Wet Moon

Rubrique consacrée aux seinen, c'est à dire des séries se destinant à un lectorat adulte.
Avatar du membre
Koiwai
Rider on the Storm
Messages : 10884
Enregistré le : 18 avr. 2008, 11:52
Localisation : Lille

Wet Moon

Message non lu par Koiwai » 17 janv. 2014, 09:04

Image

La fiche sur le site


Tome 1 :

Au cœur du Japon de la deuxième moitié des années 1960, dans une station balnéaire, le jeune inspecteur Sata poursuit une enquête, celle du meurtre d'un ingénieur qui travaillait pour un mystérieux programme spatial. Sur le lieu de travail de la victime, une secrétaire stressée, Kiwako Komiyama, prend soudainement la fuite en devenant dès lors la suspecte numéro 1. Alors qu'il la poursuit, Sata s'effondre soudainement. Quand il se réveille un mois plus tard, son supérieur hiérarchique est mort, l'enquête a été bouclée, et une énorme cicatrice s'exhibe sur le front du jeune inspecteur. Derrière cette cicatrice, logée dans sa tête, il y a quelque chose, comme un morceau de métal.
Sata ne peut croire que son enquête doit s'arrêter là. Komiyama n'a toujours pas été retrouvée, il décide de continuer à la chercher au point d'en faire une obsession, tandis que le morceau de métal logé dans sa tête provoque en lui des hallucinations, pertes mémoires et visions étranges... de la lune.

Après le road-movie punk et trash Bambi et l'enquête surnaturelle Soil, Atsushi Kaneko revient avec Wet Moon, un thriller halluciné nourri aux multiples influences.
Autour de Sata, inspecteur qui n'est plus totalement maître de lui-même face aux pertes de mémoire et hallucinations, rien ne semble tout à fait réel. Pour ce héros typiquement kafkaïen, perdu dans une réalité qu'il ne comprend plus au point de s'enfoncer peu à peu dans la paranoïa, rien ne semble totalement digne de confiance, encore moins ses collègues qui semblent comploter dans son dos, ou même les rencontres faites dans la face cachée de la ville, qui lui ouvrent peu à peu des portes qu'il n'est pas encore prêt à franchir.
Pourtant, Sata, s'il veut progresser dans son enquête obsessionnelle, et lever le voile sur ses hallucinations et pertes de mémoire de plus en plus persistantes avant de sombrer dans la folie, devra composer avec ce monde de ténèbres typique d'un film de David Lynch, partagé entre l'atmosphère nocturne bling bling et rétro que dégage cette sorte de Las Vegas japonais, les cabarets hypnotiques et les personnages aux propos indéchiffrables... Sans oublier ces visions au clair de la Lune de Méliès, une Lune que l'inspecteur cherche constamment à renier. Alors que la conquête spatiale se joue dans l'espace, lui s'est persuadé que jamais l'homme ne marchera sur la Lune, et que jamais il n'en découvrira la face cachée.

Dans cet univers où l'astre lunaire est un élément central, encore énigmatique mais rappelé à chaque instant à notre mémoire à travers les hallucinations de Sata ou un simple cadenas qui s'ouvre, tout est question d'ambiance. Atsushi Kaneko nous plonge dans la quête obsessionnelle et plus importante qu'il n'y paraît de Sata, au gré des déraillements et égarements paranoïaques qu'il croque de sublime manière sous sa mise en scène impeccable (le choix des angles lors de la perte de repères de l'inspecteur dans le cabaret est brillant), ses dessins où clarté et ténèbres contrastent merveilleusement, et son utilisation intelligente des éléments propres à son art, telles les onomatopées (les halètements répétés lors de la course poursuite, les pas de danse du cabaret rythmant les pas incertains de Sata...), où les découpages oppressants (les hallucinations de Sata sont une merveille du genre).

Pour peu que l'on accepte de se laisser happer par ce polar défiant pour l'instant toute logique, on se retrouve alors face à un bijou d'ambiance et de mystère, qui est sans doute encore très loin d'avoir dévoilé toutes ses qualités.

L'édition fournie par Casterman est impeccable. Les premières pages teintées de rouge sont du plus bel effet, le papier et l'impression sont de qualité, la traduction est excellente et la gestion des onomatopées (élément de prime importance) sans fausse note.
Image

Avatar du membre
Raimaru
Space Cowboy
Messages : 1689
Enregistré le : 16 janv. 2010, 16:37
Localisation : Fensch Vallée

Re: Wet Moon

Message non lu par Raimaru » 24 févr. 2014, 19:00

Ça faisait un moment que je voulais me mettre à du Kaneko, j'ai saisi l'occasion de l'arrivée de sa nouvelle série courte. Et j'ai hyper accroché à son style. Une dose de références rétro, une dose de cyberpunk, une dose d'inspiration film noir, une référence à Sergio Leone ( :love: ), le tout dessiné avec un trait très marqué et très régulier, je suis totalement conquis. En plus, la narration est pas dégueu : quand le perso principal se retrouve en pleine hallucination transporté sur la lune, c'est vachement immersif. On partage sa surprise et son vertige.


Je n'attends qu'une chose maintenant : que les Bambi soient à nouveau tous disponibles. Je vais me rabattre sur Soil en attendant :)
Image

Avatar du membre
Koiwai
Rider on the Storm
Messages : 10884
Enregistré le : 18 avr. 2008, 11:52
Localisation : Lille

Re: Wet Moon

Message non lu par Koiwai » 11 mai 2014, 19:11

Tome 2 :

La recherche obsessionnelle de Sata arrive dans une impasse. Partagé entre la réalité et ses hallucinations, entre la face visible et la face sombre du monde, il ne sait plus exactement où chercher pour retrouver la trace de Kiwako Komiyama. sa seule piste est un certain Tamayama, un indic' qui reste constamment dans l'ombre et que l'on ne peut contacte. or, Tamayama, le contacte. Il attend quelque chose de Sata. Il recherche un objet que seul notre héros peut retrouver. objet en échange duquel il acceptera de livrer ce qu'il sait...

Le voile se lève sur certains mystères de Wet Moon, tandis que d'autres s'épaississent et que des nouveau apparaissent. En tête, Tamayama, inquiétant homme de l'ombre au physique aussi étrange que glauque, reste éloigné de tout le monde, mais suscite la panique au sein de la police rien qu'à l'évocation de son nom. D'un autre côté, Sata en apprend plus sur ses compères et sur ce qu'ils lui cachent. La vérité sur la mort du commandant Komatsu arrive en même temps que la nature de ce qu'il a laissé à notre inspecteur, dont la paranoïa se concrétise dès lors qu'il se retrouve seul, traqué par tous ses collègues, ne pouvant plus vraiment compter sur personne... à moins que son esprit ne lui joue des tours. Où s'arrête la réalité, et où commencent les hallucinations ? Atsushi Kaneko brouille plus que jamais les pistes en s'appuyant sur ses dessins tout en contrastes noir/blanc, sur son ambiance sombre, ses visions hallucinées et sa mise en scène qui menace sans cesse d'exploser. La narration tout en rupture, constamment partagée entre présent et passé, finit de nous happer sans qu'on sache jamais à quoi se rattacher. De même que les quelques apparitions d'un rouge profond.

Wet Moon reste un régal d'ambiance, Atsushi Kaneko s'amusant à nous perdre dans son dédale halluciné dont on a hâte de découvrir tous les tenants et aboutissants.
Image

Avatar du membre
Koiwai
Rider on the Storm
Messages : 10884
Enregistré le : 18 avr. 2008, 11:52
Localisation : Lille

Re: Wet Moon

Message non lu par Koiwai » 11 sept. 2014, 18:04

Tome 3 :

"Parfois, la folie d'un seul homme suffit à engloutir le monde..."

Traqué de partout, Sata poursuit sa quête en solitaire. Dans un épais dernier tome de 340 pages, sa fuite s'accélère de plus en plus, mais semble avoir de moins en moins de points de rattache. Autour de lui, tout s'écroule, sa seule ligne de mire reste la recherche de Kiwako Komiyama qui l'obsède toujours plus, et la frontière entre la réalité et les hallucinations paraît de moins en moins claire... en tout cas pour lui, car Atsushi Kaneko, de son coté, reste parfaitement maître de son récit.

Autant le dire tout de suite, l'auteur déjà tant apprécié sur Bambi et Soil est clairement au sommet de son art d'un point de vue graphique. Son utilisation des contrastes noir/blanc est admirable et accentue sans cesse la sensation de fuite constante, de même que son découpage tantôt très serré pour faire monter la tension et le rythme, tantôt plus large pour nous faire profiter au mieux des hallucinations de Sata et de ce qu'on peut y comprendre en filigranes. Son trait épais, ses vues obliques et riches brouillant encore plus les pistes sont un régal, l'errance du personnage n'a jamais été si bien retranscrite et si intense, alors même que les dialogues sont souvent discrets ou absents.

Plongés aux côtés de Sata dans ses errances hallucinatoires, il nous est quasiment impossible de tout comprendre tout de suite, et pourtant l'auteur a su distiller habilement ses éléments de réponses, qu'il faudra avec plaisir aller dénicher dans une seconde lecture pour ceux qui ne sont pas totalement clairs. Qui est exactement Kiwako Komiyama, ce que représente Tamayama, ce qu'il s'est passé dans l'énigmatique cabane, le sentiment de culpabilité qui semble confiner notre héros dans sa folie... Avec en toile de fond une revisite presque mystique de la conquête de la Lune, les réponses sont là, des éléments comme la cicatrice ou les insectes qui envahissent les pages permettant de se repérer un peu dans le temps ou au milieu de ce monde mêlant réalité et délire.

Atsushi Kaneko nous sert un final grandiose dans son genre, visuellement éblouissant et scénaristiquement suffisamment retors, à la fois obtus et limpide, pour nous donner envie de nous replonger dans l'oeuvre au plus vite.
Image

Répondre