Pour Sanpei
La fiche sur Manga-newsTome 1:
Trois ans après le mémorable Pays des Cerisiers, les éditions Kana, à travers leur collection Made In, nous offrent enfin la possibilité de nous régaler à nouveau devant une oeuvre de Fumiyo Kono.
Sanpei est un homme retraité d'une soixantaine d'années ayant perdu sa femme il y a peu de temps. Renfermé, un peu bougon et n'attendant plus grand chose de la vie, il part vivre dans la famille de son fils. Mais il ne tarde pas, en triant ses affaires, à tomber sur un carnet que sa femme lui dédie, et où celle-ci a pris le temps, jour après jour, de noter tout ce qui pourrait être utile à son mari: comment repasser, coudre, faire le ménage... diverses recettes de cuisine, ainsi que plusieurs informations sur les goûts et le caractère de son fils et de sa petite-fille. En suivant scrupuleusement ce manuel, Sanpei, qui avait toujours privilégié son travail à sa famille, se met en tête de servir à quelque chose au sein du foyer de son fils et de devenir un véritable homme à tout faire.
"Je ne me suis jamais senti grand goût pour portraire les triomphants et les glorieux de ce monde, mais bien ceux dont la plus vraie gloire est cachée."
Cette phrase d'André Gide, que Fumiyo Kono avoue aimer particulièrement, résume parfaitement l'état d'esprit du manga: ici, rien ne sort de l'ordinaire, la mangaka invite simplement son lecteur à suivre la nouvelle vie quotidienne qui commence pour Sanpei. Rien qui ne sort de l'ordinaire. Et pourtant...
Car à travers cette histoire d'une simplicité à toute épreuve, c'est une oeuvre magistrale que nous offre la mangaka. Dès les premières pages, les personnages nous apparaissent vrais et attachants, et le cadre familier. On a l'impression de connaître Sanpei, sa petite-fille, son fils et sa belle-fille depuis toujours, et le plaisir de les découvrir apparaît quasiment instantanément. Chacun des 17 chapitres (de huit pages chacun) de ce tome permet au lecteur en même temps qu'à Sanpei d'en apprendre plus sur les petits actes quotidiens de la vie, et sur les différents goûts et manies des membres de la famille, qui ont tous un caractère prononcé. Ainsi, on découvre un fils travailleur et secret qui a tendance à récriminer son père, une belle-fille à la poigne de fer sous ses allures d'extrême douceur, et une petite-fille vaguement inexpressive qui voue une véritable passion aux insectes. Peu à peu, certains éléments de leur passé se dévoilent, comme la première rencontre du fils et de la belle-fille de Sanpei. Mais le personnage de Sanpei lui-même n'est pas oublié, et l'on s'attache très vite à cet homme touchant dans sa volonté de bien faire, de changer, de rattraper le temps perdu, même si malgré tout, les souvenirs le guettent, des souvenirs de sa femme décédée, dont la présence se ressent quasiment à chaque page, si bien qu'elle devient un personnage du manga à part entière.
Le souvenir, la mélancolie, la nostalgie, la tristesse apparaissent sans cesse par petites touches durant la lecture, mais cette dernière n'est jamais pesante, bien au contraire. Loin d'être un manga triste, Pour Sanpei se montre souvent frais et amusant. Les gags sont nombreux, la cause en étant souvent Sanpei, qui voit ses actes et décisions de tout nouvel "homme de maison" fluctuer entre réussites et gaffes. Les autres protagonistes ne sont pas en reste, à commencer par la petite-fille, dont l'attitude la rend souvent irrésistible.
Le style visuel, lui aussi, contribue grandement à rendre l'oeuvre attachante. Fumiyo Kono possède un coup de crayon légèrement enfantin, qui offre au titre une impression de légèreté, de fraîcheur et de douceur permanente, qui colle parfaitement au quotidien qui est narré ici. L'ensemble est très sincère et expressif, et il n'est pas rare de sourire devant les expressions faciales des personnages.
Certains titres sont capables de faire varier les sentiments du lecteur entre mélancolie, tristesse, humour, joie et douceur. Pour Sanpei, lui, réussit l'exploit de nous faire ressentir tout ceci à la fois en permanence, pour aboutir sur une vision élogieuse de la vie dans tout ce qu'elle a de plus simple et, peut-être, de plus beau. Nous tenons sans doute là l'une des plus belles nouveautés de cette première moitié d'année 2009.
Tome 2:
Dans ce deuxième et dernier volume de Pour Sanpei, notre sexagénaire continue ses tâches quotidiennes au sein de la famille de son fils. Cependant, de nombreux évènements viennent troubler ce quotidien, entre la découverte par le lecteur des parents de Reika, les bizarreries de Nona à l'école, une dispute conjugale, et l'intérêt sans cesse grandissant de Mademoiselle Senkawa pour notre "héros".
Ainsi, le titre de Fumiyo Kouno continue de faire évoluer les personnages, en jonglant toujours aussi habilement entre scènes amusantes (passant souvent par la si attachante et cocasse Nona) et moments de profonde mélancolie, mélancolie qui se retrouve dans tous les principaux personnages, à commencer, bien entendu, par Sanpei, qui ressent toujours la présence de sa femme à travers le carnet qu'elle lui a laissé. Egalement, la mangaka, à travers nombre de descriptions par étapes et d'informations, rend parfaitement compte des différentes tâches ménagères effectuées par Sanpei, si bien que le lecteur pourrait sans problème en réaliser certaines après la lecture.
Les dessins légèrement enfantins et expressifs de Kouno sont toujours un plus indéniable et contribuent grandement à rendre le titre si attachant.
Au final, on se retrouve face à une chronique douce-amère de la vie quotidienne réussie en tous points, et ce jusqu'à un final qui conclut la série comme elle a commencé, et ce n'est sans doute pas plus mal. Et on referme ce dernier tome en ayant réellement l'impression d'avoir lu un manga unique.
Du côté de l'édition, Kana a effectué un travail satisfaisant au niveau de la traduction et de l'impression, même si l'éditeur nous avait habitué à un papier de meilleure qualité sur ses titres de la collection Made In (mais rassurez-vous, le papier reste tout de même très correct). La première page en couleurs est, elle aussi, sympathique. Seul véritable bémol: aucune note d'explication n'est présente au sujet des quelques références proprement japonaises, ce qui aurait pu être intéressant pour un lecteur novice.