergé monte toute une histoire d'espionnage à travers la réapparition d'un vieil ennemi de Tintin, le colonel Boris Jorgen, et la trahison d'un de leurs membres d'équipage. Cet événement apporte une vraie note dramatique à l'histoire, tout en marquant profondément le lecteur à travers un personnage d'une ambiguité incroyable. Ici pas d'alliance clairement définie, on trouve un homme en proie aux remords et qui commet un acte symbolique pour se racheter. Sa trahison autant que son geste auront bouleversé autant Tintin et Haddock que les lecteurs, apportant une dose d'humanité et de réalisme inattendue à cette histoire portée sur l'imaginaire et la poésie.
En revenant sur Terre, Haddock se jure de ne plus jamais la quitter. Pourtant l'appel à l'aventure l'emportera sur son sentiment de "n'être bien que chez soi".
Après ce voyage jusqu'à la lune, L'Affaire Tournesol rappelle les héros aux intrigues policières. Ici, Tournesol a crée une machine convoitée par les services secrets de Bordurie. Le monde a changé et désormais la science est devenue l'arme la plus puissante au monde. D'où cette intrigue d'espionnage industriel sur fond de Guerre Froide entre la Bordurie et la Syldavie, les deux pays ennemis du Sceptre d'Ottokar. Pour sauver leur ami, Tintin et Haddock devront donc pénétrer en territoire ennemi.
Un personnage secondaire récurrent fait ici son entrée tardive: Séraphin Lampion. Sympathisant immédiatement avec Haddock, qui n'a aucune sympathie pour lui, Lampion renouvelle un peu l'humour de la série avec ses quelques apparitions dans les derniers albums.
En découvrant par le biais de l'actualité que le trafic d'esclaves existe toujours, Hergé décide d'y consacrer une histoire. C'est aussi la manière pour lui de faire amende honorable après Tintin au Congo, bien que cet album va finalement soulever lui aussi la controverse par le langage employé par les esclaves (Hergé le remaniera finalement).
De nombreux personnages des anciens albums font ici leur réapparition. Si la plupart n'apparaissent que très brièvement, c'est surtout du côté des méchants qu'il y a du changement. Rastapopoulos et Allan, respectivement ennemis jurés de Tintin et d'Haddock, font ici leur première réapparition depuis Le Lotus Bleu et Le Crabe aux Pinces d'Or et sont désormais alliés (à noter qu'Allan a été rajouté aux Cigares du Pharaon entretemps, à l'occasion d'une refonte de l'album, certainement pour le lier à l'organisation de Rastapopoulos dès l'époque).
Tintin au Tibet est un album très particulier dont l'histoire est bien connue. La vie d'Hergé traverse une période de crise existentielle: l'homme vieillit, traverse des problèmes conjugaux et fait des cauchemars d'un blanc oppressant, le néant.
Album introspectif, Tintin au Tibet voit le héros affronter ce "blanc" et les forces de la nature elles-mêmes pour réaliser l'impossible: retrouver une personne disparue, représentation d'un passé lointain et heureux. Un passé qu'Hergé a assimilé à son vieil ami Tchang Tchong-Jen, perdu de vue depuis et qu'il a longuement cherché en vain. Hergé s'assimile donc totalement à Tintin dans cette aventure, le reporter refusant d'accepter la cruelle évidence et se lançant dans cette quête perdue d'avance pour retrouver son ami dans l'antre de la bête, au coeur même des monts enneigés.
Si Tintin parvient à retrouver son ami et à laisser ces montagnes et la bête qu'elles abritent derrière lui, la fin est néanmoins extrêmement mélancolique tout en portant une lueur d'espoir: le héros peut dorénavant se reconstruire et prendre un nouveau départ. Il en est de même pour Hergé, bien qu'il ne retrouvera pas le véritable Tchang avant de nombreuses années encore, quelques temps avant la mort de l'auteur.
Entre rêves prémonitoires, quête de l'impossible et confrontation avec la bête, cette aventure de Tintin demeure le plus personnel et le plus humain de la série.
Loin des grandes aventures de Tintin, Les Bijoux de la Castafiore apparaît comme un vaudeville. Le cadre reste très strict: Moulinsart et ses environs. De même que l'affaire qui est une petite enquête policière sans prétention à la résolution farfelue.
Beaucoup moins ambitieuse, cette aventure met surtout l'accent sur l'humour en voulant représenter le quotidien de Moulinsart, bouleversé par l'arrivée in-extremis de Bianca Catastrophe. Tandis que les gags s'enchaîne, la Castafiore, personnage secondaire de la série, est ici mis à l'honneur.
L'un des points les plus intéressants de l'album reste bien sûr cette histoire de romanichels accusés à tort du vol du bijou (un sujet ironiquement encore plus d'actualité aujourd'hui qu'à l'époque).
Vol 714 pour Sydney est le point convergent de tout l'univers de Tintin. Tout ce que l'univers a traversé depuis ses débuts se rencontre au cours de cet album qui est, à mon goût, l'un des plus aboutis de la série.
En un seul et unique album, on trouve ainsi un détournement d'avion, les héros piégés sur une île avec des criminels (la dernière confrontation avec Rastapopoulos et Allan), la science (le sérum de vérité), les civilisations anciennes (la grotte), le fantastique (le médium, la soucoupe volante) et bien sûr l'humour.
Fascinante d'un bout à l'autre, jusqu'à sa fin étrange, cet album apporte une sorte de conclusion aux aventures de Tintin, même si la série continue encore un peu.
Tintin et les Picaros est l'histoire de la désillusion et le début de la fin pour le jeune reporter. En effet, loin de partir à l'aventure, son excursion chez les Picaros est plutôt celle que Tintin aurait préféré vivre.
La situation est simple: dans un pays d'Amérique du Sud, la Castafiore et les Dupondt sont arrêtés et accusés d'espionnages par le gouvernement dictatorial, sous l'impulsion d'une personne en voulant personnellement à Tintin et Haddock. Les deux hommes sont invités afin de plaider leur défense avant l'exécution programmée, mais l'histoire sent le piège à plein nez.
Tandis qu'Haddock refuse d'abandonner ses amis et part avec Tournesol, Tintin refuse de quitter Moulinsart et de se livrer à l'ennemi. La première partie de l'histoire tourne donc autour d'Haddock, avant que Tintin ne se ravise et les rejoigne.
Si Tintin et les Picaros met fin à l'intrigue du général Alcazar, rencontré dans L'Oreille Cassée et réapparu en exil dans plusieurs albums, les ultimes répliques de l'album sous-entendent que Tintin et Haddock sont fatigués de leurs aventures et n'ont qu'une hâte: retrouver leur foyer. L'heure de la révérence semble approcher pour les deux héros.
A noter aussi qu'Haddock perd définitivement son goût pour l'alcool durant cet album, le personnage abandonnant ainsi un de ses traits de caractère les plus attachants.
Dernière aventure officielle de Tintin, Tintin et l'Alph-Art est l'album inachevé d'Hergé, n'existant qu'à l'état de brouillon. Davantage une oeuvre documentaire témoignant des méthodes de travail de l'auteur qu'un album à part-entière, cette album est composé de deux partis: les illustrations (souvent des brouillons) et un script, tout deux inachevés. On ne connait donc pas l'issue de cette dernière aventure.
L'album nous permet toutefois de nous faire une idée sur ce qu'aurait pu être cet ultime album: Tintin se trouve ainsi plongé dans une affaire de contrefaçon d'oeuvres d'art menée par un mystérieux gourou dont la véritable identité ne nous est révélée que dans les notes laissées par l'auteur (qui avaient été perdues pendant longtemps, avant d'être finalement retrouvées et intégrées à l'ouvrage.
Après avoir initialement envisagé de compléter l'album par un autre, la décision fut finalement prise de publier l'histoire avec les brouillons et les notes vu l'état embryonnaire de l'histoire.
"Il y a, certes, des quantités de choses que mes collaborateurs peuvent faire sans moi et même beaucoup mieux que moi. Mais faire vivre Tintin, faire vivre Haddock, Tournesol, les Dupondt, tous les autres, je crois que je suis le seul à pouvoir le faire.
Tintin (et tous les autres), c'est moi, exactement comme Faubert disait "Madame Bovary, c'est moi !". C'est une oeuvre personnelle, au même titre que l'oeuvre d'un peintre ou d'un romancier. Si d'autres reprenaient Tintin, ils feraient peut-être mieux, peut-être moins bien. Une chose est certaine: ils le feraient autrement et, du coup, ce ne serait plus Tintin !"
Source de documentation:
Pour rédiger cet article, je me suis en partie basé sur l'ouvrage Tintin et le Monde d'Hergé de Benoit Peeters.