

Vol 1 :
Après Entre les draps et Body and soul, on retrouve Erica Sakurasawa dans une histoire qui, une fois n’est pas coutume, s’attarde principalement sur deux jeunes hommes. Tous deux mannequins, Kazuya Matsuki et Tatsuhiko Nakamura n’ont cependant pas d’autre point commun : le premier prend son travail comme un divertissement, une façon de passer le temps et de gagner un peu d’argent. Les rendez vous ne présentent que peu d’importance, les contrats défilent sans qu’il s’en soucie, bref un grand enfant sûr de lui, vivant au jour le jour et ayant pour habitude de partager sa couche avec toutes les jolies filles qui passent. Sauf que tout bascule le jour où il rencontre Yoko Miyake dans un bar, et qu’il la retrouve en tant que manager. Cette femme, adulte et affirmée, va changer peu à peu sa vision des choses, que ce soit le à propos du travail ou de l’amour. Pendant ce temps, Nakamura est à l’opposé : il ferait tout pour avoir plus de travail, car cela signifierait plus de reconnaissance. Jouant sur tous les fronts, autant magazines que télé, le jeune homme peut aller très loin dans le seul but de satisfaire son ambition. A travers lui, on aperçoit toute la cruauté du monde bardé de paillettes, la concurrence et les sacrifices à entreprendre pour y survivre. Réduire l’homme à un objet dont on se sert n’a alors rien de stupéfiant ici, l’image enlevant tout soupçon d’humanité au modèle, qui ne devient qu’un objet de fantasmes, de rêves, ou de haine.
A travers le quotidien de ces deux hommes, on commence à apercevoir le fil directeur du manga, qui compte seulement deux tomes. Est-ce qu’un monde aussi inhumain peut laisser la place à la vérité, à l’amour et à la sincérité ? Et surtout, on prend conscience que le gamin heureux et idéaliste va tomber de haut en réalisant que l’environnement dans lequel il évolue n’a rien d’une vie de luxe, alors même que son rival l’a compris depuis longtemps, ce qui lui apporte réussite et stabilité, mais en aucun cas la sérénité. La mangaka ferait presque choisir ses personnages entre le bonheur et la réussite. Un bien cruel dilemme qu’on préférerait ne pas toucher du doigt. Chaque personnage a un petit quelque chose qui le rend vulnérable, qui le pousse à chercher le réconfort chez les autres, à oublier le passé et à progresser malgré tout. C’est cette galerie de figures blessées que l’on apprécie particulièrement chez l’auteur, qui jongle alors habilement avec les sentiments de chacun. Le tout s’épanouit dans un contexte réel, peuplé de sexe, d’amour, d’indifférence, de déceptions et de mauvais souvenirs. On sent bien que cette fiction peut très bien prendre pas dans la réalité, dans notre réalité où cette société de l’image a parfaitement sa place. Et si l’on s’attache bien vite aux sentiments exacerbés et principaux, certains n’aboutissent pas, deviennent des non-sens, des échecs. Voilà aussi ce qui fait la force de la narration, à la fois puissante et légères, superficielle et ancrée profondément. En quelques mots, Crash est un très beau témoignage de la vie, dans un contexte particulier et aussi enchanteur qu’illusoire.
Les graphismes sont fidèles à eux-mêmes : quelques traits pour identifier les personnages, dont les proportions varient un peu selon les positions, un dessin très simplet, épuré, pour laisser place à la magie du vide. Les expressions sont parfois un peu légères ou alors trop exagérées, mais à vrai dire on se prend à apprécier les grosses lèvres immobiles, le cadrage assez simple et les ombres dispersées … Le trait de la mangaka réussit parfaitement les scène érotiques et dramatiques, et le tout est suffisamment plaisant pour que l’on identifie la narration, très évasive et anarchique, au dessin qui lui ressemble. Niveau édition, on se retrouve avec un grand format, une traduction satisfaisante bien que certains dialogues soient exagérés (la façon de parler des jeunes filles, entre autres) et le tout est dans la moyenne de ce que l’on peut attendre. De plus, on apprécie beaucoup la post-face et la couverture a un charme décalé et attisant la curiosité.
Vol 2 :
On retrouve, dans ce second et dernier tome de Crash, nos trois héros qui n’en sont pas vraiment. Ils continuent d’influer les uns sur les autres, sans se soucier vraiment du mal qui se répercute, ils se rencontrent brutalement ou avec tendresse, peu importe. Le maître mot est ici le changement, qu’il faut accepter ou refuser, ignorant la nécessité de faire quelque chose pour s’en sortir. Car le quotidien, le passé, n’est pas toujours bon à prendre. Les habitudes peuvent détraquer une vie, et certaines décisions anodines peuvent avoir de lourdes répercussions. Mais c’est enfin la réunion de nos trois protagonistes, qui dirigent tous un peu la vie des autres, que ce soit dans la recherche de l’amour ou celle du calme et de la paix. Un des messages à retenir est d’ailleurs la désacralisation de l’amour, qui tombe de son piédestal pour reprendre une place plus appropriée. Ce sentiment ne fait pas tout, ne panse pas les blessures et en crée souvent de nouvelles. La jalousie, le désarroi, la peur et le manque peuvent faire bien plus de mal qu’une vie passée sans amour. Ce sentiment n’est pas à prendre à la légère, et entre amour et amour, il y a toute une maturité qui décide où l’on se situe.
Au final, quelle fin pour ce manga ? Aucune. Crash n’est pas une histoire en soi, mais d’avantage une photographie d’un moment de vie, d’une période où il faut se remettre sur ses pieds, dépasser l’obstacle et rebondir encore plus haut. Le manga pourrait se continuer, mais le choix de l’auteur est judicieux d’arrêter là cet instant hors du temps. Les personnages continuent de vivre une fois la dernière page tournée, et ce n’est que pour nous que le récit s’achève avec ce deuxième tome. Mais à cause cette frustration de ne pas aller plus loin, associée au fait que le plaisir de la première découverte n’est plus là, on se trouve face à un tome légèrement moins bon que le premier. Il manque un peu de cette fraicheur superficielle qui se fondait si bien dans la narration du précédent tome. Reste que le tout est intéressant pour qui a quelques minutes devant lui pour découvrir la suite des aventures banales de gens tout aussi ordinaires.