Tandis que je ne connais toujours quasiment rien des séries de Taniguchi, le titre que je choisis pour m'y lancer un peu plus est l'un de ceux qui se démarquent le plus de son travail habituel

Ce qui m'a vraiment plu, c'est le talent d'auteurs qui ont parfaitement cerné l'ambiance des films noirs, avec un héros privé qui se confronte sans arrêt aux misères du monde, au point d'être profondément désabusé, blasé, nonchalant, voire carrément ironique face aux bassesses, vices et douleurs proprement humains qu'il est amené à croiser. Ce qui amène de nombreuses situation bien... noires, qui prêtent parfois à sourire un peu amèrement quand le ton se fait plus proche de la parodie. En plus, le trait de Taniguchi se prête parfaitement à l'ambiance : mise en scène percutante quand il faut, tons sombres qui nous plongent très bien dans la misère humaine, héros qui a une sacrée gueule (vraiment une sacrée gueule, désabusée au point d'être un peu moqueuse, de celles qui sont inoubliables)... Et en plus, on ressent régulièrement l'influence de Kazuo Kamimura dont Taniguchi était l'assistant quelques années auparavant, ce qui est loin de me déplaire.
Côté ambiance, donc, c'est vraiment un régal, d'autant que la traduction suit globalement très bien cette ambiance de film noir. Personnellement, je n'ai pas été choqué par les nombreux petits raccourcis du type "j'te" ou "m'en fous", ça fait même partie des trucs qui ont renforcé mon immersion, car bien souvent les privés noirs parlent comme ça, de cette façon assez désabusée, nonchalante, ce qui correspond bien à leur caractère. J'ai plus été dérangé par certaines tournures de phrases un peu trop pompeuses.
Ce qui m'a un peu plus déçu, c'est le déroulement des histoires, très courtes. Dans chacune d'elles, les auteurs jouent plutôt sur les clichés du genre, enchaînent les références de différentes manières, s'appliquent à dépeindre chapitre après chapitre toute la misère humaine du monde (débauche sexuelle, maladie, corruption...), transforment leur oeuvre en habile hommage parfois parodique des films noirs, et c'est aussi pour ça que c'est vraiment nickel côté ambiance et que ça ravira les amateurs de films noirs. Mais malheureusement, tout ça se fait un peu trop au détriment du déroulement des histoires, beaucoup trop bourrées de raccourcis. J'attends réellement des histoires plus longues et plus abouties par la suite, sans ça j'ai peur de voir la série tourner en rond assez vite et me lasser.
Bref, très bon début côté ambiance, car les auteurs retranscrivent parfaitement l'essence des films noirs... au détriment d'histoires pour l'instant trop artificielles, qui ne sont qu'un prétexte pour un long hommage.
Côté édition, Kana offre du très bon travail. En plus de la traduction déjà évoquée plus haut, j'aime particulièrement le petit grain luxueux de la couverture, qui, couplé à l'illustration de la première de couverture, offre d'emblée un certain cachet au bouquin, que j'aurai plaisir à exposer en bonne place sur mes étagères.
Les quelques textes bonus sont une bonne idée. Mais bon, si la préface ne manque pas d'idées, je regrette son écriture extrêmement pompeuse qui m'a un peu gâché la chose. Quant à la postface de Karyn Poupée, elle est malheureusement trop courte et superficielle pour être réellement utile. Enfin, l'extrait de Stories are my business est vraiment chouette.