Je suis un cyborg

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Erkael
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Je suis un cyborg

Message non lu par Erkael » 17 mars 2013, 16:05

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Elle est folle... Il est fou d'elle. »

Sorti en 2007, Je suis un cyborg est présenté comme la nouvelle folie de Park Chan-Wook, à qui l'on doit notamment le triptyque (follement génial) de la vengeance.

Avec Je suis un cyborg, Park Chan-Wook s'écarte de la violence morale et physique, de la poésie macabre vue dans ses trois films précédents, pour proposer une poésie plus légère et fantaisiste... et un film déroutant.

Young-Goon (Lim Su-Jeong) est internée dans un établissement psychiatrique. Sa grand-mère, déjà, était persuadée d’être une souris. Suite à l'internement de cette dernière, vis-à-vis de laquelle elle était très proche, Young-Goon prend conscience qu’elle est un cyborg et qu’elle peut discuter avec les machines. Refusant de se nourrir d'aliments humains (préférant déguster des piles), renfermée sur elle-même, loquace seulement avec machine à café ou néons, Young-Goon se met en danger du fait de sa malnutrition. Devant l'impuissance des médecins, seul Il-Soon (Jung Ji-Hoon), un autre malade, semble pouvoir la sauver. Se croyant doté du pouvoir de voler les âmes des autres, il tombe amoureux de Young-Goon et cherchera à la convaincre de son humanité pour qu'elle puisse manger de nouveau.

Le synopsis est séduisant, et la promesse de son traitement par un Park Chan-Wook reconnu pour son style original encore davantage. Or, Je suis un cyborg pose un énorme problème : la narration. Déjà entrevu dans Lady vengeance (antérieur à Je suis un cyborg), et encore présent dans Thirst (postérieur à Je suis un cyborg), le style du réalisateur coréen est anarchique. Dans Je suis un cyborg, c'est là le principal problème. Le cinéaste peine à tisser son fil conducteur, Je suis un cyborg étant par exemple résolument trop long. On croit avoir affaire à un film monté par sketchs, géniaux certes, mais entrecoupés de vide. Par conséquent, Je suis un cyborg s'avère terriblement attachant et efficace lors des « phases de folie » et à d'autres moments se montre complètement creux et longuet.

Illustrations de cette narration déstabilisante. Gros avantage : le film prend place dans un établissement psychiatrique, et le cinéaste en profite pour nous présenter chacune des pathologies des personnages rencontrés, ce qui donne lieu évidemment à de beaux plongeons dans le délire... soit l'intérêt principal du film et ce qui constitue l'essentiel de ces « phases de folie » si plaisantes, reposant sur des personnages loufoques et une imagination débridée. Ainsi, l'on assiste, effarés, à la pratique du yodel par Il-Soon, à ses sauts de lapin en plein couloir suivi par un camarade imitant un avion, aux discussions de Young-Goon avec les différentes machines qui se présentent à elles, ou encore à une hallucination dans laquelle on la voit tuer l'ensemble de l'équipe médicale en tirant des balles depuis le bout de ses doigts, crachant des douilles par la bouche avec le visage inexpressif d’un cyborg démantibulé (l'on sent bien l'influence de Ghost in the shell ou de Gunnm). Autre exemple, une scène où deux patients entonnent des chants issus des montagnes occidentales, l'un des moments les plus beaux du film, tant d'un point de vue sonore qu'esthétique, marquée par l'amitié entre ces deux individus et le contraste de voir deux Sud-coréens s'approprier ce qui tient du folklore occidental. Les scènes de ce genre sont multiples, et chaque patient sera l'occasion d'un nouveau tour malicieux. Je suis un cyborg étonne et passionne dans ces moments-là. Problème : tout cela est monté sur une intrigue qui n'avance pas, où le traumatisme de Young-Goon par rapport à sa grand-mère est trop banal et la quête d'Il-Soon pour convaincre la soi-disant cyborg de s'alimenter ne convainc pas. Un rythme en dents-de-scie en résulte, le final de Je suis un cyborg franchissant un seuil dans l'insupportable : absence de petites folies, intrigue principale vraiment interminable.

A ce problème de rythme s'ajoutent des choix pas forcément opportuns de la part du réalisateur : le personnage d'Il-Soon dont on ne sait pas vraiment s'il joue la comédie ou non (cela aurait pu être intéressant, ça en finit par être lassant), métaphore filée sur le navet dont le spectateur passe complètement à côté (et a priori, ce n'est pas le fait de regarder le film en tant qu'Occidental qui joue en notre défaveur... les mauvaises langues diront qu'au contraire, la métaphore est à l'image du film).

Certains partis-pris jouent au final contre le film. Le fait que la relation entre Young-Goon et Il-Soon soit totalement unilatérale, la jeune fille ne se rendant compte qu'en toute fin de film du bien que le voleur d'âmes lui fait, paralyse la narration. Acceptant d’entrer dans le monde de Young-Goon, de partager son délire pour l’aider à vivre, Il-Soon prouve qu'il faut être fou pour pouvoir sauver un fou. Jamais un semblant de réponse ou de réaction n'est donné par la jeune fille. Froide telle un cyborg, donc logique, certes, mais l'intrigue avance au gré des tentatives d'Il-Soon, prévisibles (la réaction tant attendue finit par intervenir) et contribuant à rendre le film tellement long...

Park Chan-Wook se rattrape, comme sur Thirst (le film qui vient après Je suis un cyborg) par le travail effectué sur l'image, qui est excellent. Le cinéaste caricature les couleurs, on croit presque avoir affaire à un clip de pop sud-coréenne acidulée : le bleu est ciel, le vert tendance jungle voluptueuse, le jaune est soleil, les intérieurs d'un blanc volontairement trop aseptisé. La musique est elle-aussi absolument magnifique, jouant en grande partie dans l'émotion suscitée par les scènes de folie et celles d'amitié.

Soulignons deux performances d'acteurs dont le cinéma sud-coréen détient les clefs. Lim Su-Jeong a subi un entraînement particulièrement intense qui l'a conduit à perdre plus d'une dizaine de kilos, pour acquérir un physique d'anorexique, presque rachitique. Rajoutez le maquillage et vous obtenez à s'y méprendre une femme-robot : blanc métallique et gestes mécaniques. Jung Ji-Hoon, chanteur pop célébrissime en Corée du Sud sous le pseudonyme de Rain, est inspiré. Son sourire et son regard espiègles font que l'acteur entre parfaitement dans la peau de son personnage. C'est plutôt l'écriture de son personnage, lunatique, qui pose problème, mais l'acteur n'y est pour rien. On a aussi du mal à croire que Jung Ji-Hoon choisira quelques années plus tard de tenir le rôle-phare du très américain Ninja assassin (au moins 15 kilos de plus et un look body-buildé).

Les bonus présents dans l'édition collector de Je suis un cyborg ne sont clairement pas négligeables ! Même si le résultat n'est pas à la hauteur, on peut s'apercevoir du travail réalisé autour du film : making of, scènes coupées et alternatives commentées par Park Chan-Wook, interview de Park Chan-Wook, entretiens avec l'équipe du film, entretien avec les deux acteurs principaux (qui nous font part de leur préparation physique, notamment la perte de kilos pour Lim Su-Jeong, et de la direction maîtrisée de Park Chan-Wook sur ses acteurs). Le gros point fort de cette édition est la présence du moyen-métrage de Park Chan-wook en exclusivité mondiale Nepal (Never Ending Peace and Love). Ce moyen-métrage, sorte de film documentaire car tiré d'une histoire vraie, narre l'histoire d'une travailleuse immigrée, membre d'une tribu népalaise, ne parlant pas un mot de coréen, se perdant dans les rues sud-coréennes et internée, face à l'incompréhension des policiers et médecins, dans un hôpital psychiatrique pendant plus de 6 ans. Un moyen-métrage immanquable. Notons aussi que le boitier DVD est aussi barré que le film (peu discret, mais tellement osé !). L'on fera remarquer que la VO doit ici être absolument privilégiée à la VF, car la puissance des scènes de folie ne transparaît qu'à travers la VO. On tient donc ici une édition de très grande classe, habillage et contenu font honneur à l'oeuvre et au cinéaste.

Face à une intrigue principale peu passionnante et longuette, manquant totalement de cohérence, la fraicheur de la folie qui plane est salvatrice. On ne peut pas détester Je suis un cyborg à cause de certaines scènes si particulières. Mais on peut quand même être déçus face à une intrigue principale poussive.

CRITIQUE DE ROGUE
On ne peut pas gagner à tous les coups mais on ne peut pas perdre à chaque fois non plus!

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