Bon, flemme de poster mes deux avis sur les deux tomes, mais voici un petit récapitulatif de ce qu'est cette série. Je parle de l'édition double, évidemment
La réédition des quatre tomes de Trèfle en deux opus permet de nous faire (re)découvrir une œuvre absolument sublime, qui se classe parmi les meilleures du studio CLAMP, qui ont pu faire des merveilles comme des faux pas. Ici, c’est un petit bijou en deux grands volumes qui nous est présenté. Le fil directeur de l’histoire est l’existence de Suh, une fille étrange à la recherche absolue du bonheur. Dans le premier tome, elle souhaite que Kazuhiko, ancien militaire de son état, l’accompagne quelque part, là où elle pourra être heureuse. Mais cette rencontre n’est pas fortuite, puisque Suh, malgré ses nombreux secrets, conserve le souvenir d’une chanteuse qui, par sa voix, guide ses pas. Or, il se trouve que son guide lui aussi connait Oluha, cette si mystérieuse femme qui a tant parlé de lui à la petite Suh. Celle-ci va vivre un voyage vers le bonheur, en libérant Kazuhiko de ses souvenirs, et en s’abandonnant totalement au plaisir d’être libre. Le premier tome est alors la fin de l’histoire de Trèfle, tandis que le deuxième est un retour en arrière. On en revient à l’époque où Oluha est encore vivante, où Kazuhiko l’aime sans craindre les regrets, et où Suh est encore une belle fleur enfermée dans une cage aux oiseaux, avec pour seule distraction ses conversations avec une chanteuse du monde extérieur.
Lire Trèfle, c’est plonger dans un univers totalement décalé, étrange et incompréhensible. On ne pourra pas prétendre saisir les différents niveaux de lecture des mangakas dès les premières lectures, et il faudra un certain temps et un recul conséquent pour apprécier dans son intégralité cette narration si condensée de vide. L’histoire de base est bien amenée, on ne s’appesantit pas le moins du monde sur les conflits militaires ou politiques, mais d’avantage sur le vécu des « trèfles », notamment de celui à quatre feuilles. Tour à tour, c’est la mélancolie et le besoin d’être heureuse qui domine, avant de retomber dans un passé cotonneux et d’ores et déjà triste puisque la fin nous est connue, un retour aux sources sur l’importance du chant. Car ce sont des paroles pleines d’émotions et de sensibilité qui guident le manga, qui nous dictent comment prendre le récit. Différents personnages principaux se volent tour à tour la vedette, que ce soit Suh, Oluha ou Ran, le ton reste quasiment le même, ce qui prouve que la série n’es qu’une unité entière. Un condensé de sentiments qui se rejoignent, partagent un même bref instant de vie, agissant les uns sur les autres. Que ce soient la solitude, l’amour, le bonheur et son aspect lointain ou l’espoir, les thèmes sont tous mélangés à d’autres, afin de les traiter bien plus subtilement que d’ordinaire. Un ballet d'émotions, sublimé par des chants que l'on imagine, amenant une réflexion différente sur une narration peu habituelle.
Pour soutenir une telle poésie -plus qu’un récit-, les CLAMP ont frappé fort. Si elles conservent un character design assez proche d’autres de leurs œuvres, jamais encore elles n’avaient abordé une série de cette manière là. Les personnages sont donc élégants, très féminins bien que les hommes aient de ces détails qui les rendent bien différents des shojos habituels, les regards sont extrêmement travaillés, les sentiments étant ce qu’il y a de plus important dans la série, ils sont tous charismatiques et l’univers cyberpunk rajoute quelque chose à l’ensemble. De plus, c’est une de leur seule œuvre où l’on retrouve des protagonistes si travaillés, que ce soit par leur originalité graphique (Oluha et Suh ne ressemblent à personne d’autre dans la bibliographie des mangakas), ou par leurs caractères. Mais enfin, abordons le point le plus épineux mais le plus important de la série. Pour soutenir un récit extrêmement compact, répétitif via des chansons revenant en boucle, avec peu de paroles mais beaucoup de non dit, il était hors de question de faire des dessins à la X-1999. Ici, tout est épuré, libre, vide. Et le vide, c’est beau. Les trames sont simples, les cadrages très originaux et souvent minimalistes (s’attarder uniquement sur les détails sans même voir le visage de celui qui parle est plutôt singulier), tant et si bien qu’il faut s’accrocher pour comprendre, encore une fois, l’histoire. Mais le rendu est absolument superbe. Le remplissage n’est ici qu’une lointaine notion, et c’est la composition esthétique qui prend le dessus, avec beaucoup d’irrégularité, de symétrie bafouée, d’illogisme … Un bonheur pour les yeux. On sent une assurance et une maîtrise totale de l’art du manga dans cette simple série, qui au premier abord paraitrait un peu « facile ». Mais le tout se joue de la logique, s’amuse à bouleverser nos habitudes en termes de géométrie, de temps et d’espace.
Un dernier mot sur l’édition, qu’on remercie grandement d’avoir offert un tel travail pour une merveille pareille. Ceux qui diront que l’ancienne édition était plus esthétique auront sans doute raison, puisque le contraste vert / rouge est ici un peu violent, mais le format, la préhension des tomes et l’excellente idée d’adapter la série en deux opus pour s’adapter à la rupture dans la narration rattrapent cet impair. Heureux seront les propriétaires de la première version, mais celle-ci est tout aussi indispensable, ne serait ce que pour profiter de tout ce vide sur de grandes planches. On ne regrette que les pages un peu transparentes, une faute de conjugaison vers le milieu d’un tome, et les onomatopées restant en langue originale … Ceci dit, un peu de japonais est agréable dans cette lecture déjà décalée de tout, et on ne peut que tout oublier face à la qualité de l’encrage, qui est une composante primordiale du titre. Bref, ce manga est une merveille à tous les niveaux, absolument indispensables à ceux qui aiment le différent, les histoires sans réelle fin, le rêve et l’évasion.