La traversée du temps :

Après maintes et maintes récompenses dans divers festivals de l’animation, il est bien temps de vous parler un peu de ce très beau film d’une heure et quelque seulement, mais qui fait passer un pur moment de bonheur et de plaisir sur une histoire qui ne parait pas très originale ... Makoto est une lycéenne pas vraiment du genre à faire attention à elle, à se préoccuper de son apparence, ses notes, sa réputation. Un vrai garçon manqué qui passe son temps libre à s’entraîner au base-ball avec ses deux amis, Kozuke et Chiaki. Pour elle, la vie c’est au jour le jour et tant pis si les catastrophes lui pleuvent dessus. Une adolescente normale, en somme. Sauf que voilà, un jour elle reçoit le don de remonter le temps ! Un peu difficile à appréhender et à comprendre, son pouvoir va pourtant lui permettre de corriger tout ce qui ne va pas dans son entourage mais aussi d’en profiter pour dormir plus que nécessaire, manger son flan sans que sa peste de sœur ne le lui vole, revivre pendant 10 heures une séance de karaoké ... bref, c’est un nouveau confort pour la jeune femme qui s’installe. Les notes s’améliorent, ses performances au base-ball également, il ne lui arrive plus rien de désagréable qu’elle ne puisse effacer, mais comme toute chose un peu particulière, il y a des conditions induites. Celles que Makoto n’a pas prises en compte. Par exemple, ce qu’il arrive aux autres lorsqu’elle décide de changer le cours du destin ? Que se passe-t-il si elle évite ceci ou cela, si elle provoque cette situation ou une autre ? Et surtout, quand cela s’arrête, comment apprendre à vivre sans et à accepter de nouveau la fatalité et la logique du temps ?
Dans une première partie du film, c’est la légèreté et la réalité teintée d’humour qui priment. On s’attache rapidement aux personnages, qui nous ressemblent énormément. Sans doute plus que les récits d’animation traditionnels où les filles ne parlent pas aux garçons sans en rougir dans la seconde. Ici, Makoto évolue naturellement dans ses amitiés, dans ses années lycées, et son caractère cool et peu prise de tête est une découverte particulièrement agréable ! On pourra par exemple dire que Yuri ou la jeune fille amoureuse de Kosuke sont les représentantes typiques des héroïnes habituelles, et que Makoto brille par sa différence, sa nonchalance, tout cela mêlé à ses préoccupations d’adolescente, notamment vis-à-vis du pseudo trio amoureux qu’elle forme avec ses deux amis. Alors oui, on rit beaucoup dans un premier temps, ou du moins sourit-on sans retenue devant la futilité de ses besoins. Gags faciles, situations propices au comique et atmosphère bon enfant, c’est la détente qui l’emporte. Puis, rapidement, on passe un second pallier qui va nous permettre d’analyser plus en profondeur les relations humaines qui se tissent sur cette à priori banale situation de lycéenne au pouvoir de remonter le temps. Ainsi que les répercussions de ces actes dans un futur qu’elle ne connait pas encore, lorsqu’elle se base sur ce qui s’est passé précédemment mais avec un enchainement différent. Notamment, et c’est très bien mis en scène, sur les tentatives répétées de la jeune fille pour caser Kosuke avec la fille qui soupire à son souvenir. La scène se déroule sur un air de musique classique enjoué et rend avec une pertinence incroyable et une superbe dynamique la logique de ce pouvoir, ses limites. Tenter de tout réparer ne peut parfois qu’aggraver les choses, et Makoto va l’apprendre bien trop vite ...
C’est d’ailleurs à peu près à cette constatation que la seconde partie se révèle, explosive. Bien malin sera celui qui aura pu prédire la suite des évènements. Sur une intrigue normalement simple et sans grand relief viennent se greffer des mystères, un aspect qui dépasse le simple fantastique et se définit d’avantage comme une exception, comme un autre « ici ». Alors que l’on plonge au plus profond des réflexions de Makoto sur son environnement, le rôle qu’elle joue dans la grande roue du temps et les conséquences de chacune de ses décisions, elle nous entraine par la main vers des révélations inattendues, révélant des facettes narratives bien surprenantes et particulièrement jouissives ! Quand une banale histoire de voyage dans le temps parvient à nous faire autant d’effet, à caser le drame en plein milieu de l’univers comique et léger de l’insouciance lycéenne sans tomber dans le mélodramatique et le pitoyable, c’est du grand art. Il devient alors indispensable de se laisser porter par l’accélération de la narration, par son envol inévitable qui prend une place extrêmement conséquente dans l’appréciation qu’on aura du scénario. Sans compter que, pour accompagner un crescendo à l’impact brutal, on s’entoure de personnages principaux très charismatiques, remplis d’intérêt, de nuances et de caractère. Si Makoto est la plus intéressante dans sa dualité sentimentalisme / nonchalance, ses amis ont tout autant de finesse, et leurs rôles ne sont pas pour le moins oubliés, importants qu’ils sont au ton développé durant tout le film.
Pour les graphismes, on dénote une morphologie des personnages pas toujours efficace, notamment pour la sœur de Makoto qui n’est absolument pas travaillée et ressort alors les plus importants défauts que l’on ne voit pas sur une héroïne où le caractère dépasse le dessin. Toutefois, chacun est identifiable par rapport aux autres, avec une touche d’originalité qui rend leurs rôles plus affutés. Le character designer (ayant travaillé sur Evangelio et FLCL entre autres) garde les codes du shojo mais sans stéréotypes, travaillant en fonction des personnalités pour créer des physiques rapidement ajustés à l’image qu’on se fait au premier regard des personnages. A noter que l’animation des corps est assez bien réalisée, notamment lorsque Makoto passe son temps à courir, s’élancer, s’arrêter, trébucher ou faire des roulés boulés sur elle-même. Une certaine fluidité habite alors les corps des adolescents, et l’aisance qui se dégage de l’ensemble permet au spectateur de passer un moment particulièrement agréable, avec de très beaux décors et une musique somme toute assez discrète, mais bien mise en œuvre pour laisser le beau rôle aux paroles et à l’action. D’autant que, lorsque l’on a besoin de lui, le thème musical reprend ses droits avec de belles envolées classiques, quelques chansons japonaises de circonstance et remplissant un passage qui aurait pu être vide ... Bref, adapté. Suffisamment discret quand on le souhaite, présent le reste du temps. Enfin, les voix françaises sont réussies, au moins autant que les originales et c’est avec plaisir qu’on pourra, à tout âge malgré l’impression enfantine et joyeuse qui se dégage de la couverture, profiter de cet excellent film.
Un petit bijou encore trop méconnu du grand public, qui se détache des films contemplatifs et sait doser une action pertinente avec des surprises constantes dans le scénario. Sans jamais oublier un travail approfondi des protagonistes et des émotions omniprésentes dans ce long-métrage. Un chef d’œuvre, à n’en point douter.