Enfer Bleu

[Koiwai]

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Tome 1 :

Habituée des shôjo assez mâtures et un brin érotiques, la mangaka Chika Shiina débarque pour la première fois en France avec Enfer Bleu, une série en trois volumes présentée par l'éditeur comme étant plus accessible. Ce qui n'empêche absolument pas l'auteure d'aborder un sujet extrêmement délicat et grave.

Car tout commence par un viol. Celui de Mana, 13 ans, prise de force par son frère adoptif Kakeru. Deux années plus tard, le drame ne s'est pas effacé de sa mémoire, bien au contraire, puisque Kakeru continue de violenter la jeune fille, d'en faire sa chose, d'exercer toute son emprise sur elle sans que celle-ci ne puisse faire quoi que ce soit. Car crier au secours signifierait jeter le discrédit sur une famille aimante qui a eu la bonté de la recueillir quand ses parents sont morts. De plus, Kakeru paraît tellement bien sous tous rapports qu'elle se demande qui pourrait la croire. Dans l'impasse, Mana vit constamment un enfer, ne peut se libérer un peu qu'en allant pleurer dans la mer, mais est si désespérée qu'elle en est arrivée à souhaiter que demain n'arrive jamais... Jusqu'au jour où débarque dans son village insulaire Akihiro, un garçon de son âge, arrivé tout droit de Tokyo, qui la surprend dans l'eau et a le coup de foudre pour elle. Très vite, il propose à Mana de sortir avec lui. La jeune fille accepte, pense voir en ce nouveau venu le sauveur tant espéré, mais l'ombre de Kakeru n'est jamais loin, et menace de s'abattre à tout moment sur le jeune couple...

Que celles et ceux qui craindraient un récit à l'érotisme prononcé et de mauvais goût se rassurent : vous ne verrez rien de très concret, car la mangaka sait toujours s'arrêter au bon moment, ne présentant les nombreuses scènes délicates que de façon succincte, juste le temps de quelques cases et de façon éloignée, et en insistant plutôt sur les visages désespérés de son héroïne. Tout juste de quoi marquer le lecteur en profondeur, lui faire prendre conscience de l'horreur cloisonnée dans laquelle se trouve Mana, et créer une ambiance résolument malsaine. Ambiance qui contribue grandement à prendre Mana en pitié et à trembloter face à un Kakeru encore mis en avant par des expressions doucement inquiétantes et sournoises. Au milieu de cet enfer, les scènes où la jeune fille s'enfonce dans l'océan pour pleurer sonnent alors de façon très juste comme une échappatoire malheureusement trop courte. Côté mise en scène et ambiance, c'est donc franchement réussi. Le ton est dramatique, terrible, mais il y a un certain équilibre qui se met en place pour éviter à l'ensemble d'être beaucoup trop pesant. Et quand débarque sur les pages Akihiro, à la mine plus innocente et insouciante dans un premier temps, on ressent bien tout l'espoir que le jeune garçon représente pour Mana.

Mais malgré tout, de façon constante, la menace Kakeru est là, omniprésente, apparaissant à n'importe quel moment comme pour briser les brefs instants d'idylle et replonger Mana dans son enfer. Akihiro n'est pas dupe, aura une confirmation brutale de ce qui se passe... mais pourra-t-il changer les choses ? Rien n'est moins sûr, car en plus de ne pouvoir tout révéler sans jeter le discrédit sur la famille adoptive de Mana ou sur sa propre famille (pas sûr qu'on le croie, après tout...), il se rendra compte que la venue d'un tokyoïte dans ce village insulaire n'est pas forcément bien vue, que les rumeurs peuvent très vite courir sans qu'on ne puisse rien y faire, et que Kakeru sait habilement tromper son monde et se mettre les gens dans la poche, dusse-t-il dans la foulée manipuler une frêle amie d'enfance amoureuse de lui depuis toujours et prête à tout pour lui.

Il y a tout de même plusieurs petites choses à regretter, comme la rapidité de certains événements (Akihiro fait très vite sa déclaration à Mana) ou plusieurs étrangetés graphiques par moments (yeux beaucoup trop gros, trop écartés ou mal alignés, nez bizarrement dessinés, taille des jambes un peu disproportionnée...). Mais globalement, ce premier volume d'Enfer bleu, poignant et dramatique, met en place une histoire qui met mal à l'aise, et qui sonne terriblement juste dans la manière dont une spirale infernale se crée autour de Mana et Akihiro, les deux adolescents ne pouvant guère appeler au secours. Une solution, aussi désespérée et digne d'une romance d'aventure soit-elle, semble toutefois pointer dans les dernières pages, et on attend alors de voir ce que nous réserve la suite.

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Tome 2 :

Violentée depuis des années par son grand frère adoptif Kakeru, Mana a longtemps vécu dans une angoisse et un désespoir permanents, jusqu'au jour où est arrivé Akihiro, un camarade de classe amoureux d'elle, qui a décidé de la sortir de sa situation. Ainsi les deux adolescents profitent-ils d'un typhon pour fuir l'île natale de la jeune fille, avec pour objectif de se rendre à Tôkyô, loin de Kakeru. Mais les deux jeunes fugitifs sont vite rattrapés par la réalité : sans toit où dormir, ils sont acculés, ne savent pas quoi faire. C'est alors qu'ils tombent nez à nez sur le père d'Akihiro, un photographe qui pourrait bien les aider... à moins qu'il ne renvoie à Akihiro la vanité de ses actes...

Censée être salvatrice, la fugue de Mana et Akihiro trouve vite ses limites, nos deux héros restant des adolescents qui ne peuvent pas grand chose face à certains aléas de la réalité. De fil en aiguille, chacun des deux va devoir remettre en question cette fugue, certes jolies, mais qui ne résoudra sans doute rien. A Mana, alors, de prendre une difficile décision la renvoyant dans ses plus horribles angoisses, tandis qu'Akihiro devra prendre conscience de ses limites.
Dans ce deuxième tome, rien ne va réellement mieux, car une fugue ne peut rien résoudre en profondeur, et les deux adolescents ont encore du chemin à faire, l'une pour parvenir à se rebeller contre son frère, l'autre pour trouver le meilleur moyen d'agir, tout inexpérimenté qu'il est.
Les idées sont bonnes, mais le bât blesse clairement dans les rebondissements du tome, loin d'être toujours convaincants. Déjà, on a du mal à adhérer à ce hasard plaçant directement le père d'Akihiro devant les deux adolescents, tout comme on a du mal à adhérer au comportement très particulier de ce père, qui en lus n'apporte finalement pas grand chose. On regrette aussi la trop grande rapidité de certains choix des personnages, à commencer par celui de Mana quand elle se rend compte qu'Akihiro ne pourra pas être le sauveur tant espéré. On comprend bien que la jeune fille est psychologiquement prisonnière de son frère et qu'elle souhaite éviter le pire à Akihiro, mais tout ceci est bien trop vite abordé.
Enfin, difficile de passer outre quelques situations un brin aberrantes : on a du mal à croire qu'une fille traumatisée, violée depuis des années par un garçon, puisse s'endormir sans problème à moitié nue à côté de l'un d'eux. Tout comme on se pose des questions devant certains actes de Kakeru, comme quand il montre le message de son portable à ses proches alors qu'Akihiro y avoue ses méfaits.

Bref, la plupart des idées sont bonnes, surtout autour des limites de la fugue de nos deux héros. Mais le manque d'approfondissement de certains événements, ainsi que certains heureux hasards et comportements étranges (le père d'Akihiro...), tendent à faire perdre de sa force et de sa crédibilité au récit. Attendons de voir ce qu'il en sera dans le troisième et dernier volume.

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Tome 3 :

S'étant persuadée qu'Akihiro ne pourra pas la sauver, Mana est retournée sur l'île, auprès de son tortionnaire Kakeru. Le quotidien terrible de la jeune fille semble devoir reprendre, mais quelque chose a changé. Mana n'est plus aussi docile qu'avant, et se montre même plus épanouie quand Akihiro est là... au grand dam de Kakeru, qui perd de plus en plus les pédales au fur et à mesure qu'il prend conscience que Mana lui échappe... Et quand un typhon vient rappeler les plus horribles souvenirs de Mana et Kakeru, la folie guette plus que jamais... Comment finira la sombre histoire d'Enfer bleu ? Vous le découvrirez dans ce dernier volume qui risque fort de diviser les foules.

Après la fugue qui était déjà un rebondissement assez too much, c'est un nouveau coup de théâtre un brin exagéré qui survient lors du typhon, où Mana se retrouve isolée en bas d'une falaise, terrorisée. C'est l'occasion pour Akihiro de s'illustrer tandis que Kakeru perd pied, et de rappeler dans les mémoires le passé commun tragique de Mana et Kakeru, afin de cerner un peu plus ce que la jeune fille représente exactement pour son tortionnaire, et l'événement qui a déclenché son envie passionnelle de posséder notre héroïne.

A ce premier coup de théâtre, qui marque une rupture et annonce définitivement la chute de Kakeru, succèdent des rebondissements qui, à leur tour, ont du mal à convaincre dans leur rapidité, cette rapidité donnant lieu à des choses assez aberrantes et rendant la psychologie de Mana profondément invraisemblable. Après avoir été violée tant de fois pendant deux ans, on a du mal à trouver crédible la plupart des réactions de la jeune fille, qui ne semble clairement pas assez marquée par les horreurs qu'elle a vécues. Bien sûr, on comprend son choix de coucher avec Akihiro pour rompre avec le passé. On tolère, grâce au passé tragique, le fait qu'elle n'a jamais pu haïr celui qui l'a tant faite souffrir, tout comme suite à ça on peut comprendre l'impact psychologique qui se cache derrière son choix final après avoir lu le message de Kakeru. Mais tout va beaucoup trop vite pour qu'on accepte les choses si facilement. La psychologie de notre héroïne, à cause de ça, apparaît totalement au rabais, et au-delà de la vague compréhension son choix final implique surtout une certaine irresponsabilité à la limite de l'acceptable dans la façon dont le tout est présenté. Entre ce que l'on a envie de faire et ce qui est raisonnable il y a souvent un écart, écart qui ici est totalement absent. Comme si les choses étaient aussi simples...
Et le bond dans le futur des dernières pages, bien qu'il se veuille mignon et positif en occultant plusieurs années qui auraient pu être intéressantes, n'efface pas ce final qui met plus mal à l'aise qu'autre chose.

Enfer Bleu divisera à coup sûr les lecteurs, surtout à cause de l'ensemble de ce final. Globalement, la série a pris pour pari d'aborder des thèmes sombres, dramatiques et peu évidents, mais au-delà des petites incohérences comportementales déjà visibles dans le tome 2, elle se plante réellement dans ce troisième et dernier volume en abordant de façon beaucoup trop lisse et bancale la psychologie de ses personnages et leurs décisions qui apparaissent alors aberrantes voire inacceptables.

Au final, Enfer Bleu, c'est un amas d'idées et de sujets intéressants, exploités soit n'importe comment, soit insuffisamment. Le tout pour une lecture qui sera potable pour les uns, vomitive pour les autres.