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Tome 1 :
Quelques mois après la fin du dynamique et très prenant Run Day Burst, Yûkô Osada revient aux éditions Ki-oon avec Kid I Luck !, série en trois volumes où il troque son habituel goût pour l'action, les courses automobiles ou les aventures farfelues pour un récit un peu plus réaliste... mais qui n'en reste pas moins survitaminé !
Kid I Luck !, c'est l'histoire de Kinjirô Yaoi, un terminale à la réputation d'enfer, puisqu'il ne pense qu'à se bastonner. Au lycée, en dehors de quelques potes, tout le monde le craint. Tout le monde, hormis son amie d'enfance, Kuriko. Depuis toujours, les deux adolescents sont plutôt inséparables, s'entendent à merveille, et ressentent sans aucun doute l'un pour l'autre un peu plus que de l'amitié, même s'ils n'ont toujours pas franchi le pas. Et pourtant, tous deux sont tellement opposés ! En effet, Kuriko, toujours gentille et patiente, est la douceur incarnée, alors que "Yaokin" est un bourrin invétéré. De même, la jeune fille adore les émissions comiques, notamment celle d'un duo comique à la mode, le "Resto Barjo", où les spectateurs peuvent montrer leurs talents comiques en rebondissant sur un thème donné. Alors que le jeune garçon, lui, a horreur de ça. Oui, vraiment, tout les oppose, mais ça ne les empêche pas d'être très proches.
Pourtant, tout va soudainement basculer de façon dramatique pour les deux jeunes gens, lors d'une fin de journée a priori comme les autres. Alors que Kuriko aimerait inviter Kin à un tournoi d'humour, notre héros préfère la laisser en plan pour, comme toujours, aller se bagarrer avec une bande rivale. Mais sitôt la baston finie, il reçoit un appel de la mère de Kuriko : sur le chemin pour rentrer chez elle, l'adolescente a été sexuellement agressée par deux hommes.
Quelques semaines passent, et Kuriko n'est toujours pas revenue au lycée. Du drame qu'elle a vécu, elles a gardé un profond traumatisme, et reste désormais constamment cloitrée chez elle, enfermée dans sa chambre, n'ayant plus aucun contact avec le monde extérieur et ne parlant plus à personne, pas même à sa propre mère ou à son ami d'enfance. Et le temps a beau passer, Kinjirô se sent coupable de ne pas avoir été à ses côtés le fameux jour. Il ne sait absolument pas comment redonner le sourire et le goût de la vie à sa si précieuse amie, à tel point qu'il a complètement laissé tomber la baston et est au bord du gouffre... jusqu'au jour où il se surprend à éclater de rire devant cette émission d'humour qu'il déteste tant ! C'est un véritable déclic : à l'instar des comiques professionnels que Kuriko aimait tant, il deviendra lui aussi un brillant humoriste, et utilisera l'humour pour rendre sa joie à la jeune fille !
Mais il y a un tout petit problème : il a un sens de l'humour déplorable !
Vous vous attendez à une série dramatique ? Ce n'est pas réellement le cas. Cette longue présentation ne fait que résumer les toutes premières pages de la série, où Yûkô Osada plante le décor vite et bien, sans insister plus que de raison sur le drame en lui-même. C'est plutôt l'après qui nous intéresse : comment se relever et retrouver la joie après un terrible drame ? L'interrogation, on ne peut plus humaine, trouve une réponse aussi enthousiasmante qu'étonnante chez Kinjirô : avec l'humour qu'il détestait tant ! Mais pour un gaillard au sens comique aussi mauvais que lui, il va falloir beaucoup persévérer, et commencer par se trouver un bon maître en humour. Il tente d'abord le coup auprès du club de comédie de son bahut, mais est méchamment rejeté par le prétentieux Moriyama, chef du club et brillant participant au "Resto Barjo". Mais pas question pour lui de laisser tomber, d'autant qu'il tombe bientôt sur Yayoi, la fille la plus timide et réservée de sa classe, dont il découvre bien vite le secret : elle est une véritable surdouée de l'humour, au point d'être la meilleure contributrice du "Resto Barjo" sous le pseudonyme de "Spaghetti Arrabbiata" ! Seulement, la jeune fille est bien trop timide pour accepter d'être son Maître, et il lui faudra tout donner pour tenter de la convaincre...
Dans un récit de ce type, on a vite fait de passer outre les quelques facilités (comme par hasard, deux des meilleurs contributeurs du "Resto Barjo" sont dans le lycée de Kinjirô) pour se prendre au jeu d'une histoire vive, rythmée, entraînante.
Au fil de ce premier volume et des premiers pas de Yaokin dans le domaine de l'humour, Yûkô Osada parvient à mettre en place avec beaucoup de talent quelques personnages secondaires qui ont vite fait de nous intéresser. Véritable génie de l'humour improvisé, Yayoi a vite fait de nous toucher et de se faire attachante, avec sa bonne bouille et sa timidité maladive qui l'empêche de révéler sa véritable identité comique. En face, on apprécie rapidement le rival qui se dessine en la personne de Moriyama, prétentieux maître en humour bien décidé à faire tomber de son trône "Spaghetti Arrabbiata" pour devenir le meilleur contributeur de l'émission "Resto Barjo". Doté d'un fort esprit de compétition, il est un "rival humoristique" qui amène beaucoup de piment, d'autant qu'il se dessine aussi peu à peu comme un potentiel "rival sentimental" de notre héros, puisqu'il est bien décide à lui-même redonner le sourire à Kuriko !
Au final, des petits enjeux très dynamiques se posent, mais ce qui se révèle également très intéressant, c'est le registre dans lequel s'exercent les personnages : l'humour improvisé, où il s'agit de rebondir en quelques mots sur une situation donnée. Que la réponse se veuille logique, totalement farfelue, décalée ou basée sur un jeu de mots débile, le seul et unique objectif est de faire rire... et pour ça, notre héros aura fort à faire ! Enchaînant les réponses désastreuses et pas drôles pour un sous, il fait plus rire pour sa façon d'être que pour ses blagues, ce qui n'est clairement pas bon pour lui. Et c'est petit à petit qu'il lui faudra apprendre les ficelles de l'humour. A ses côtés, on découvre en même temps que lui un genre d'humour intéressant, qui peut se baser autant sur le talent d'improvisation que sur l'ambiance générale, le contexte ou la façon de déclamer sa blague. Avec son ton vif et franc, Yûkô Osada parvient brillamment à nous immerger dans les spécificités de cet humour, à tel point que vous vous surprendrez sans doute à tenter de créer vos propres blagues en découvrant les différents thèmes.
Il ressort de tout cela une ambiance assez unique. Alors que l'origine de tout ceci est résolument dramatique, Osada ne tombe jamais dans le larmoyant et offre un récit enthousiasmant car forcément bourré d'humour, et où l'on reste néanmoins très touché par la verve de notre héros, déterminé à progresser malgré sa nullité en humour, dans le seul but de redonner la joie de vivre à ce qu'il a de plus cher. Le mélange d'émotion, d'humour et de positivisme raisonne alors en nous avec beaucoup de naturel et de sincérité, et trouve d'ailleurs un superbe écho en fin de tome, en croquant un parallèle à la fois frais et poignant entre les efforts de Kin pour faire rire, et la tentative de Kuriko de sortir. Toute l'atmosphère de la série est résumée dans ces quelques cases.
Dans un récit de ce genre où la découverte de certaines ficelles humoristiques est au premier plan, il est inutile de souligner la grande importance d'une traduction qui se doit d'être à la hauteur, et de ce coté-là l'édition française s'en tire avec les honneurs. On devine qu'adapter en français de l'humour typiquement japonais avec ses jeux de mots sans doute intraduisibles relève du chemin de croix, et là-dessus la traductrice expérimentée Fédoua Lamodière semble s'être vraiment bien amusée, en dénichant de nombreux jeux de mots et des idées tout à fait dans le ton de la série : franchement drôles, juste rigolos, très mitigés mais portés par l'ambiance générale, ou carrément mauvais quand Kin fait des siennes. On capte très bien les différents tons voulus, c'est du bon travail !
Au bout du compte, il semble difficile de ne pas succomber au charme de cette série enthousiasmante, qui mêle avec franchise émotion, humanité et humour. Le résultat est prenant, frais et touchant, ne fait pas forcément hurler de rire mais met beaucoup de baume au coeur, si bien qu'on ne peut que vous conseiller de le tenter !
En plus d'une très bonne traduction, l'édition française nous offre une bonne qualité de papier et d'impression, ainsi que huit pages en couleur très plaisantes.