Editeur: Akata
Traductrice: Tamako Kageyama
Nbr de volumes paru au Japon : 6
en France : 6
Rythme de parution : irrégulier et très lent (environ un tout les deux ans).
Chante moi "hier".
Titre découvert totalement par hasard quand mes connaissances mangas se résumait aux shonens Kana, Sing "Yesterday" for me (SYFM) est un des titres que j’ai le plus relu ces dernières années, grâce à son dessin, tout en douceur et en mélancolie, mais pourtant plein de vie, ses personnages proches de nous, et ses réflexions intéressantes et profondes sur nous-même à un moment charnière de notre vie : « Quelle vie choisir après nos études ? »
Qu’est ce que l’amour ?
SYFM est une comédie romantique de quartier, basé sur ce modèle : Haru aime Uozumi (pour une raison que elle seule connaît). Uozumi aime Shinako depuis le temps où ils étaient à l’université, mais il n’avait jamais osé lui avouer à cette période. Et Shinako pour sa part aime un ami d’enfance, décédé depuis longtemps et à qui elle n’a pas au le temps de confesser cet amour.
Tout est à sens unique donc. Chacun essayant à sa manière de s’imposer aux yeux de celui qu’il/elle aime.
Petite présentation des personnages principaux :
-"J’en ai un peu marre de moi-même en ce moment." Rikuo Uozumi
« Héros de l’histoire », jeune homme ayant tout juste fini ses études à l’université, et travaillant maintenant dans une supérette de quartier, par manque d’envie et d’ambition de trouver un travail « sérieux » ou qui le passionne plus.
Il aime la photographie, mais ne se sent pas capable (ou l’envie) d’assumer à fond sa passion.
Il est intrigué par Haru mais est désespérément amoureux de Shinako.
-"J’ai peut être voulu préserver quelque chose d’authentique." Haru Nonaka
Jeune fille mystérieuse, toujours accompagnée de son corbeau apprivoisé. Elle a dû récemment arrêter ses études au lycée parce qu’elle travaillait dans un bar en soirée ( ce que l’école n’accepte bien sûr pas).
Jolie, toujours souriante et positive, profitant de la vie, un peu caractérielle, elle semble malgré tout porter en elle de profonds regrets, à propos de sa famille, d’avoir arrêté ses études...
Elle vit seule et travaille dans un café/ bar.
Son amour pour Uozumi est étrange, et elle le sait. Mais elle ne peut pas et ne veut pas résister à ce sentiment, même si elle sait que c’est une illusion. Elle continue d’espérer et de tout faire pour que Uozumi la remarque plus, sachant et acceptant que il pourrait ne jamais lui retourner cet amour.
-"J’ai peut-être l’air d’avancer, mais je me retrouve toujours au même endroit." Shinako Morinome
Amie de Uozumi de l’époque de l’université. Elle le considère comme un bon ami à qui elle peut tout dire plutôt que comme un petit ami potentiel.
Elle est professeur de lycée, est belle, intelligente, douce, positive et courageuse. Mais même si elle a l’air d’aller de l’avant, elle ne peut oublier le passé et son ami d’enfance décédé, et a peur d’aimer à nouveau, ce qui constitue bien sûr une barrière infranchissable pour Uozumi (ou bien…)
D’autres personnages interviendront au fil des volumes et gravitent autour de ces trois là pour redynamiser l’action bien entendu.
Au fil de l’eau.
Mais Syfm va plus loin que cette « simple » histoire de sentiments traitée de façon adulte et plus mature. C’est avant tout un manga sur des personnages hors du système traditionnel, chacun à leur manière.
Haru a été exclu du système éducatif. Uozumi ne souhaite pas rentrer dans cette optique de vie « boulot-dodo », mais il ne cherche pas à s’affirmer dans un autre domaine non plus. Il se laisse vivre, sans but précis, en attendant mieux, et en souffre un peu quand il voit des gens comme Shinako et d’autres personnes plus enthousiastes dans leurs passions ou leurs ambitions. Et Shinako, même si elle est dans le système, est un peu hors du monde, hors du temps, figée, et ne peut pas être considérée comme dans la norme.
L’histoire s’attarde donc aussi sur leur évolution à ce stade de leurs vies, quand on ne sait pas trop où on doit aller, ou ce qu’on a vraiment envie de faire, et quand on se remémore ce qu’on a fait jusque là …
Le manga aborde aussi en arrière-plan le phénomène des "freeters", mot provenant de la contraction entre l'adjectif anglais "free" (libre) et le mot allemand "Arbeiter" (travailleur), donc littéralement " travailleur libre". (plus de détails dans l'annexe à la fin du tome 2) Pour faire court, nombre de jeunes japonais ne veulent plus être liés à leur entreprises, travaillés comme des forcenés et ne pas avoir le temps de profiter de l'argent qu'ils gagnent. Ils font donc des "petits boulots", ce qui leur assurent assez de revenus pour vivre tranquillement, des horaires bien plus souples et bien moins remplis, et du temps pour se consacrer à d'autres loisirs. Ce style de vie est très prisé par des jeunes qui veulent suivre des carrières plus artistiques, qui ne savent pas trop ce qu'ils veulent faire vraiment de leurs vies (comme Uozumi) ou qui sont exclus du système éducatif traditionnel (comme Haru)
Et comme souvent chez Kei Toume, on retrouve, au détour d’un chapitre, ce thème de l’art, dans toute sa diversité : peinture, photographie, musique, cinéma… , accompagné de discussions intéressantes sur ce qu’est l’art, sa raison d’être, pourquoi on s’y investit…
Mélancolie positive.
Mais l’œuvre ne serait pas ce qu’elle est sans le coup de crayon de Kei Toume. A la fois doux, sensible, nostalgique, certains diront dépressif, il respire le calme et une certaine force tranquille. Il m'est difficile de définir par des mots ce que je ressens. Un peu comme si on regardait un coucher de soleil alors qu’on est un fatigué de sa vie, et qu’on se remémore des instants passés sous un nouveau jour, avec plus de recul.
In the end...
Soyons clair, dans Syfm, il ne se passe pas grand chose. Je comprendrais parfaitement que certains s’ennuient à la lecture, ne voient pas trop l’intérêt de lire une œuvre à propos de personnes de la vie de tous les jours ou de ce qui pourrait avoir l’air d’une simple histoire amoureuse, ou restent insensibles au graphismes (quoique là j'ai déjà plus de mal). L’état d’esprit et l’expérience joue probablement énormément sur la perception personnelle de ce type d’œuvre.
Pour ma part, c’est un manga très zen, souvent drôle, profondément humain, et qui ne cherche pas le spectaculaire. On se sent proche des personnages, de leurs préoccupations (personnellement, je me sens proche de Uozumi dans sa manière de penser, la plupart du temps) et on se prend à faire sa propre introspection.
Cette histoire pourrait être la nôtre, ou celle d’une connaissance et elle pourrait finir à n’importe quel moment maintenant (à l’origine, le tome 3 était sensé être le dernier) sans que l’on se sente vraiment frustré, seulement un peu triste de ne plus pouvoir suivre ces personnages auxquels on s’était attaché, car il n’y a pas vraiment de fin en soi.
J’aime également beaucoup les discussions sur la façon dont on vit quand on est pas dans le système, pourquoi on ne suit plus ses passions après un certain âge, les excuses qu’on s’invente pour se protéger, pourquoi on fait de la photographie, du cinéma, et aussi à propos de l’amour, le deuil, etc.
Et le dessin me permet de me replonger dans l’œuvre sans ressentir de lassitude.
Une série courte, un très bon manga, qui vaut vraiment la peine qu’on s’y essaie. A ne pas rater de toute façon si on est fan de l’auteur.