
La fiche sur le site
Tome 1 :
En ce début d'année, il sera sûrement difficile de passer à côté de Jeux d'enfants, Kamisama no Iutoorii de son nom original, shônen paru au Japon dans le même magazine que l'Attaque des Titans et Sankarea, et astucieusement classé en France par les éditions Pika en seinen. Il faut dire que l'oeuvre jouit déjà de sa petite réputation et profite d'un succès qui lui vaut au Japon une deuxième saison toujours en cours, et qu'elle aura droit en 2014 à une adaptation en film live confiée à l'illustre Takashi Miike (ça en dit déjà long quant à l'aspect sanglant de l'oeuvre). Et puis, il y a cette couverture, énigmatique, qui attire forcément l'oeil.
Le premier tome de Jeux d'enfants nous immerge aux côtés de Shun Takahata, un lycéen comme les autres, avec ce que ça implique : il a beau pouvoir passer son temps avec son ami Satake et fantasmer sur la mignonne Aya, il s'ennuie profondément. Jusqu'au jour où, en plein cours, la tête de son prof vole en éclat dans une immense gerbe de sang et laisse apparaître un daruma, cette sorte de figurine traditionnelle destinée aux voeux. Pour lui et ses camarades de classe, c'est le début d'un jeu mortel, sanglant, dont il va à tout prix falloir se sortir vivant...
Si le concept de jeu mortel est plus que jamais à la mode et nous l'a encore prouvé en 2013 avec King's Game et l'excellent Alice in Borderland, Jeux d'enfants tire très vite son épingle du jeu grâce, principalement, à une ambiance d'exception, qui s'installe dès les premières pages, celle-ci ne laissant absolument pas le temps de se préparer à ce qui va se passer. On est très vite plongé dans l'enfer du jeu, un jeu qui commence de façon très soudaine et brutale et ne baissera ensuite jamais de rythme en enchaînant les morts. Celles-ci font leur effet, précisément grâce à leur aspect soudain, brutal, parfois inattendu car il arrive que les auteurs nous prennent à contrepied (l'après focus sur Kikkawa en est un excellent exemple)... Mais il faut aussi souligner un aspect assez grotesque dans le concept même de ce qui se passe, mais aussi dans l'idiotie de certaines morts (oups, je t'ai malencontreusement piétiné...). Un grotesque qui laisse un peu abasourdi, le lecteur étant alors partagé entre quelque chose de relativement malsain, glauque, et un certain humour noir, pour un résultat assez unique.
Cette ambiance très étrange, un peu multifacettes, est renforcée par le concept même des jeux, qui mêle enfance et folklore nippon. En effet, dans ce premier tome vous assisterez à deux épreuves, et toutes deux ont pour particularité d'utiliser des jeux enfantins bien connus (l'équivalent japonais de notre "1,2,3 soleil", et le jeu du chat). Le choix du titre français trouve son explication dans cette façon de détourner les jeux qui ont bercé notre enfance afin d'en faire des épreuves mortelles... Résultat garanti. L'ambiance doit également beaucoup aux méchants des deux épreuves : des symboles bien connus du folklore religieux nippon, qui sont génialement glauques (le daruma, en bon daruma, tire des visages pas possibles, et le gigantisme ainsi que l'aspect félin du manekineko en font une bestiole impressionnante et louche) et laissent forcément interrogateur quant à qui se cache derrière tout ce qui se passe... Est-ce l'oeuvre d'une entité divine ? Cela expliquerait le nom original de la série.
Pour l'heure, on n'a aucune bribe de réponse. On se contente de suivre les deux épreuves en s'interrogeant autant que les adolescents... pour peu que ceux-ci aient le temps de s'interroger, car ils ont vite fait de clamser. Dans cet enfer soudain, seuls quelques-uns s'en sortiront, mais pour cela ils devront conserver un certain esprit d'analyse, ne pas céder à la panique... Inutile de dire que dans ce genre de situation, ils seront peu à en être capables, ce qui nous laisse une jolie impression d'impuissance de l'humanité face aux instigateurs des jeux.
Néanmoins, Shun, lui, a enfin là l'occasion de s'illustrer. Lui qui trouvait sa vie ennuyeuse ne pourra plus jamais dire cela, et se révèle même plutôt à l'aise pour décortiquer les situations. Dans ce premier volume, tout repose essentiellement sur lui, sur son esprit d'analyse et sa capacité à s'adapter à la situation pour s'en sortir (surtout dans l'épreuve du chat), et l'on appréciera alors d'avoir un héros qui réfléchit un peu pour vite analyser les choses. Dès lors, ça avance assez vite, et les auteurs évitent le piège des grosses rallonges prévisibles avec des héros trop neuneus pour analyser clairement les choses (comme on en a eu dans tant d'autres jeux mortels comme Judge ou King's Game). Les nombreux personnages secondaires, simple chair à pâté, de leur côté se contentent de paniquer comme beaucoup le feraient, ou n'ont juste pas de bol (aaaah, cette petite touche d'humour noir).
Néanmoins, la principale déception vient pour l'instant quand même des personnages. Hormis Shun, aucune des principales têtes n'a droit à un développement conséquent, et même Shun reste pour le moment très basique. Il reste ensuite à voir l'orientation que prendra la série, entre l'arrivée en fin de volume du classique joyeux psychopathe quasiment indispensable à ce genre de série, et les révélations des dernières pages sur l'ampleur de ce qui se joue. En fin de compte, on a l'impression de n'avoir ici qu'une introduction à quelque chose de bien plus gigantesque...
Visuellement, Akeji Fujimura s'en sort très bien. Le principal défaut vient de l'inégalité des personnages sur les plans plus éloignés, mais pour le reste l'ambiance est assurée. Les personnages sont pour la plupart tout de suite reconnaissables, les expressions de peur se partagent joliment entre véritable effroi et exagérations renforçant les pincées d'humour noir, et comme déjà dit le design du daruma et du manekineko en impose sévèrement, de même que ce sens du rythme très soudain et brutal. L'action jouit d'une mise en scène limpide et dynamique, et la mention spéciale est donnée aux nombreuses effusions de sang, qui se veulent assez stylisées.
Dans le registre du jeu de la mort, Jeux d'enfants s'offre une entrée en matière très efficace. Shun reste un héros pour l'instant trop basique et les autres personnages sont simplement creux, mais les auteurs assurent le spectacle. Ambiance glauque et non sans humour noir bien appuyée par la gueule des méchants ou les effusions de sang, dynamisme certain, enjeux qui se précisent un peu en fin de tome et qui promettent d'être bien plus grands qu'on pourrait le croire... Voici une introduction particulièrement efficace pour qui aime le genre !