Comme je viens de finir de le relire et que ça fait un moment que je n'ai pas fait de critique, je vais faire celle de Batman: Hush.
Batman: Hush (Batman: Silence)
Auteur: Jeph Loeb.
Artiste: Jim Lee.
Année de publication: 2002-2003.
Nombre de pages: 320 pages environ (pas numérotées)
Statut canonique: oui.
L'Histoire
Au cours d'une mission de sauvetage, un mystérieux assaillant s'attaque à Batman qui fait une chute mortelle depuis les toits de Gotham. Mourant, il n'est tiré d'affaires que par l'aide de son ami d'enfance, le Dr. Thomas Elliot, un chirurgien de renom. Cette rencontre est l'occasion pour lui de se remémorer une époque où le démon de la vengeance ne l'habitait pas encore et où rien ne laissait présager le drame qui a ruiné sa vie.
Depuis quelques temps, les méthodes des adversaires récurrents de Batman ont changé, améliorées/modifiées, et le Chevalier Noir redoute que quelqu'un n'ait planifié tout ces crimes dans un scénario à vaste échelle où le moindre de ses actes est anticipé et dont la finalité vise à sa destruction psychologique.
Alors que le mystérieux adversaire fait ressurgir les fantômes du passé de Batman, les événements les plus traumatisants de sa carrière, et qu'il a du mal à y faire face seul, le Chevalier Noir réalise l'importance qu'a pris Catwoman dans sa vie et se prépare à prendre une décision importante qui risque de changer à jamais leur relation.
Commentaires
Batman: Hush est une oeuvre du duo Jeph Loeb / Jim Lee, à savoir l'un des meilleurs scénaristes de la série et l'un des meilleurs dessinateurs de comics. Forcément, les attentes étaient très élevées.
Par le passé, le personnage a déjà fortement inspiré Jeph Loeb qui a livré un Long Halloween magistral et un Dark Victory très réussi avec son partenaire récurrent Tim Sale. Sa collaboration avec Jim Lee donne lieu à une oeuvre différente, non plus axée sur les origines du personnages et ses talents de détective mais sur une étude psychologique qui constitue certainement l'une des meilleures introspections jamais écrites sur le personnage dans les comics (pour la série animée, il y a l'excellent Mask of the Phantasm).
Batman n'est plus un jeune homme cherchant à marquer la différence mais un justicier ayant un certain vécu, qui a connu de nombreuses tragédies, et l'enjeu de cette nouvelle épopée est cette fois beaucoup plus personnel. Le criminel s'attaque désormais personnellement à Batman et à Bruce Wayne en tant que personne et vise à le détruire psychologiquement.
De nombreux personnages, alliés et ennemis, se succèdent au fur et à mesure des chapitres, mais seuls deux sont vraiment au centre de l'oeuvre: Batman et Catwoman. Alors que le propos de la période Tim Drake est que Batman a besoin d'un Robin pour garder un équilibre dans sa vie, on peut dire ici qu'alors que quelqu'un s'acharne à le torturer, Batman trouve un équilibre en la personne de Catwoman et qu'il est donc tout naturellement amené à vouloir se confier à elle, tout en se demandant s'il est vraiment capable de lui accorder sa confiance et si elle le mérite (et si, des fois, il n'est pas "manipulé" à aller vers elle).
Face à ces deux personnages forts, les autres sont beaucoup plus effacés. Des personnages comme Robin, Nightwing, Oracle, Gordon ou Talia Al Ghul donnent l'impression de n'être présents que pour partager leur point de vue sur les changements récents sur la vie et sur la personnalité de Bruce Wayne ou pour l'empêcher de commettre l'irréparable en lui rappelant qui est vraiment Batman et ce qui le distingue de ses adversaires, alors même que la frontière entre justicier et criminel semble plus facile à franchir que jamais par la faute du mystérieux adversaire.
Le personnage inédit de Thomas Elliot, quant à lui, est à la fois un lien avec un passé que Bruce Wayne a oublié depuis longtemps et l'image de ce que Wayne aurait pu devenir s'il n'avait pas suivi le chemin de la vengeance: un homme tout à fait charmant et un docteur de renom qui a en quelque sorte repris l'héritage spirituel de Thomas Wayne.
Les cinglés d'Arkham, quant à eux, sont pour la plupart des adversaires d'un temps pour le Chevalier Noir, mais représentent aussi cette fois le mystère. Quelqu'un les manipule dans l'ombre et chacun d'entre eux joue un rôle bien précis dans un scénario prémédité où le moindre des actes de Batman, et peut-être même de ses plus proches alliés, est anticipé. Le criminel a une connaissance approfondie de sa personnalité, de son histoire et de ses méthodes et le personnage n'a jamais été autant repoussé dans ses derniers retranchements.
L'histoire atteint son apogée dans une scène formidable, occupant quasiment tout un chapitre, où Batman, complètement poussé à bout, s'acharne sur un Joker qui clame son innocence et, sous l'impulsion du moment, envisage sérieusement le meurtre de son ennemi juré. Partant de cette situation, Jeph Loeb et Jim Lee consacrent de nombreuses pages aux pensées atroces et aux souvenirs traumatisants qui assaillent violemment l'esprit de Batman l'espace d'un instant, donnant à ce passage une importance capitale vis à vis de l'histoire du Chevalier Noir. Un moment où celui-ci est amené à faire un choix décisif entre remplir son devoir vis à vis des nombreuses victimes du Joker (Jason Todd et Barbara Gordon en tête) ou se résoudre à ne pas corrompre ses principes et à continuer éternellement cette danse macabre avec son nemesis en sachant que la liste des cadavres laissés par ce psychopathe ne cessera de s'allonger. C'est l'un des rares moments de la série où Wayne dévoile totalement son âme et les multiples pensées, pulsions et désirs contradictoires qui ont grandi en lui durant toutes ces années et qui se manifestent tous violemment en un seul instant, créant une réelle tension et une véritable confusion chez le personnage et chez le lecteur.
L'oeuvre met également en évidence une métaphore importante qui compare la carrière de Batman et ses nombreuses tragédies à un opéra: des héros incarnant des valeurs fortes qui luttent vainement contre un destin cruel et qui ne trouvent au final que la mort. Le parallèle est poussé au point que Batman devient malgré lui le sujet de l'opéra, son destin devenant une mise en scène, face à un public qui ne fait pas la différence entre la réalité et la fiction (par folie ou, au contraire, par clairvoyance). En l'espace d'un chapitre, Jeph Loeb prouve une fois encore qu'il a tout compris aux enjeux du personnage de Batman.
A la manière de Haunted Knight, le personnage de Batman est "hanté". Hanté par le passé, hanté par la tragédie, hanté par les nombreux flash-back qui surviennent sans crier gare durant toute l'oeuvre.
Quant au mystère sur l'identité de l'adversaire, on retrouve le Jeph Loeb de la saga du Long Halloween: trois suspects privilégiés, des indices et des fausses pistes. Le lecteur est manipulé avec habileté et, alors qu'on croit avoir enfin trouvé le fin mot de l'histoire, Loeb trouve le moyen de nous surprendre et de nous faire réaliser qu'il nous mène par le bout du nez. A tel point qu'à la fin, alors même qu'on nous donne les réponses attendues à la plupart des questions mais que celles-ci ne suffisent pas à éclaircir tout les mystères, on se retrouve dans la même situation que dans The Long Halloween: à se demander jusqu'à quel point les réponses données peuvent être fiables et si quelque part le mystère est vraiment résolu (c'est présenté de telle manière qu'on ne peut jamais être certain de rien).
D'une manière plus large, l'oeuvre est tellement focalisée sur Batman et sur sa psychologie qu'on peut s'interroger sur la réalité des événements. La plupart des personnages sont tellement en retrait qu'on se demande parfois s'ils existent vraiment ou s'ils sont le fruit de l'imagination de Wayne, et la connaissance totale que l'ennemi a de Batman est telle que cela semble impossible pour quelqu'un d'autre que Bruce Wayne. Après toutes les tortures mentales subies par le personnage et sa confusion grandissante, et si les événements s'étant déroulés durant Batman: Hush n'étaient en fait qu'une manifestation hallucinatoire des traumatismes de Wayne et que tout s'était déroulé avant tout dans son esprit ?
Mais quoiqu'il en soit, cette aura de mystère qui domine l'oeuvre ne fait que contribuer au charme d'une histoire témoignant d'une maîtrise parfaite des auteurs sur leur récit et sur l'univers de Batman. Batman: Hush est vraiment un voyage au coeur même de la psychologie de Batman et une des oeuvres les plus sombres jamais réalisées sur cet univers avec Arkham Asylum.
PS: La vérité sur les derniers mystères de Batman: Hush a en fait été apportée dans une autre oeuvre, Under the Red Hood.
