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Tome 1 :
Parmi l'avalanche habituelle de nouveautés de la rentrée, certaines séries ont vite fait d'attirer l'oeil rien qu'à leur couverture. Avec sa domination de jaune pétant, ses excellents reliefs et vernis sélectifs et le personnage assez malsain qui s'affiche en couverture, le tome 1 de Scumbag Loser (nom qui en dit déjà long et qu'on ne prendra pas soin de traduire ici) fait clairement partie de celles-ci. Mais au-delà d'un emballage brillant (comme souvent avec les éditions Ki-oon), que vaut exactement le premier opus de cette série en trois volumes ? Avant de le découvrir, il vous faudra d'abord vous préparer à une immersion aux côtés de l'un des personnages les plus malsains et tordus que vous ayez pu voir dans un manga...
Ce personnage, il se nomme Masahiko Murai. Lycéen pas sociable pour un sou et plombé par un physique ingrat, il a tout du loser et est le souffre-douleur de ses camarades... mais il le leur rend bien ! Ou, tout du moins, intérieurement. Rongé par la haine envers son prochain, il considère beaucoup des siens comme des pourritures, des déchets, sans vouloir totalement admettre qu'il en est peut-être lui-même un. Car au-delà du dégoût pour ses prochains qui le bouffe intérieurement, il apparaît lui-même glauque à plus d'un détour, reniflant sans cesse la culotte de celle qu'il a autrefois aimée, son "amie" d'enfance Haruka Mizusawa sur qui il fait une telle fixette qu'il a recouvert les murs de sa chambre de posters d'elle, et se montrant bien incapable de se rebeller un tant soit peu, si ce n'est dans son esprit. Sa seule qualité, si c'en est une, résidant dans son odorat surdéveloppé.
Haineux, asocial, malsain, glauque, lâche : en quelques pages, le personnage est posé avec brio, et tout concorde à le nommer pire loser de son lycée... Pire ? Pas exactement. Car à défaut de chercher à sortir de sa situation, Masahiko peut se réconforter en observant Yamada, l'autre souffre-douleur du lycée, selon lui bien plus pathétique que lui, puisque là où Masahiko se contente de courber l'échine, Yamada va jusqu'à lécher les pompes de ses tortionnaires, ne se lave jamais, a les dents pourries...
Pourtant, tout est sur le point de changer, quand Yamada fait une déclaration fracassante : il a désormais une copine, lui, le plus immonde individu du bahut. Masahiko comprend alors qu'il est destiné à prendre la tête du classement des pires losers... à moins qu'il n'affirme avoir lui aussi une copine, même si ce n'est pas vrai. Et pour tenir ce rôle, qui de mieux que sa chère Haruka, dont il a d'innombrables photos ?
Ce qu'il n'avait pas prévu, c'est que le lendemain, Haruka arriverait soudainement en tant que nouvelle élève de sa classe et affirmerait être bel et bien sa copine ! Y a-t-il de quoi se réjouir ? Pas vraiment, car Haruka est censée être morte cinq années auparavant. Mais quoi qu'il en soit, Masahiko est bien décidé à faire passer la demoiselle pour sa copine, quitte en échange à exaucer tout ses désirs, désirs qui se feront de plus en plus inquiétants...
Dites-vous que tout ce que je viens de vous dire n'est que le tout début de la série et tient en une quarantaine de pages. La première qualité de l'auteur Mikoto Yamaguti étant de nous offrir un rythme narratif exemplaire, où tout est clairement posé et nous plonge directement dans l'ambiance, aux côtés d'un antihéros total, dont nous allons suivre toutes les pensées ainsi que les délires issus de son imagination extrêmement tordue. Et cela ne changera pas pendant tout le volume : après avoir posé un rythme solide et une ambiance extrêmement glauque, l'auteur ne laissera jamais retomber le tout, nous plongeant toujours plus dans l'enfer dans lequel s'est plongé Masahiko, en grande partie à cause de son propre comportement, même si la plupart de ses camarades tortionnaires sont tout aussi détestables. A vrai dire, les protagonistes attachants seront extrêmement rares, et ne resteront pas gentils très longtemps... On vous l'a dit, vous voici plongé dans une oeuvre résolument horrible, où aucun espoir ne semble permis, et où tout semble devoir aller de mal en pis.
Ce mal, au fil des pages, il apparaît de plus en plus incarné par celle qui est l'initiatrice de des nouveaux problèmes de Masahiko : la fameuse Haruka, prétendue petite copine de notre antihéros, et qui est censée être morte depuis cinq ans... Alors, que fait-elle ici ? Que cache le secret de sa mort ? Est-elle la vraie Haruka ? Si elle ne l'est pas, qui donc est-elle, et quel est son but ? Ou alors, Masahiko ne serait-il pas en train de tout inventer dans l'un de ses délires intérieurs?
Le flou est jeté, mais dès la mise en place, Mikoto Yamaguti nous laisse bien comprendre que le personnage n'est pas net, manipule d'emblée Masahiko, et ne cessera jamais de le manipuler en en faisant toujours plus un petit cochon incapable de se rebeller. Ses actes, de plus en plus inquiétants au fil des pages, sont parfaitement entretenus par une apparence extrêmement malsaine, l'auteur lui offrant au-delà de son joli physique des sursauts d'expressions horrifiques du plus bel effet, avec yeux extrêmement plissés et rictus déformés, de ceux que l'on entrevoit aussi dans les pensées les plus tordues de notre anti-héros. Effet garanti.
Pour échapper à un enfer, Masahiko est donc plongé dans un autre, et doit se rendre à l'évidence que sa prétendue copine est inquiétante, au fur et à mesure de ses désirs et actes de plus en plus sordides. Petit à petit, il voit son entourage changer, devenir de plus en plus malsain, comme si l'enfer autour de lui s'étendait de plus en plus... si bien qu'il est amené à se poser toujours plus de questions... et à agir face à certaines prises de conscience. Car la présence de Haruka lui fera notamment ouvrir les yeux quant à l'horreur de sa situation familiale, où lui fera prendre conscience qu'avec un autre comportement il aurait sans doute pu se faire quelques amis... Mais s'il cherche un peu plus à agir au fil des pages, il reste un lâche qui ne peut changer si facilement, un tordu qui reste poussé aux pires extrémités pour s'en sortir... Et même s'il pourrait montrer quelques sursauts d'humanité plus vifs, n'est-il pas déjà trop tard pour contrer les ténèbres qui grandissent autour de lui ?
Bien sûr, on s'interroge un peu sur certains événements faciles ou éléments à l'utilité pour l'instant discutable (l'odorat surdéveloppé de Masahiko, par exemple), mais on retient surtout de ce premier tome une entrée en matière qui nous happe dans une spirale infernale, de plus en plus glauque, pour ne jamais nous laisser en sortir, le rythme trouvant encore le moyen de s'accélérer et de gagner en horreur, jusqu'à des dernières pages inattendues, qui passent encore un cap et font l'effet d'une bombe.
Irrévérencieux, malsain, tordu, survolté... Tout simplement unique en son genre, Scumbag Loser a déjà toutes les clés en main pour devenir une nouvelle référence. Il ne lui reste qu'à confirmer dans une suite que l'on espère à la hauteur.