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Tome 1 :
Première série de Haruhisa Nakata, Levius arrive en France auréolé d'une certains réputation due autant à son aspect esthétique qu'à son univers intrigant et à son format inhabituel pour un manga. En effet, l'oeuvre a dès le départ été étudiée pour avoir un sens de lecture occidental au Japon, ce qui se traduit également par des bulles à l'horizontale au lieu des traditionnelles bulles verticales. Ne vous offusquez donc pas de ce sens de lecture : c'est un choix délibéré de l'auteur et de son éditeur, comme expliqué dans une petite postface toutefois un brin pompeuse et prétentieuse ("la nouvelle norme manga mondiale", rien que ça...). Mais passons.
Après de superbes premières pages en couleurs aux teintes sépia qui nous plongent tout de suite dans une ambiance poisseuse et terne, Levius nous perd volontairement dans une première partie de volume posant peu à peu les bases. Ces bases, ce sont celles d'un monde aux influences steampunk où après une guerre, le monde a été entièrement refaçonné.
Tout d'abord, d'un point de vue géographique, ou noms et nations se sont remodelées. A ce titre, la carte présente en début de volume s'avère utile pour jeter les premières bases de ce monde que l'on devine clairement basé sur l'Europe, que ce soit dans la forme de certaines contrées et des océans ou dans leur nom.
Ensuite, au niveau des conditions de vie, où un nouvel art martial est né en puisant sa source dans les nouvelles technologies mécaniques mises au point. Cet art martial, la boxe mécanique, voit s'affronter en arène, souvent jusqu'à la mort de l'un des deux, des combattants qui ont été dotés de membres mécaniques. Ces "améliorations" par les machines peuvent aller très loin.
C'est dans ce contexte que nous voici plongés aux côtés de Levius, jeune garçon vivant de ces combats mécaniques et ayant de telles prédispositions dans cet art qu'il est très bien classé. Mais Levius est également un garçon terne et peu bavard, bien difficile à cerner pour son oncle et coach Zack et pour sa grand-mère. Et dans le genre étranges et mystérieux, ces deux derniers ne sont pas en reste, puisque le premier a parfois des comportement un peu excessifs ou peu ragoutants (il n'hésite pas à péter quand ça lui chante, par exemple), et que la deuxième semble avoir un bizarre capacité de communiquer avec des êtres non-humains, voire à prédire certaines choses.
Toute la première partie du volume nous immisce en plein coeur de cet univers et aux côtés de ces personnages en jouant volontairement la carte du flou. Pendant les premiers chapitres, on se contente de suivre ces personnages un peu moribonds et peu explicites, ou d'assister à un combat de boxe mécanique de Levius, sans cerner grand chose. Ce n'est que petit à petit que les choses se dévoilent, que l'on en apprend plus sur le passé de ce monde qui a été dévasté par la guerre, sur l'enfance et les traumatismes de Levius, sur la manière dont son oncle et sa grand-mère l'ont accueilli, sur la naissance, les spécificités et la hiérarchie de la boxe mécanique... et le résultat est excellent, tout simplement parce que cette narration qui ne dévoile d'abord les choses qu'à petites doses et qui peut paraître faussement confuse nous plonge à merveille dans cet univers peu accueillant où il est difficile de trouver ses marques, et se fait un parfait écho de la propre absence de repères du personnage principal. Un abord original et pleinement immersif, qui peut demander au départ un petit effort, puis qui révèle vite son efficacité si tant est que l'on accepte le parti-pris.
Le parti-pris est également visuel, et là aussi Haruhisa Nakata offre un rendu qui ne plaira pas forcément au premier abord, mais qui s'avère très vite saisissant.
Cela, on le doit en premier lieu à une gestion des décors très intéressante, l'auteur y mettant souvent un effet de flou numérique déstabilisant et réussi. En plus de permettre une mise en avant spécifique d'éléments importants en jouant sur la profondeur de champ, ce parti-pris accentue cette ambiance de perte de repères et, en quelque sorte, de déshumanisation de la terne cité. On ressent notamment très bien cela lors de certaines planches, de certaines cases, par exemples celles où Levius court dans des rues et une foule troubles.
Du côté des scènes de boxe mécanique, Nakata délivre des scènes qui ont besoin de gagner en lisibilité, mais qui délivrent déjà un certain dynamisme, notamment grâce à des angles de vue souvent audacieux et soulignant la rage des combattants (à titre personnel, certains angles de vue m'ont rappelé un peu Ping Pong de Taiyô Matsumoto).
Au fil de tout cela, un réel travail psychologique est effectué sur Levius, qui ne se livre que par petites touches. Nakata offre régulièrement une narration au plus près de son héros, pour mieux nous permettre de le cerner, et pour intriguer toujours mieux autour de lui. Car au bout du compte, au-delà des combats de boxe mécanique, ce sont aussi de nombreuses interrogations qui s'immisce doucement, autour des facultés de Levius au combat, du destin auquel il semble promis, des étrangetés liées par exemple à sa grand-mère, de ce que permet la mécanisation des corps permet... Tout un univers se pose et intrigue.
Audacieux et original, Levius vaut sans nul doute le coup qu'on s'y intéresse, qu'on l'essaie au moins. Son univers étrange, immersif et fascinant n'attend qu'à être exploré, en même temps que son personnage principal. L'édition proposée par Kana est portée par un grand format vraiment très utile pour profiter au mieux du travail visuel de l'auteur, par une traduction sans fausse note, et par 'excellente qualité des premières pages en couleur. Dommage, par contre, que l'encre bave un peu sur certaines pages, et que le papier soit si fin.
Notons qu'au Japon, la série s'est arrêtée après trois tomes dans le magazine Ikki de Shôgakukan, pour se poursuivre chez Shûeisha dans le magazine Ultra Jump.