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Tome 1 :
En ce mois d'avril, une nouvelle série courte en 3 tomes débarque aux éditions Ki-oon, après avoir pas mal attisé notre curiosité, ne serait-ce que par l'identité des deux auteurs se cachant derrière, deux artistes assez différents, que l'on n'aurait sans doute jamais imaginé ensemble sur un même projet : le scénariste multi-récompensé Issei Eifuku qui signe ici son deuxième scénario après celui du remarqué Samourai Bambou, et Kojino (ou Go Jin Ho, Kojino étant son nom d'artiste au Japon), un dessinateur coréen que l'on a pu découvrir il y a quelques années en France avec le pas très finaud mais plutôt jouissif Jack Frost.
Mais au-delà de cette association d'auteurs un peu improbable, c'est encore plus l'intrigue de base de leur série qui suscite la curiosité, Evil Eater nous promettant une incursion dans les tréfonds de l'esprit humain pour le moins originale...
A la manière d'autres séries d'anticipation psychologiques comme The Top Secret de Reiko Shimizu, la base d'Evil Eater part d'une idée aussi tordue qu'intéressante : dans un Tokyo futuriste, les progrès scientifiques permettent désormais de faire revenir les morts à la vie... en échange d'une autre vie. Pour exploiter au mieux ce principe et éviter tout dérapage, a été promulguée la "loi de compensation", réservée aux autorités judiciaires. Celle-ci autorise la mise à mort des meurtriers, afin de ressusciter l'une de leurs victimes. Les victimes revenues à la vie, nommées Returners, passent ensuite par une étape où le souvenir de leur mort est effacé, car ce souvenir est jugé trop traumatisant pour permettre aux ressuscités de prétendre à une vie normale. Mais cette étape ne suffit pas, car malgré tout, les Returners possèdent bien souvent en eux ce que l'on appelle un "bug", une sorte d'anomalie psychique exacerbant les pires sentiments négatifs qui animaient les victimes avant leur mort ou au moment de leur assassinat, à tel point que celles-ci peuvent devenir de véritables bombes à retardement dont les tourments intérieurs peuvent exploser à tout moment en semant le chaos sur leur passage...
C'est à ce moment précis qu'interviennent les Sorceristes, des individus travaillant pour l'Institut ressuscitant les victimes. Sous forme de binôme, ils ont pour mission d'utiliser leurs pouvoirs pour pénétrer dans le subconscient des Returners afin d'y détruire le bug qui les ronge, avant que le pire n'arrive. Kento Nagumo est l'un de ceux-là. Surnommé le "tueur d'équipier" à cause de son passé dramatique avec ses anciens partenaires, il se voit offrir une nouvelle partenaire, une bleusaille nommée Yôko Amagi, petite demoiselle tout juste sortie de l'Académie, au pouvoir de destruction de bug extrêmement prometteur...
Evil Eater débute avec la rencontre entre Nagumo et Amagi, le statut de nouvelle Sorceriste de la jeune fille étant évidemment un excellent moyen de nous immerger dans la complexité du récit, puisque le lecteur a tout le loisir de découvrir en même temps qu'elle le fonctionnement de l'Institut, les "bugs" pourrissant l'esprit des Returners, et la manière dont les Sorceristes doivent débarrasser les esprits humains de ces fléaux. Issei Eifuku et Kojino parviennent à tout mettre en place de façon claire, à bien nous faire comprendre les enjeux et le contexte, grâce à, dès la première mission, une habile utilisation des deux personnages principaux, très classiques (le Sorceriste expérimenté un peu désabusé, et la petite nouvelle pleine de bonne volonté mais qui ne connaît encore que la théorie), et à une bonne mise en avant de toute le la complexité des missions, avec une première victime déjà assez particulière.
Par la suite, les missions s'enchaînent et ne se ressemblent pas. Celles-ci sont courtes, vont à l'essentiel, peut-être un peu trop parfois, et ne souffrent d'aucune répétitivité, si l'on excepte le rappel systématique à chaque début de chapitre du contexte de l'histoire, ce qui peut rapidement paraître un peu lourd. Très vite, les auteurs nous offrent des cas très différents, et Amagi découvrira aux côtés de Nagumo que l'esprit humain, loin d'être parfait et d'être totalement prévisible, peut réserver bien des surprises. Il faut avouer que, du fait de la courte durée des missions, les incursions de nos héros dans l'esprit humain sont brèves, mais cela n'empêche pas les auteurs d'en dégager l'essentiel : la manière dont les esprits humains peuvent évoluer face aux choses qui les tourmentent. Dans un cas le conditionnement d'une secte pousse à la paranoïa puis à la peur de tout le monde, dans un autre la mise à l'écart entraîne une forme de narcissisme, dans un autre encore le Returner ne souhaite tout simplement pas revenir à la vie pour des raisons précises, etc... En faisant un peu plus dans l'analytique que dans l'ambiance (les petits éléments malsains sont présents mais très discrets dans leur représentation, et le trait de Kojino, jouant beaucoup sur les contrastes noir/blanc, reste propre) ou que dans l'action (les affrontements contre les "bugs" sont expéditifs bien que ceux-ci soient assez stylisés), les auteurs offrent un équilibre intéressant, qui a en plus le mérite de soulever, petit à petit, pas mal d'interrogations encore discrètes, sur les limites de ce procédé, sur l'utilisation presque douteuse qu'en fait parfois l'Institut à ses propres fins, sur la moralité de ce "jeu" avec la vie et la mort... et sur nos deux personnages principaux, tous deux rongés par un passé loin d'être joyeux, que l'on découvre par bribes.
La base d'anticipation et le côté fantastique/magique sont donc utilisés à bon escient pour offrir une oeuvre psychologique suffisamment prometteuse pour donner envie de lire la suite. Parallèlement aux brèves missions, les auteurs soulèvent des petites questions intéressantes, intriguent sur leurs deux personnages principaux, et accélèrent même déjà le rythme dans une fin de tome où l'arrivée d'un nouveau personnage particulier et inquiétant risque bien de mettre à mal les convictions de la jeune Amagi... Affaire à suivre !